jeudi 18 juillet 2013

ALCOOL ET GROSSESSE






Introduction


L'alcool est actuellement le principal agent tératogène connu, et la première cause de déficits mentaux congénitaux. Ces effets néfastes sont encore souvent méconnus, et le conseil prégestationnel doit améliorer les connaissances des couples.



Consommation d'alcool et femme enceinte



L'unité internationale d'alcool est le verre, et contient en moyenne 10 grammes d'alcool pur (1 verre de vin, de champagne, un demi de bière, 1 whisky, etc.). Les anglais utilisent parfois l'once à la place du gramme (une once égale 28,35 g, soit presque 3 unités). 
On distingue deux types de consommation, qui peuvent être associés : 
• la consommation « habituelle », que l'on évalue en général en nombre de verres par semaine, et l'on distingue : une consommation légère, occasionnelle, une consommation moyenne à partir de 2 verres par semaine, et une consommation sévère (ou lourde), dont la définition varie : 6 verres par semaine aux États-Unis, 7 en Australie, 9 au Royaume-Uni, 14 (2 par jour) pour Drabble et al. Notons que chez la femme non enceinte, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de ne pas dépasser 14 unités par semaine ;
• la consommation aiguë, conduisant aubinge drinking : 5 verres ou plus à une occasion donnée (4 pour certains). Le binge drinking est une manière de boire conduisant à une « défonce ». Certains Québécois parlent de « biture express ». Henderson et al.notent une augmentation de la fréquence de ces alcoolisations aiguës au Royaume-Uni. La même tendance est notée en 2010 en France (22 % pour les 15-25 ans, contre 14 % en 2005) et dans les Pays de Loire (31 % pour les 15-25 ans, contre 21 % en 2005 pour 3 ivresses dans les 12 derniers mois). 

Point important
La fréquence des alcoolisations aiguës augmente chez les jeunes.

Schématiquement, 80 % des femmes consomment de l'alcool en France. Leur consommation diminue avec la grossesse. Sans entrer dans trop de détails, il faut souligner que le mésusage est fréquent, hors grossesse surtout, et qu'il diminue au cours de la grossesse. On peut illustrer ce fait en rapportant les résultats de deux enquêtes réalisées dans les maternités de Caen et de Nantes . Les deux études montrent un taux comparable de consommation avant la grossesse (79 %). La grossesse s'accompagne d'une diminution importante des consommations. L'étude réalisée à Nantes distingue la consommation relevée au premier trimestre (63 %) et celle des deuxième et troisième trimestres (20 % ; il est possible que cette diminution survienne avec la déclaration de la grossesse et la première visite prénatale). 


Effets de l'alcool sur la grossesse et sur l'enfant 

Méthodologie des études 

Schématiquement, deux types d'études existent : 

• les enquêtes réalisées au cours de la grossesse (interrogatoire réalisé par un enquêteur, autoquestionnaire) ;
• les enquêtes rétrospectives, menées soit à partir du codage des complications maternelles dans la classification internationale des maladies, soit essayant de retrouver, à partir de lésions fœtales dont on évoque l'origine toxique, l'importance de la consommation d'alcool. Quelques travaux concernent des enfants de mères qui avaient participé à des enquêtes pendant leur grossesse. 
Beaucoup de ces enquêtes sont déclaratives, et toutes les enquêtes risquent de sous-évaluer l'alcoolisme et l'importance de l'intoxication. 


Classification 

Les formes les plus graves réalisent un syndrome d'alcoolisme fœtal (SAF). Les critères permettant de parler de SAF ont été développés par le Fetal Alcohol Study Group of the Research Society on Alcoholism. Il faut que l'on ait l'association : 

• d'un retard de croissance prénatal ou post-natal (poids, longueur, taille) ;

• d'une anomalie de l'extrémité céphalique (telle que microcéphalie, ou anomalie de la face) ;
• et d'une anomalie du système nerveux central, structurelle ou fonctionnelle, telle une hyperactivité ou un retard mental. 
Les autres anomalies non spécifiques décrites, sont associées ou non au SAF. Elles ont été regroupées sous le terme général de « effets de l'alcoolisme fœtal » (EAF), ou « défaut de naissance en rapport avec l'alcoolisme ». 
La fréquence du SAF est variable : 0,4 à 3 ‰ aux États-Unis (la fréquence des EAF y est évaluée à 1 %). En Europe, les valeurs vont de 1,6 ‰ en Suède à 1,8 à 2,9 ‰ en France. Il faut noter qu'en France l'incidence varie beaucoup d'une région à l'autre. Ces fréquences dépendent en partie du soin porté au dépistage. 
Globalement, le SAF peut être responsable d'environ 5 % des anomalies congénitales. Les effets neurologiques, sur le développement mental, font que l'alcool est le premier agent tératogène. 


Complications rapportées

De nombreuses complications ont été rapportées.


Avortements et morts fœtales

Le risque d'avortement spontané serait double, notamment après intoxication aiguë. Une responsabilité dans les morts fœtales ne semble pas prouvée, mais la responsabilité dans les hématomes rétroplacentaires commence à être démontrée (rôle d'une carence en acide folique ?). 


Retards de croissance intra-utérins

L'alcool diminue le poids de naissance. L'importance du retard de croissance est liée à la durée de l'exposition. Le retard de croissance intra-utérin (RCIU) s'installe dans la deuxième partie de la grossesse, il est harmonieux et touche plus particulièrement les os longs. Ce RCIU s'observe pour des consommations modérées . L'effet du tabac et de l'alcool s'additionnent. 


Anomalies craniofaciales 

Elles sont caractéristiques et entrent dans la définition du syndrome d'alcoolisme fœtal (SAF). Certaines sont accessibles à l'examen échographique (Figure 1, Figure 2).











Les principales anomalies sont :
• un rétrécissement des fentes palpébrales ;
• un raccourcissement du nez avec ensellure nasale marquée et antéversion des narines ;
• un philtrum convexe vers l'avant et allongé, une lèvre supérieure fine avec effacement des piliers et de l'arc de Cupidon ;
• un front bombé et étroit avec fosses temporales profondes ;
• une hypoplasie du maxillaire inférieur avec microrétrognathisme ;
• une microcéphalie. 
D'autres anomalies sont possibles, intéressantes à connaître pour orienter vers une étiologie  : une implantation basse des cheveux, des arcades sourcilières arrondies en « ailes de mouette », une hypoplasie de la cloison nasale, une bouche en chapeau de gendarme, des fentes labiales ou labiopalatines, un hirsutisme frontal, une saillie de la suture métopique. Au niveau des yeux on peut relever un ptôsis de la paupière, un strabisme, une obliquité antimongoloïde des fentes palpébrales, un épicanthus, une cataracte, des opacités cornéennes, une rétinite pigmentaire, une microphtalmie. Les oreilles sont décollées, mal ourlées, bas implantées, à bord supérieur horizontal, avec rotation postérieure de l'hélix et conque mal formée. 
Pendant l'enfance, les traits persistent pour se modifier à l'adolescence. À l'âge adulte, le visage est allongé avec un nez devenu très saillant. Le menton est massif, mais reste en retrait. La microcéphalie persiste une fois sur deux. 


Autres malformations 

On retrouve d'autres malformations dans 10 % à 30 % des cas. 

Les malformations cardiovasculaires les plus fréquentes sont les communications interventriculaires, les communications interauriculaires, la tétralogie de Fallot, l'atrésie pulmonaire à septum ouvert. 

Les malformations cérébrales sont les anomalies du tube neural, l'agénésie ou l'hypoplasie du corps calleux, l'hydrocéphalie, une anomalie de la giration par troubles de la migration neuronale, la microcéphalie avec hypoplasie cérébrale prédominante sur le cortex frontal , des anomalies de l'hippocampe, une hypoplasie du vermis cérébelleux . 
Les malformations squelettiques sont nombreuses : thorax en entonnoir, anomalies vertébrales et défaut de fermeture du tube neural, anomalies des doigts (anomalies des phalanges, polydactylie, arthrogrypose, camptodactylie, syndactylie), synostose radiocubitale, pieds ou mains bots, etc. 
Les malformations urogénitales ont été observées : ectopies, hypoplasie ou aplasie rénales, hydronéphrose, duplication urétérale, clitoromégalie, hypoplasie des grandes lèvres, hypospadias, cryptorchidie, etc. 
Les autres anomalies sont des anomalies des plis palmaires, un hirsutisme marqué, des angiomes tubéreux extensifs, une fossette sacrée, une hypoplasie des ongles, une sténose du pylore, une hépatomégalie, une artère ombilicale unique. Une insuffisance du réseau capillaire sous-cutané peut expliquer la pâleur de ces enfants. 
Anomalies neurocomportementales 

Elles sont en rapport avec un amincissement de la substance blanche dans certaines parties de la zone frontale par exemple, un dysfonctionnement de l'hippocampe (déficit cognitif et de la mémoire), des lésions du cervelet (problèmes moteurs), une perte de neurones dans les structures hypothalamolimbiques (anomalies du comportement). Il existe par ailleurs un volume cérébral réduit pour plus de 20 unités/semaine. 

Dans la petite enfance, le développement psychomoteur est lent, avec surtout des troubles de la motricité et un tonus musculaire bas. 

À l'âge scolaire, l'instabilité psychomotrice, les troubles de l'attention et les anomalies de la motricité fine perturbent les apprentissages. L'acquisition du langage, de la lecture et de l'écriture est retardée. Tout se passe comme si les processus neurocomportementaux étaient ralentis. Une hyperactivité a été notée chez les enfants qui ne remplissent pas la totalité des critères. 

Le quotient intellectuel (QI) est souvent diminué. Globalement, il est d'autant plus bas que la dysmorphie est sévère. Dans les SAF, le QI moyen est de 70 pour Lemoine et al. 66 pour Thackray et Tifft . Même si le QI est normal, peuvent exister des problèmes d'éducation en rapport avec l'agitation, les troubles de l'attention. Une rééducation précoce commencée dès la naissance, et poursuivie pendant les premières années doit permettre d'offrir un meilleur avenir.


Point important

Les anomalies morphologiques de l'enfant dues à l'alcoolisme maternel doivent être connues, pour mettre en œuvre le plus tôt possible les mesures de rééducation qui en limiteront les conséquences neurocomportementales. 

À l'âge adulte, Davis et al. retrouvent des problèmes de santé mentale dans 90 % des cas, un arrêt de la scolarité dans 60 %, des actes de délinquance dans 60 %, une incarcération en milieu fermé dans 50 %, des troubles du comportement sexuel dans 50 %, une toxicomanie dans 30 %. Les individus les plus atteints ne sont pas autonomes et fréquentent les instituts pour handicapés. Cependant, beaucoup de SAF peuvent avoir une vie personnelle, certes précaire, mais leur permettant de fonder une famille. Malheureusement, près de la moitié de ces enfants sont atteints de maladie alcoolique.


Troubles fonctionnels néonatals 

Il existe un risque accru de détresses respiratoires chez le prématuré, par défaut des protéines de structure du surfactant SP-A et de SP-C. Notons que l'augmentation de la fréquence des morts subites du nourrisson est due à l'alcoolisme maternel (défaut de surveillance des parents). 


Seuils 

La question d'un seuil à partir duquel le risque fœtal existe ou devient important est essentielle, car certaines patientes acceptent de diminuer la quantité ingérée mais ne supportent pas un sevrage complet. Les études épidémiologiques anciennes mettent un premier seuil à 5 boissons par jour. Un tel seuil est atteint ou dépassé par 1 % des femmes seulement, mais dans ce groupe le risque de SAF est important. 

L'étude de la littérature réalisée par Henderson et al. qui ont étudié les avortements, les morts fœtales, les retards de croissance, la prématurité et les malformations, montre qu'il n'y a pas, sur ces pathologies, d'effet statistiquement significatif de la consommation légère à modérée sur l'issue de la grossesse (moins de 84 g/semaine, soit 12 g/j) ; en ce qui concerne l'alcoolisation aiguë (60 g à une seule occasion), un effet est possible sur le développement neurologique. Rappelons que les enquêtes peuvent sous-estimer la fréquence de l'alcoolisme aigu, chez des femmes qui ne consomment pas plus d'une ou de deux boissons et qui à l'occasion des beuveries de fin de semaine dépassent de beaucoup cette quantité. 
La consommation modérée est à l'origine de troubles du développement neurocomportemental. Un effet dose dépendant a été noté pour les difficultés de l'apprentissage et de l'attention, notamment relatifs à la lecture et au calcul. Une consommation modérée d'alcool et l'usage du tabac en début de grossesse ne semblent pas avoir d'effets directs et conséquents sur le QI. 

Globalement, il existe une relation linéaire entre la quantité consommée et les effets sur le fœtus, en sachant que ces complications ne s'observent pas chez tous les enfants exposés. Comme la susceptibilité individuelle est très grande, la règle de zéro alcool pendant la grossesse doit être respectée.



Point important

Il n'y a pas de seuil à partir duquel les anomalies de l'enfant apparaissent. Une consommation modérée peut entraîner des anomalies comportementales. Les facteurs génétiques conditionnent la susceptibilité individuelle. 

Les conseils donnés varient cependant d'un pays à l'autre. Une revue menée dans six pays par Drabble et al. montre que soit on préconise l'abstinence, soit on dit que l'abstinence est le choix du plus sage, avec un message donné pour éviter les conduites les plus dangereuses, soit enfin qu'une faible consommation est sans doute non dangereuse. Mais de plus en plus de recommandations récentes préconisent l'abstention complète, et la norme sociale en matière de consommation d'alcool pendant la grossesse semble s'être déplacée vers le zéro alcool.


Physiopathologie


La période de vulnérabilité maximale est le premier trimestre de la grossesse, mais les études épidémiologiques et expérimentales ont montré que la toxicité de l'alcool s'exerce tout au long de la gestation. Au premier trimestre la migration, la prolifération, l'organisation des cellules du cerveau est concernée, au dernier trimestre les lésions intéressent surtout le cervelet, l'hippocampe, le cortex préfrontal. L'effet des alcoolisations aiguës pourrait être supérieur à celui de l'alcoolisation chronique, ce qui est bien sûr particulièrement inquiétant, car cette consommation aiguë est fréquente chez les jeunes, et en augmentation ; or les jeunes femmes qui s'adonnent à cela sont en majorité sans contraception, et l'intoxication aiguë peut survenir avant le diagnostic de grossesse.

L'éthanol et l'acétaldéhyde, qui est le produit de la dégradation hépatique de l'éthanol, ont été incriminés. Tous deux passent facilement la barrière placentaire. Les capacités enzymatiques hépatiques du fœtus sont très faibles, celles de la mère peuvent être dépassées en cas d'alcoolisme sévère et/ou chronique. Le fœtus peut donc se trouver exposé à une alcoolémie égale à celle de sa mère, mais l'élimination de l'alcool au niveau du compartiment fœtal étant beaucoup plus lente, le fœtus se trouve exposé plus longtemps. L'alcool interfère avec les étapes de la multiplication des cellules cérébrales, de la migration neuronale et de la synaptogenèse. Son rôle causal est confirmé par le fait que les femmes ayant accouché d'enfants porteurs du SAF et devenues ensuite abstinentes mettent au monde des enfants sains. 


Mécanismes possibles


Plusieurs explications aux lésions ont été proposées, qui ne sont pas incompatibles entre elles : 

• le déficit en acide rétinoïque, provoqué par compétition enzymatique avec la dégradation de l'éthanol, favorise l'apoptose cellulaire des crêtes neurales et les anomalies de migration, conduisant aux anomalies cérébrales et faciales ;

• une modification du fonctionnement de plusieurs récepteurs des cellules cérébrales, ce qui favorise la dégénérescence neuronale ;

• un défaut de liaison aux récepteurs à l'insuline, nécessaires à la viabilité, à la formation des synapses et la production d'acétylcholine. 

L'éthanol agit comme un neurotoxique, entraînant un stress oxydatif, des lésions de l'acide désoxyribonucléique (ADN) et une dysfonction mitochondriale. 


Rôle de facteurs génétiques 


La susceptibilité individuelle de la mère (activités enzymatiques hépatiques) mais aussi celle du fœtus, interviennent. Le polymorphisme du gène ADH1B de l'alcool déshydrogénase, chez la mère, comme peut-être chez le fœtus, intervient dans la susceptibilité aux lésions. L'expression du gèneCYP2E1 du cytochrome P450 E1 intervient aussi dans le métabolisme de l'éthanol, et peut intervenir dans la susceptibilité au SAF. 

Les différences entre les jumeaux indiquent que les facteurs génétiques interviennent dans l'impact de l'alcool sur le développement fœtal : parmi les paires de jumeaux dizygotes les atteintes sont de sévérités très différentes, alors que les monozygotes sont atteints de SAF concordants. Les facteurs génétiques pourraient intervenir dans l'existence ou non des lésions et dans leur degré. 


Autres facteurs 


Citons la malnutrition, dont le rôle n'est pas essentiel dans le déterminisme du RCIU, les carences en acide folique et en zinc. On a aussi invoqué le rôle d'une diminution des réserves et de l'utilisation du glycogène fœtal, une moindre résistance à l'hypoxie, celui du tabagisme associé. 

Enfin, pour Jacobson, les femmes relativement âgées mettraient davantage en danger le fœtus que les jeunes (mais l'alcoolisme chronique augmente avec l'âge). 


Conduite à tenir 
Alcoolisme inconnu


Lors de la consultation préconceptionnelle et en début de grossesse, il est essentiel de rechercher les intoxications, ce qui sous-entend que l'on connaît bien les moyens de dépistage. 


Recherche de femmes plus exposées 

Les données de la littérature sont multiples, mais deux idées principales se dégagent. Les femmes exposées sont celles présentant des facteurs de vulnérabilité, et celles dont l'intoxication est un alcoolisme « professionnel », d'entraînement. Les facteurs de vulnérabilité cités sont multiples : adolescentes ou jeunes femmes, célibataires, bas niveau d'éducation , antécédents de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, antécédents de dépression. D'autres intoxications (tabac notamment) s'observent dans les mêmes populations, et la recherche des autres intoxications doit bien sûr être associée. L'importance de l'héritage maternel serait d'autant plus vrai qu'il s'agirait de femmes des milieux sociaux les moins favorisés. Le tabagisme de la mère de la femme pourrait favoriser l'intoxication alcoolique (plus de 20cigarettes par jour : risque d'alcoolisme dans la descendance). 

En pratique, il est impératif de réaliser la recherche de la consommation chez toutes les femmes. L'information et la promotion de l'abstinence doivent être une partie routinière des soins prénatals.


Méthodes de dépistage 

Le statut addictologique vis-à-vis de la consommation d'alcool est déterminé à partir d'autoquestionnaires validés en population générale française.


Outils non spécifiques à la grossesse

Le questionnaire CAGE (Cutt off, Annoyed, Guilty, Eye opener) traduit en français sous le nom de DETA (Diminuer, Entourage, Trop, Alcool) a une bonne sensibilité en population générale mais a été pris en défaut chez les femmes enceintes. 

Le test Audit-C (Alcohol Use Disorder Identification Test) tient compte à la fois de la fréquence de consommation au cours des 12 derniers mois, du nombre de verres bus un jour de consommation type et de la fréquence des épisodes de consommation ponctuelle de quantités importantes. Il existe une version courte du test Audit, mis au point sous l'égide de l'OMS pour repérer les consommateurs d'alcool à risque ou à problème. Il comporte trois questions portant sur la fréquence d'usage et la quantité d'alcool consommée au cours des 12 derniers mois. La classification des buveurs selon l'Audit-C comporte quatre niveaux : les individus « sans risque occasionnel », « sans risque régulier », « à risque ponctuel » et « à risque chronique ou dépendants ». 


Outils spécifiques à la grossesse 

Les questionnaires T-ACE et TWEAK ont été conçus pour le dépistage de la consommation périnatale d'alcool exposant la patiente à des risques. Le T-ACE publié en 1989, d'abord validé dans sa version anglo-saxonne, est recommandé par la société française d'alcoologie. L'outil ALPHA a pour but de dépister la consommation maternelle de drogues à usage récréatif (y compris l'alcool). Il comporte des questions validées pour identifier les facteurs de risques psychosociaux connexes, tels que la violence familiale ou la dépression post-partum. 
Limites des questionnaires pour le repérage 

La sous-déclaration est due à la réprobation morale de la société en général et des soignants. Le recueil de données par autoquestionnaire en post-partum immédiat, semble induire le moins de sous-déclaration, bien que ce recueil introduise un biais de mémorisation des consommations de début de grossesse. 


Signes d'appel échographique

La surveillance échographique de la grossesse peut orienter vers un SAF. Les principaux signes d'appel échographiques sont un RCIU précoce, symétrique, avec une diminution du rapport circonférence cérébrale/circonférence abdominale et du diamètre cérébelleux, et une diminution du fémur, des malformations cardiaques et cérébrales et un syndrome dysmorphique facial.



Point important
La recherche d'un alcoolisme maternel doit être systématique devant un RCIU symétrique ou devant une diminution du périmètre crânien.

Marqueurs biologiques 
Les marqueurs de l'alcoolisme chronique ne sont pas des instruments de diagnostic performants. Le dosage de la gamma glutamyl transférase (gamma GT) et la recherche d'une macrocytose ne sont pas spécifiques et n'ont pas une sensibilité suffisante pour permettre un dépistage efficace. Par ailleurs, chez les patientes enceintes qui continuent de boire, les gamma GT s'abaissent dans la majorité des cas au deuxième et troisième trimestre, pour revenir à des valeurs normales. Lacarbohydrate deficient transferrine et l'hémoglobine acétaldéhyde manquent aussi de sensibilité et de spécificité pour être utilisés comme tests de dépistage. 
Globalement cependant, une élévation de ces tests fait craindre un SAF sévère, car elle traduit une imprégnation importante. Et ces tests réalisés dans le bilan suivant la découverte échographique de dysmorphies faciales, d'anomalies cérébrales, cardiaques, ou des membres, ou d'un retard de croissance peuvent orienter vers un alcoolisme.


Enquête alimentaire

Les diététiciennes savent rechercher l'intoxication maternelle et la quantifier. Malheureusement, elles sont peu nombreuses, mais elles peuvent être sollicitées à l'occasion d'une suspicion ou dans l'enquête d'un RCIU. 


Examen du nouveau-né 

Il est rare que l'examen du nouveau-né oriente vers une intoxication in utero, mais la reconnaissance de petites anomalies orientant vers des EAF est très importante pour mettre en place un suivi personnalisé de l'enfant et développer des mesures de rééducation appropriées. Malheureusement, cette reconnaissance n'est pas toujours facile et doit être améliorée. La formation des personnels travaillant en salle de naissance, notamment des jeunes obstétriciens et des sages-femmes est très importante à cet égard. Plus tard, l'évocation de l'origine toxique de troubles neurocomportementaux est moins utile en pratique. 


Alcoolisme connu


Au cours de la grossesse

La surveillance doit être renforcée, avec une prise en charge multidisciplinaire. Sur le plan obstétrical, on préconise une consultation hebdomadaire ou bimensuelle et une échographie mensuelle. La prescription de polyvitamines et d'antioxydants est souhaitable. 

Un protocole de prise en charge si la patiente présente des troubles patents d'éthylisme doit être disponible. 

La prévention de la rechute se fait en favorisant la prise en charge de la consommation et la mise en place d'un réseau de soutien. Les interventions de courte durée peuvent aller du simple conseil formulé par le médecin à la tenue de sessions de « counseling motivationnel » consistant en l'établissement d'objectifs, en la résolution des problèmes qui sont les facteurs déclenchants. Ces interventions ont fait la preuve de leur efficacité. 


À la naissance

Le nouveau-né peut présenter à la naissance un syndrome d'imprégnation avec score d'Apgar bas, suivi en 6 à 12 heures d'un syndrome de sevrage avec hyperexcitabilité, troubles du tonus, troubles de la succion et de la déglutition, augmentation du rythme respiratoire et distension abdominale, perturbations du sommeil. Ce tableau régresse en quelques semaines. 

Il existe aussi un risque accru d'asphyxie pernatale (ph < 7,10 ; lactates > 6,35 mmol/l, Apgar < 7 à 5 minutes). 

Le pédiatre de maternité doit avoir été averti de la naissance, et doit être appelé. 


Allaitement

La tératogénicité de l'alcool persiste dans les premiers mois de la vie. Les dosages d'alcool dans le lait maternel sont identiques à ceux réalisés dans le sang maternel. L'allaitement est donc à déconseiller si l'intoxication se poursuit. 


Dans le post-partum 

La surveillance est à renforcer, car le post-partum représente une période de particulière fragilité ; des problèmes de prise en charge de l'enfant peuvent conduire la femme à reconsommer ou à majorer sa consommation. Le soutien de la Protection maternelle et infantile (PMI), des travailleurs sociaux, des structures d'aides est ici particulièrement utile. 


Suivi de l'enfant 

Un suivi de l'enfant pendant plusieurs années est nécessaire, pour déceler les troubles neurocomportementaux et les prendre en charge par une rééducation appropriée.



Point important
Le coût moyen de la prise en charge médicosociale d'un enfant présentant un SAF, entre la naissance et son sixième anniversaire, est estimé à 116 628 euros à ce jour.

Autres grossesses 
Les autres grossesses comportent un risque important de récidive : après un premier enfant atteint d'un SAF, le risque d'atteinte de l'enfant suivant est de 80 %. Il faut donc bien sûr mettre tout en œuvre, par une prise en charge multidisciplinaire, pour éviter cela. 


Conclusion : alcool, grossesse et santé publique 


Point important

Le dépistage de la consommation maternelle d'alcool est une nécessité de santé publique. Il doit conduire au message « zéro alcool pendant la grossesse ». 


Une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en septembre 2001 conclut : « Il est conseillé aux femmes enceintes de ne pas boire de boissons alcooliques pendant la grossesse. » La Société française d'addictologie conseille également l'abstinence et réaffirme le rôle du professionnel de santé dans la diffusion de ce message . Favoriser la diffusion du message d'abstinence à l'ensemble de la population des femmes enceintes est primordial, l'impact de l'intervention brève en termes de diminution de la consommation des buveuses modérées ayant été démontré. 

Depuis 2004, une série de mesures a été mise en œuvre pour prévenir le SAF et la consommation d'alcool pendant la grossesse. Un message sanitaire de prévention recommandant l'absence de consommation d'alcool durant la grossesse est apposé sur les étiquettes des boissons alcooliques, conformément à l'amendement Payet de 2005 (articleL. 3322-2 du Code de santé publique complétant les dispositions de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique en matière de consommation d'alcool chez les femmes enceintes). 

À partir de 2006, l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES) a initié des campagnes de sensibilisation des professionnels de santé (gynécologues, sages-femmes et personnels de la PMI) aux risques fœtaux engendrés par la consommation d'alcool, relayées par des campagnes d'information auprès du grand public. La refonte du carnet de santé de maternité en juillet 2007 mentionne les dangers de l'alcool. 

Sur le plan national, un guide s'inscrit dans un axe du plan gouvernemental 2008-2011 :Préserver la santé de l'enfant à naître et de la mère et prendre en compte les spécificités des femmes usagers de drogues et d'alcool. 
L'amélioration des connaissances des personnels hospitaliers sur les addictions, notamment pendant la grossesse est une priorité. La circulaire n̊ DGOS/RH4/2011/210 du 6 juin 2011 définit les orientations nationales de formation 2012. 

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