jeudi 18 juillet 2013

COEUR ET GROSSESSE





Introduction

La prévalence de l'association d'une cardiopathie et d'une grossesse représente 0,4 à 4,1 % des femmes en âge de procréer . Ces chiffres restent stables dans les séries publiées, encore qu'une évolution à la baisse se fasse jour selon la nature de l'atteinte cardiaque. En effet, actuellement, les données épidémiologiques montrent une régression du nombre de cardiopathies rhumatismales non opérées au profit des valvulopathies corrigées. Il en va de même pour les cardiopathies congénitales dont la prise en charge et la correction sont plus précoces qu'auparavant, ce qui leur permet d'atteindre l'âge de procréation.
Certaines de ces cardiopathies, peu nombreuses à ce jour, n'autorisent pas l'état gravidique en raison du risque extrême maternofoetal. Elles regroupent les myocardiopathies très évoluées avec insuffisance cardiaque classe III-IV de la NYHA (New York Heart Association), les cardiopathies malformatives symptomatiques corrigées ou non et celles présentant une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) sévère. 
Actuellement, la plupart des patientes porteuses d'une cardiopathie bénéficient d'une contraception provisoire qui permet de déterminer une date optimale de la grossesse pour un meilleur contrôle du risque gravidocardiaque. La stabilité thérapeutique et la tolérance de la cardiopathie sous-jacente sont les garants d'une grossesse sans encombre. Pour atteindre cet objectif, une planification et une surveillance pluridisciplinaire doivent être précocement entreprises. 
Nous consacrons notre réflexion aux modifications cardiocirculatoires induites par la grossesse, aux risques gravidocardiaques encourus et à leurs mécanismes, conséquences, traitements respectifs. 
L'association d'une cardiopathie et d'une grossesse constitue un problème fréquent qui justifie une prise en charge clinique, thérapeutique et une surveillance adaptée faisant intervenir le médecin généraliste, le cardiologue et le gynécologue-obstétricien. 



Modifications cardiocirculatoires physio-logiques pendant la grossesse et le péripartum 


De nouvelles contraintes cardiovasculaires résultent de la grossesse et du péripartum. Elles sont à l'origine de l'instabilité clinique et hémodynamique de certaines cardiopathies.


Modifications hémodynamiques 

Au cours de la grossesse 

On observe des perturbations de l'équilibre hormonal marquées par une élévation des taux plasmatiques de progestérone et de prostaglandine E2 qui entraînent une chute des résistances systémiques. Ces hormones provoquent une vasodilatation et une augmentation de la capacité du système vasculaire périphérique. On constate conjointement une augmentation de la sécrétion d'aldostérone responsable d'une rétention hydrosodée extracellulaire. Tous ces facteurs hormonaux apparaissent dès le début de la grossesse et concourent à l'augmentation rapide de la volémie. L'élévation des volumes plasmatiques et globulaires peut, à terme, atteindre 50 % de leur valeur de base. L'équilibre hémodynamique pergravidique passe nécessairement par la majoration du débit cardiaque. On l'explique par l'inflation de la masse sanguine, la baisse des résistances périphériques, le développement placentaire réalisant un shunt périphérique entre les artérioles placentaires et les lacunes, ce qui entraîne une réduction de la différence artérioveineuse, et par un gain de contractilité myocardique oestrogénodépendant. L'accroissement du débit cardiaque est précoce et important, atteignant 30 % à la 12esemaine de grossesse avec un pic à 40 % vers la 24e semaine ; des chiffres hémodynamiques supérieurs de 10 à 15 % s'observent en cas de gémellité. Le débit cardiaque est modulé par des circonstances mécaniques variant selon la position des patientes. Ainsi, une élévation s'observe en décubitus latéral gauche, liée à l'absence de compression de l'utérus gravide sur la veine cave inférieure, facteur de diminution du retour veineux.

Au cours du péripartum 

Le travail augmente le débit cardiaque et la pression artérielle. Chaque contraction utérine entraîne une chasse brutale de la circulation maternelle d'environ 300 à 500 mL de sang. À cet instant, l'élévation du débit cardiaque est en rapport avec l'augmentation du volume d'éjection systolique, alors que la fréquence cardiaque tend à diminuer. Pour atténuer les brusques variations du débit cardiaque pendant l'accouchement, on préconise le décubitus latéral gauche qui améliore le retour veineux. Quel que soit le mode de l'anesthésie, elle en diminue le degré. Lors de l'expulsion, le débit cardiaque peut augmenter brutalement de 30 %. Dans le post-partum, le débit cardiaque, les résistances vasculaires périphériques, ainsi que le volume sanguin se normalisent en 4 à 6 semaines.


Modifications de la coagulation


La grossesse et le péripartum s'accompagnent d'un état d'hypercoagulabilité par augmentation des facteurs prothrombotiques : prothrombine, proconvertine, facteurs antihémophiliques A et B, facteur Stuart, fibrinogène, majoration de l'adhésivité plaquettaire et enfin diminution de l'antithrombine 3. À ces modifications biologiques se mêlent des variations hémodynamiques qui, dans le cadre d'une cardiopathie, potentialisent le risque de thrombose. L'utérus gravide par compression cave diminue le retour veineux. Ce facteur mécanique aggrave la stase sanguine, elle-même à l'origine d'une insuffisance veineuse superficielle et d'une potentialisation du risque thromboembolique. 


Modifications cliniques 


La grossesse normale s'accompagne généralement d'un syndrome hyperkinétique. Une tachycardie et un souffle systolique éjectionnel sont habituellement présents (90 % des cas) à l'examen clinique, avec parfois un dédoublement des bruits cardiaques. Une tension artérielle basse, ne dépassant pas 130/80 mmHg, et des oedèmes des extrémités complètent l'expression clinique. L'électrocardiogramme montre une horizontalisation du coeur avec déviation axiale gauche ou droite, ainsi que des atypies de la repolarisation. L'échocardiographie retrouve un état hyperkinétique et constate parfois dans le dernier trimestre un épanchement péricardique en règle modéré (40 % des cas) qui, toujours transitoire, disparaît après l'accouchement. 


Risques de la grossesse chez la cardiaque


Bien que chez la femme cardiaque le taux d'accidents gravidocardiaques ait diminué depuis une quinzaine d'années, un certain nombre de risques persistent. 


Risques maternels 

Insuffisance cardiaque
Bien qu'actuellement plus rare, ce risque peut survenir tôt dans la grossesse selon la sévérité de la cardiopathie ou révéler une cardiopathie méconnue ou insuffisamment contrôlée sur le plan thérapeutique. Il découle de l'augmentation du débit cardiaque et de l'état hypervolémique pergravidique, ou encore survient à la faveur d'une embolie pulmonaire ou d'une arythmie. Sa gravité dépend de la nature et de la sévérité de la cardiopathie sous-jacente. La décompensation cardiaque peut revêtir toutes les formes cliniques, de la simple dyspnée d'effort à l'oedème pulmonaire aigu ou subaigu, de l'insuffisance cardiaque droite, gauche ou mixte parfois jusqu'au choc cardiogénique. Elle peut apparaître pendant la grossesse, l'accouchement et le post-partum immédiat, mais s'exprime volontiers au cours du deuxième semestre. Elle impose l'hospitalisation immédiate et l'instauration d'un traitement médical. 


Embolie pulmonaire 

L'état gravidique accentue le risque thromboembolique chez la femme saine et plus encore chez la femme cardiaque. La conjonction d'une insuffisance veineuse avec stase sanguine et d'un état d'hypercoagulabilité fait le lit de l'embolie pulmonaire. Elle survient à toute période de la grossesse mais s'observe fréquemment dans le péripartum et surtout dans les suites de couches. Sa prévention fait appel aux anticoagulants administrés après estimation du risque en période gravidique et systématiquement au cours du post-partum. 


Endocardite bactérienne 

Elle reste une complication exceptionnelle des valvulopathies fuyantes, mitrales et aortiques, ainsi que des canaux artériels. Elle représente une complication élective du péripartum et doit être prévenue dans certains cas par une antibiothérapie .


Risques foetaux 


Ils dépendent de l'âge maternel, du type de cardiopathie, de la présence d'une insuffisance cardiaque ou d'une arythmie complète par fibrillation auriculaire, de l'existence d'un traitement anticoagulant, mais ils sont aussi indissociables du statut socioéconomique de la patiente : le degré et la stabilité de la cardiopathie maternelle conditionnent le risque de prématurité et d'hypotrophie foetale. En dehors des cardiopathies cyanogènes non corrigées, les taux d'avortement spontané et de mortalité foetale tendent à rejoindre ceux des femmes saines. Dans ce cas précis, le taux d'hématocrite et l'hypoxémie modulent le risque foetal.

Le traitement anticoagulant, indispensable dans certaines situations (prothèse valvulaire, maladie thromboembolique), est un des éléments potentialisateurs du risque foetal. Il est à l'origine d'accident hémorragique foetal et de mort périnatale auxquels s'ajoute le risque d'embryopathie coumarinique (4 à 5 %) lorsque les antivitamines K (AVK) sont administrés entre la 4e et la 12e semaine de grossesse. 


Risques liés aux prothèses valvulaires 


Le risque thromboembolique dépend du type et de l'état de la prothèse valvulaire, de la nature et du niveau d'anticoagulation, et enfin de l'état myocardique sous-jacent . Il est plus important sur les prothèses mécaniques que sur les bioprothèses, et la position mitrale engendre un risque supérieur à la situation aortique. Il est ainsi décuplé chez la femme enceinte porteuse d'une prothèse mécanique en position mitrale . Au risque thromboembolique s'associe au cours de la grossesse un risque accru de dégénérescence prothétique touchant essentiellement les valves biologiques. Le traitement anticoagulant utilisé pour les prothèses valvulaires expose à un risque d'accident hémorragique au cours de la délivrance. 


Cardiopathies valvulaires 


Les valvulopathies rhumatismales sont encore la première cause de cardiopathie chez les patientes en âge de procréer. L'accident gravidocardiaque le plus fréquent reste l'oedème pulmonaire aigu survenant électivement au dernier trimestre de la grossesse ou après le travail, mais il ne doit pas faire oublier le risque d'endocardite. L'échodoppler cardiaque permet, en cours de gestation, une évaluation précise du trouble valvulaire et est utilisé comme outil de surveillance.


Rétrécissement mitral 


C'est la valvulopathie chronique rhumatismale la plus fréquente de la grossesse, représentant actuellement la moitié des cardiopathies valvulaires . Le rétrécissement mitral (RM) est le plus souvent méconnu et se manifeste cliniquement pendant la grossesse. Physiologiquement, l'élévation de la fréquence cardiaque et de la masse sanguine au cours de la grossesse accroît notablement le gradient valvulaire mitral. On comprend alors que la survenue de signes d'insuffisance cardiaque gauche, voire droite, constitue le risque majeur des sténoses mitrales. Au-delà du risque hémodynamique, le RM, même modérément serré, peut se compliquer d'accident rythmique, le plus souvent une arythmie complète par fibrillation auriculaire avec un risque secondaire d'embolie systémique. L'embolie pulmonaire peut également compliquer une sténose mitrale. Dans le cas idéal où la grossesse est planifiée, un RM significatif peut être traité par angioplastie endoluminale avant la conception pour obtenir une surface valvulaire compatible avec l'état gravidique. Dans le cas contraire, l'approche thérapeutique des sténoses mitrales au cours de la grossesse vise à s'opposer aux conséquences hémodynamiques de la grossesse, et a donc pour but de réduire la fréquence cardiaque et de diminuer le volume sanguin. Pour cela, on dispose au mieux des bêtabloquants, mais l'on peut également employer, particulièrement en cas de fibrillation auriculaire, les digitaliques afin de réduire la cadence ventriculaire. Si la sténose mitrale est symptomatique, on préconise un traitement digitalique et diurétique, assorti d'un régime désodé strict et d'un repos suffisant. La majorité des patientes enceintes présentant une sténose mitrale modérée à sévère est contrôlée par un traitement médical. Si l'état reste réfractaire, on peut réaliser une valvuloplastie mitrale percutanée quel que soit l'âge de la grossesse (guidée par l'échocardiographie), avec une relative sécurité pour la mère (1 %) et en protégeant le foetus de l'irradiation par un tablier de plomb sur le ventre de la mère (environ 7 %). Une commissurotomie mitrale chirurgicale ou un remplacement valvulaire sont à réserver aux sténoses mitrales sévères et symptomatiques résistant au traitement médical (surface mitrale inférieure à 1 cm2), pour lesquelles un geste percutané est contre-indiqué ou irréalisable (risque foetal d'environ 25 %). Pour les grossesses menées à terme, l'accouchement par voie basse est un moment à risque qui doit être réalisé sous anesthésie péridurale afin d'atténuer les efforts d'expulsion. L'accouchement sous anesthésie péridurale est à réserver aux formes peu ou modérément sténosantes, en l'absence d'anticoagulation, sinon il est réalisé par césarienne sous anesthésie générale. Dans le cas où la situation hémodynamique reste précaire en post-partum, une commissurotomie à coeur fermé peut être réalisée, le plus souvent par valvuloplastie percutanée.


Insuffisance mitrale 


Mieux supportée pendant la grossesse que la sténose mitrale du fait d'une diminution de la postcharge par diminution des résistances vasculaires systémiques, l'insuffisance mitrale (IM) expose rarement au risque d'insuffisance cardiaque, de troubles du rythme supraventriculaires et de complications thromboemboliques, mais fait peser la menace d'une endocardite infectieuse du post-partum. Dans la majorité des cas, le repos, le régime hyposodé, associés au traitement médicamenteux suffisent à contrôler une régurgitation mitrale importante. L'association de digitaliques et de diurétiques est le plus souvent utilisée. Les vasodilatateurs artériels de type hydralazine peuvent être d'une aide précieuse pour contrôler l'instabilité. Dans le cadre d'une IM sévère, l'indication d'une réparation valvulaire chirurgicale est portée avant la grossesse chez les patientes en âge de procréer. Dans les cas de fuites sévères et résistantes au traitement médical, une réparation pergravidique sous circulation extracorporelle est indiquée mais reste grevée d'une mortalité foetale de 50 %. Le prolapsus valvulaire mitral confirmé par échocardiographie touche 2 % des femmes en âge de procréer. Dans ses formes rythmiques, il est particulièrement recommandé de prescrire un traitement bêtabloquant. La période de l'accouchement doit être impérativement entourée d'une prophylaxie de l'endocardite. La maladie mitrale expose aux mêmes risques gravidiques que les valvulopathies mitrales précédemment décrites, bien qu'elle soit en général mieux tolérée.


Valvulopathie aortique


L'insuffisance aortique pure suit le même profil évolutif que les régurgitations mitrales par le biais de la réduction des résistances vasculaires systémiques et l'augmentation de la fréquence cardiaque qui réduisent le temps de diastole. Les fuites aortiques exposent cependant au risque d'endocardite bactérienne, d'insuffisance coronaire fonctionnelle et d'insuffisance ventriculaire gauche. Chez les patientes symptomatiques, un traitement digitalique et diurétique, associé à l'hydralazine, peut permettre un bon contrôle de la valvulopathie. 

Le rétrécissement aortique peut se manifester au cours de la grossesse par des signes d'insuffisance cardiaque gauche, d'insuffisance coronaire ou encore par une syncope. L'état gravidique est bien toléré si la surface aortique est supérieure à 1 cm2. En cas de rétrécissement aortique serré et de symptomatologie résistante au traitement médical, on peut envisager exceptionnellement un remplacement valvulaire aortique ou une valvuloplastie percutanée à tout moment.


Prothèse valvulaire et grossesse 


La survenue d'une grossesse chez une porteuse de prothèse valvulaire expose la mère à des complications thromboemboliques et hémorragiques, et l'enfant à des risques hémorragiques et tératogènes. La prothèse valvulaire augmente le risque maternofoetal pour des raisons qui diffèrent selon le type de prothèse, l'existence et la nature d'un traitement anticoagulant, et qui dépendent de l'état hémodynamique sous-jacent. 


Concernant la mère, l'état gravidopuerpéral accroît le risque thromboembolique des prothèses valvulaires et favorise dans 9,5 à 16 % des cas une dégénérescence prématurée des bioprothèses. Chez les patientes porteuses de bioprothèse, il ne semble pas que l'incidence d'événements thromboemboliques soit augmentée par la grossesse. En revanche, en présence de valve mécanique, le risque de thrombose et d'accidents emboliques est nettement majoré. Ces accidents sont plus fréquents sur les prothèses mécaniques en position mitrale (1 %) qu'en position aortique (4,5 %) ; de même, les prothèses à disque (26 %) sont plus thrombogènes que les prothèses à bille (15 %) ou à ailette (7 %). Ce risque est majoré en présence d'une fibrillation auriculaire sous-jacente . Par ailleurs, le risque thromboembolique maternel dépend du type d'anticoagulation : il est quatre fois supérieur sous héparine que sous AVK. Le traitement anticoagulant augmente l'incidence des hémorragies maternelles, en particulier pendant le péripartum.


Concernant le foetus, l'anticoagulation des prothèses valvulaires l'expose à un risque malformatif et hémorragique. L'emploi des AVK engendre un risque spécifique d'embryopathie coumarinique (4 à 10 % selon les séries) particulièrement entre la 6e et la 12e semaine de gestation (malformations épiphysaires et shunts intracardiaques). Contrairement aux AVK, l'héparine ne franchit pas la barrière placentaire et n'entraîne pas d'effet tératogène foetal, mais elle expose au risque d'ostéoporose et de thrombopénie. Les anticoagulants sont sources d'accidents hémorragiques foetaux se traduisant par des avortements spontanés, des morts in utero, ou encore des hémorragies cérébroméningées. Le taux de ces événements varie selon le type de prothèse ; à titre d'exemple, 80 % des grossesses menées sous bioprothèse (quel qu'en soit le siège) aboutissent à la naissance d'un enfant normal, contre seulement 53 % lors d'une grossesse menée sous prothèse valvulaire mécanique. 

Une attitude thérapeutique consensuelle en cas de grossesse chez les porteuses de prothèse valvulaire mécanique s'est dégagée pour réduire l'incidence des accidents foetomaternels. Elle comporte soit l'arrêt le plus tôt possible des AVK afin de réduire le risque d'embryopathie, qui doivent être substitués par de l'héparine non fractionnée sous-cutanée à doses efficaces (temps de céphaline activé entre 2 et 2,5), poursuivie jusqu'à la 12e semaine, puis de nouveau remplacée par les AVK après cette période (les formes fractionnées d'héparine n'ont pas encore l'autorisation de mise sur le marché dans cette indication), soit comme alternative la poursuite des AVK pendant toute la grossesse sans changement (international normalized ratio maintenu entre 2 et 3), jusqu'à la 36e semaine d'aménorrhée, afin de limiter les risques thrombotiques. Dans tous les cas, l'héparinothérapie est reprise en règle au début du neuvième mois, puis interrompue au mieux 48 heures avant l'accouchement pour contrôler le risque hémorragique obstétrical et foetal de l'accouchement et de la délivrance. Les AVK sont repris précocement en post-partum et autorisent l'allaitement maternel car le métabolite excrété dans le lait n'est pas anticoagulant (au moins dans le cas de la warfarine). 
Le risque infectieux doit être évalué selon l'état de la prothèse, la présence d'une valvulopathie associée et le terrain, en particulier socioéconomique. La conférence de consensus sur la prophylaxie de l'endocardite n'a pas retenu d'indication systématique à une antibioprophylaxie systématique en cas de prothèse valvulaire. 


Cardiopathies congénitales 

On distingue les cardiopathies malformatives non cyanogènes avec ou sans shunt qui autorisent habituellement la grossesse, des cardiopathies cyanogènes qui la contre-indiquent formellement en l'absence de réparation préalable. 


Cardiopathies non cyanogènes 


Les shunts gauche-droite corrigés (communication interventriculaire, interauriculaire et canal artériel) permettent une grossesse normale avec cependant un risque de trouble du rythme auriculaire non négligeable. En l'absence de correction, si la malformation ne s'accompagne pas d'HTAP dont le risque est la cyanose par inversion du shunt, les grossesses sont généralement bien tolérées. Les communications interventriculaires et les shunts artériels justifient une antibioprophylaxie oslérienne lors de l'accouchement. 

Les cardiopathies cyanogènes avec obstacle à l'éjection ventriculaire et septum interventriculaire intact (sténose pulmonaire ou aortique congénitale) s'accompagnent d'un risque de décompensation cardiaque dans les formes serrées (> 50 mmHg de gradient maximal). De même, lorsqu'elle est serrée, la coarctation aortique peut être responsable d'une insuffisance ventriculaire gauche et expose de surcroît au risque de dissection aortique, voire d'hémorragie cérébrale en cas d'hypertension artérielle (HTA) systémique sévère. Une cure chirurgicale est possible en cas de complication sévère. 


Cardiopathies cyanogènes 


Le risque est à évaluer en fonction du degré d'HTAP et de cyanose. En cas de syndrome d'Eisenmenger, l'état gravidique est formellement contre-indiqué et doit conduire à une stérilisation définitive. La tétralogie de Fallot non opérée (shunt droite-gauche) comporte des risques considérables d'avortement spontané qui dépendent du taux d'hématocrite, de l'importance de l'hypoxie et de l'HTAP. Corrigée complètement par voie chirurgicale, cette cardiopathie autorise des grossesses normales. Cependant, des troubles conductifs sévères sont possibles chez les patientes qui conservent un trouble de conduction intraventriculaire après l'intervention. De même, en cas de mise en place d'un conduit prothétique ventriculoartériel, l'accouchement doit bénéficier d'une prophylaxie antibiotique oslérienne. L'anomalie d'Ebstein est habituellement compatible avec le désir de grossesse, moyennant un risque élevé de prématurité de l'enfant et de troubles rythmiques et d'endocardite chez la mère. Dans le cas particulier de la transposition des gros vaisseaux, les techniques chirurgicales de réparation palliative type Mustard ou Senning et, plus récemment, de correction anatomique complète par switch artériel avec réimplantation des coronaires, permettent le plus souvent de mener une grossesse à terme avec cependant un risque de troubles du rythme auriculaires parfois sévères. 

Certaines de ces cardiopathies malformatives (tétralogie de Fallot, defect septoatrial, communication interauriculaire et anomalie d'Ebstein) comportent en plus la possibilité d'un risque de récurrence pour l'enfant de 5 à 15 %.


Myocardiopathies 


Cardiomyopathie dilatée 

On distingue deux entités. 


Cardiomyopathie dilatée préexistante : elle est souvent aggravée par la grossesse et nécessite systématiquement une réévaluation thérapeutique. Elle justifie une majoration du traitement diurétique et vasodilatateur, et contre-indique de façon absolue la grossesse si elle s'accompagne d'une HTAP élevée, d'une dysfonction ventriculaire gauche sévère ou encore d'une instabilité clinique importante (classes II-IV de la NYHA). 


Cardiomyopathie du péripartum (syndrome de Meadows) : c'est une affection rare qui représente 10 % des myocardiopathies de la femme et atteint particulièrement les patientes de race noire ou de situation socioéconomique défavorable. Elle peut survenir dans les premiers mois de la grossesse et jusqu'au sixième mois du post-partum ; son évolution est variable, allant de la régression complète (12 à 60 % des cas) en 1 à 6 mois, à la chronicité. Elle expose à un taux de décès important (5 à 20 %). L'étiopathogénie reste inconnue (carentielle, immunologique, infectieuse). Le traitement médical est celui de l'insuffisance cardiaque, associant un repos strict, un régime désodé, un traitement diurétique, digitalique, la prescription d'un inhibiteur de l'enzyme de conversion (à éviter pendant la grossesse car les enzymes de conversion sont tératogènes et responsables de dysfonctions rénales) et éventuellement d'un traitement anticoagulant. Le traitement immunosuppresseur a une efficacité très irrégulière. En cas d'échec thérapeutique, on peut envisager une transplantation (10 % des cas), urgente ou programmée. La possibilité d'une embolie pulmonaire est fréquente et conduit à maintenir un traitement anticoagulant pendant la grossesse. 

L'administration de bêtamimétiques doit être prudente en cas de myocardiopathie dilatée du fait du risque de décompensation cardiaque gauche décrite après emploi de fortes doses pour menace d'accouchement prématuré.


Myocardiopathie obstructive 


Les formes minimes et modérées se comportent sans complication pendant la grossesse, notamment parce que l'obstacle dynamique intraventriculaire gauche est diminué par l'hypervolémie gravidique. Le régime désodé et les bêtabloquants permettent d'éviter les complications, notamment rythmiques. En cas de contrôle insuffisant par les bêtabloquants, il peut leur être associé des diurétiques et des antagonistes calciques pour corriger les symptômes. Seules les formes obstructives sévères ou présentant une dysfonction ventriculaire diastolique symptomatique peuvent nécessiter l'interruption de la grossesse. 

Parce qu'il existe un risque d'endocardite accru dans ces formes obstructives, notamment chez les patientes présentant une valvulopathie mitrale associée, une antibioprophylaxie est conseillée pendant l'accouchement et la délivrance.


Cardiopathies ischémiques


D'incidence rare en période d'activité génitale, elles s'observent essentiellement en cas d'hypercholestérolémie essentielle majeure ou dans les formes athérothrombotiques de la contraception orale. Les formes spastiques survenant au cours de la grossesse ont été décrites, de même qu'il existe de rares cas de dissection coronaire spontanée. Le diagnostic d'une cardiopathie ischémique conduit à l'introduction de bêtabloquants et à un accouchement en centre spécialisé. 


Troubles rythmiques 


La gestation avec ou sans cardiopathie sous-jacente favorise l'émergence de troubles rythmiques et particulièrement les tachycardies par rythme réciproque. L'état gravidique limite l'usage des antiarythmiques en raison du risque de toxicité foetale. Les quinidiniques, les bêtabloquants, les digitaliques, l'adénosine, largement employés dans ces indications, ont fait la preuve de leur innocuité. L'amiodarone reste contre-indiquée du fait de son potentiel foetotoxique par passage transplacentaire ; cependant, en cas de troubles du rythme ventriculaire graves, elle peut être maintenue. La survenue d'une grossesse chez une femme atteinte d'un bloc auriculoventriculaire (BAV) isolé complet ou de haut degré est très rare. Les BAV congénitaux sont le plus souvent bien tolérés en période gravidique si la fréquence cardiaque est supérieure à 40/min. Ce n'est qu'en cas de mauvaise tolérance (insuffisance cardiaque, lipothymie, syncope) qu'ils justifient l'implantation d'un stimulateur pendant la grossesse. Dans les cas de BAV acquis de la femme enceinte, le pronostic est moins bon en raison de la cardiopathie sous-jacente, de la fréquence particulière des néphropathies gravidiques associées et de la forte proportion d'enfants dysmatures. 


Dissection aortique 


La grossesse constitue un facteur fréquemment incriminé dans la genèse des dissections aortiques. Elles surviennent le plus souvent au troisième trimestre de gestation, à la faveur d'une multiparité. D'autres pathologies y prédisposent, telles qu'une maladie de Marfan, une coarctation aortique, une bicuspidie aortique ou un traumatisme. Néanmoins, l'état gravidique est un élément indépendant de risque de dissection aortique (70 % des cas) car il induit des modifications tissulaires hormonodépendantes. Une dilatation aortique de diamètre supérieur ou égal à 50 mm n'autorise pas la grossesse ; si elle apparaît en cours de gestation, elle conduit obligatoirement à l'instauration d'un traitement bêtabloquant et impose un accouchement par césarienne pour minimiser les à-coups hémodynamiques.


Hypertension artérielle pulmonaire primitive


Le risque gravidique des HTAP primitives comprend l'insuffisance cardiaque grave et la thrombose. Il s'accompagne d'un taux élevé de mort subite (40 %) justifiant préventivement l'interruption thérapeutique de la grossesse et la stérilisation définitive. 


Hypertension artérielle gravidique


On observe au cours de la grossesse un abaissement important des résistances périphériques qui, malgré l'élévation du débit cardiaque et de la masse sanguine, entraîne une diminution des chiffres tensionnels en deçà de 140/90 mmHg. L'HTA gravidique  se définit par la présence de chiffres tensionnels supérieurs et s'associe à un risque maternofoetal particulièrement élevé. Elle concerne 10 à 15 % des femmes enceintes et s'observe volontiers chez les primipares, sans antécédent vasculaire ou rénal, particulièrement après la 20e semaine de gestation. On l'attribue sur le plan physiopathologique à l'apparition d'une vasoconstriction et d'une hypovolémie, conséquence d'une ischémie utéroplacentaire. La vasoconstriction serait due à un déséquilibre prostaglandine-angiotensine II, induit par une sensibilité anormale à l'angiotensine II qui aboutit à l'élévation de la pression artérielle. Au-delà de son incidence sur la pression artérielle, l'ischémie utéroplacentaire peut être responsable de la libération de substances prothrombotiques. L'insuffisance placentaire est le point de convergence de nombreuses hypothèses étiologiques qui laissent à penser que son mécanisme est plurifactoriel (génétique, immunologique, pathologie vasculaire préexistante).


Les désordres hypertensifs de la grossesse s'articulent autour de trois signes principaux : le degré d'HTA, la protéinurie et la survenue d'oedèmes, ces derniers caractérisant les formes graves. Exceptionnellement, on observe un syndrome biologique nommé le syndrome HELLP (hemolysis elevated liver enzymes low platelet count) associant une hémolyse intravasculaire, une élévation des transaminases et une thrombopénie, auxquelles s'associe un mauvais pronostic foetal, voire maternel. Les complications de l'HTA gravidique sont multiples. Chez la mère, on peut voir survenir une éclampsie ou un hématome rétroplacentaire, souvent accompagnés d'une coagulation intravasculaire disséminée et d'une insuffisance rénale aiguë. Chez le foetus, il est à craindre un retard, voire un arrêt de croissance par défaut de perfusion pouvant conduire au décès in utero. 

Son traitement doit tenir compte des éléments de la physiopathologie bien qu'aucune thérapeutique visant à abaisser la pression artérielle n'ait modifié le pronostic foetal. Dans tous les cas, le décubitus latéral gauche doit toujours être associé au traitement médicamenteux. Le traitement obstétrical est le seul moyen de mettre fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles et justifie d'être mis en oeuvre sans hésitation dans les formes sévères lorsqu'il existe une souffrance foetale.


Quel médicament antihypertenseur utiliser ? 


Les diurétiques sont à déconseiller car ils diminuent le volume plasmatique déjà déficitaire dans ce cas particulier. Les antihypertenseurs centraux bénéficient de l'expérience et du recul les plus grands et leur efficacité, de même que leur innocuité, sont parfaitement établies. Les vasodilatateurs artériels tels que l'hydralazine bénéficient également d'une bonne efficacité. La prazosine, les bêtabloquants et les inhibiteurs calciques peuvent être utilisés. Néanmoins, ces derniers présentent une action tocolytique justifiant leur prescription prudente dans le péripartum. De nombreuses complications néonatales ont été rapportées avec les inhibiteurs de l'enzyme de conversion contre-indiquant ce type de produit au cours de la grossesse. 

Il faut souligner l'intérêt très discuté de l'aspirine à faibles doses pour la prévention de l'HTA gravidique dans les grossesses à risque. Elle a démontré une diminution inconstante de l'incidence de la toxémie, de césarienne et de retard de croissance foetale sans modification de la mortalité foetale et néonatale. 


Planification et prévention


La correction des valvulopathies, des cardiopathies congénitales cyanogènes ou à shunt gauche-droite important constitue le fondement de la prophylaxie des accidents gravidocardiaques. De même, l'établissement de protocoles thérapeutiques à l'encontre des valvulaires opérées a permis de limiter considérablement l'incidence des complications maternofoetales. 

La contraception hormonale ou mécanique, voire la stérilisation définitive, doivent intervenir pour permettre la planification des grossesses des femmes atteintes de cardiopathies afin d'en réduire les risques et pour en déterminer la période optimale en fonction du statut clinique et thérapeutique de la patiente.


Conclusion 


Les jeunes femmes en âge de procréer porteuses d'une cardiopathie soulèvent un certain nombre de problèmes liés aux modifications cardiocirculatoires de l'état gravidique. La prévention des accidents cardiaques, la détection précoce des cardiopathies acquises ou congénitales, la planification des grossesses et les progrès thérapeutiques permettent d'espérer une amélioration des conditions de gestation et une diminution progressive du risque maternofoetal. C'est également grâce à une collaboration pluridisciplinaire étroite que l'on peut amener ces patientes à vivre leur grossesse à terme dans les meilleures conditions. 

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