mardi 2 juillet 2013

COEUR ET OBESITE







Introduction:

Les complications cardiovasculaires au cours de l'obésité représentent la principale cause de mortalité des obèses. La fréquence de l'obésité ne cessant de croître dans notre pays, 11 % de nos concitoyens étant obèses et 41 % étant obèses ou en surpoids, l'obésité deviendra dans les prochaines années une des principales étiologies des pathologies cardiovasculaires.





Épidémiologie:

L'obésité est un facteur de risque indépendant de la maladie coronarienne, y compris les surcharges pondérales modérées. Entre un sujet avec un index de masse corporelle (IMC) normal et un patient dont l'obésité est morbide, la prévalence de la maladie coronarienne double chez l'homme et triple chez la femme. Une corrélation positive existe entre le surpoids et l'incidence des accidents coronariens, ainsi que la mortalité cardiovasculaire, même lorsque l'on tient compte de la pression artérielle, de la cholestérolémie, de l'intolérance aux hydrates de carbone et du tabagisme. De plus, l'obésité augmente le risque cardiovasculaire par son association aux autres facteurs de risques reconnus : hypertension artérielle (HTA), insulinorésistance, dyslipidémie et diabète. Le profil de répartition du tissu adipeux, et plus spécifiquement la quantité de graisse viscérale à l'origine de l'obésité androïde, majorent les anomalies métaboliques associées à l'obésité et donc le risque coronarien. Ainsi, un rapport taille sur hanche supérieur à 100 chez l'homme et à 94 chez la femme est associé à une augmentation du risque vasculaire. 
L'obésité joue également un rôle important dans la genèse de l'insuffisance cardiaque . L'obésité morbide, définie par un IMC supérieur à 40 kg/m2, est en effet reconnue comme un facteur de risque cardiaque de longue date. Trois études de communauté ont souligné le rôle joué par une élévation plus modérée de l'IMC dans l'augmentation du risque d'insuffisance cardiaque . Mais c'est là encore l'étude de Framingham qui a démontré que l'existence d'une surcharge pondérable supérieure à 30 % du poids idéal double le risque d'apparition d'une insuffisance cardiaque dans les deux sexes. Récemment, une nouvelle analyse de ces données a révélé l'effet délétère des surcharges pondérales moins marquées. Après ajustement sur les facteurs de risque traditionnels, chaque augmentation d'un point de l'IMC majore le risque de développer une insuffisance cardiaque de 5 % chez les hommes et de 7 % chez les femmes . Par rapport aux sujets à IMC normal (< 25 kg/m2), les patients obèses (IMC>30 kg/m2) ont deux fois plus de risques de développer une insuffisance cardiaque. Le risque d'apparition d'une insuffisance cardiaque s'élève proportionnellement avec la catégorie de l'IMC : normal, surcharge pondérale (IMC compris entre 25 et 30 kg/m2) ; obésité, le risque relatif se majorant significativement de 1,37 chez l'homme et de 1,46 chez la femme pour chaque augmentation de catégorie, et cela indépendamment des autres facteurs de risque d'athérosclérose. Seule l'existence d'une HTA diminue la force de cette relation unissant catégorie d'IMC et risque d'insuffisance cardiaque. Ainsi, l'obésité seule apparaît à l'origine de 11 % des cas d'insuffisance cardiaque chez l'homme et de 14 % chez la femme aux États-Unis.




Physiopathologie: 
Conséquences vasculaires de l'obésité: 



Le tissu adipeux, notamment viscéral, agit comme un tissu actif doté de propriétés endocrines, capable de synthétiser des facteurs athérogènes, pro-inflammatoires, dont les taux circulants sont influencés par l'état nutritionnel du patient, la quantité et la localisation de la masse grasse. Les sécrétions adipocytaires faisant le lien entre obésité et maladies vasculaires sont : l'adiponectine, l'endothéline, l'angiotensinogène et l'angiotensine 2,le tumour necrosis factor(TNF) α, l'interleukine (IL) 6 et le plasminogen activator inhibitor type1. Certains de ces peptides, comme l'angiotensine ou l'endothéline, possèdent un effet vasoconstricteur. Les peptides pro-inflammatoires, comme le TNFα ou les interleukines, provoquent des lésions vasculaires diffuses capables d'entraîner à terme une dysfonction endothéliale et des lésions d'athérosclérose. L'IL-6, qui partage les propriétés pro-inflammatoires du TNFα, potentialise ces dernières en stimulant la synthèse du fibrinogène par le foie et en agissant directement sur les plaquettes pour stimuler leur adhésion. Paradoxalement, l'adipocyte sécrète également des médiateurs dont les effets vasodilatateurs semblent bénéfiques (insuline, adrénomédulline). Les complications associées à l'obésité surviennent dès lors que le taux de ces peptides protecteurs diminue. Le mécanisme à l'origine de cette baisse reste inconnu. Récemment, un taux bas d'adiponectine a été associé à un risque accru de développer une HTA chez les patients obèses. Enfin, ces peptides sont aussi capables d'altérer les voies métaboliques glucidiques, avec développement d'une insulinorésistance, notamment le TNFα, ou lipidiques (dyslipidémie mixte), qui contribuent à leur tour à aggraver les lésions vasculaires. 
La coactivation au cours des obésités, surtout viscérales, d'autres systèmes dont les effets délétères sur les vaisseaux sont bien connus, comme le système rénine-angiotensine-aldostérone et le système sympathique, joue un rôle clé dans la rétention hydrosodée, le décalage vers la droite de la courbe pression sanguine artérielle-natriurèse, et donc dans l'élévation des chiffres tensionnels au cours de l'obésité. De plus, les peptides sécrétés par les adipocytes, à côté de leurs actions propres, possèdent des effets indirects sur ces systèmes. Ainsi, la leptine, vasodilatatrice, par l'intermédiaire d'une leptinorésistance, entraîne une vasoconstriction périphérique avec dysfonction endothéliale et potentialise l'effet vasoconstricteur de l'angiotensine 2, à côté de ses effets sympathoexcitateurs et pro-inflammatoires par majoration du stressoxydatif.




Hypertension artérielle et obésité: 
Les effets vasculaires des sécrétions adipocytaires, associés à l'activation des systèmes sympathique et rénine-angiotensine au cours de l'obésité, notamment androïde, rendent compte de la fréquence de l'HTA au cours de l'obésité, 30 % des obèses étant hypertendus. La relation poids-pression artérielle, qui est du même ordre d'intensité chez l'homme et la femme et diminue avec l'âge, démontrée dans les études épidémiologiques transversales et prospectives, est plus élevée en cas d'obésité androïde. De plus, 30 % des hypertendus deviennent obèses, ce qui souligne le lien étroit qui existe entre ces deux maladies. L'association à l'obésité androïde d'une HTA et d'anomalies métaboliques (intolérance au glucose et dyslipidémie) constitue le syndrome métabolique X et contribue aux lésions vasculaires associées à l'obésité, l'hyperinsulinisme secondaire à l'insulinorésistance étant associé à une activation du système nerveux sympathique. À côté de l'hyperactivité sympathique, on observe également une diminution du tonus vagal. Cette anomalie se retrouve dans un grand nombre d'affections cardiovasculaires (post-infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque) et s'associe à une augmentation de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires. Nous avons montré, sur un modèle de cardiomyocytes auriculaires de rat, que l'insuline, augmentée au cours de l'obésité, est aussi capable directement de diminuer la réceptivité muscarinique, la transduction adénosine monophosphate cyclique (AMPc) dépendante de cette voie parasympathique cardiaque, et ce de manière dose-dépendante, par modulation de la voie des mitogen activated protein (MAP) kinases. 




Conséquences cardiovasculaires des apnées du sommeil :
L'obésité est la principale cause des apnées du sommeil, 70 % des apnées obstructives survenant chez des obèses. Chez les sujets obèses et hypertendus, la prévalence des apnées du sommeil peut atteindre 40 %. Les nombreuses conséquences cardiovasculaires des apnées du sommeil aggravent le pronostic des patients obèses, en favorisant notamment l'apparition d'une hypertension artérielle. Il existe en effet une relation linéaire entre la gravité du syndrome apnéique et l'hypertension, chaque épisode apnéique par heure augmentant les risques d'hypertension de 1%. 
L'obstruction partielle du pharynx pendant les apnées obstructives a des conséquences mécaniques, hémodynamiques et biologiques défavorables sur le système cardiovasculaire. Les efforts inspiratoires de lutte contre l'obstacle pharyngé provoquent des chutes brutales de la pression intrathoracique, une augmentation du retour veineux, un déplacement du septum interventriculaire vers la gauche et une élévation de la pression ventriculaire gauche transmurale. L'hypoxie et les variations de la capnie majorent la stimulation sympathique et réduisent le tonus vagal, en stimulant les chémorécepteurs périphériques, provoquant une vasoconstriction, l'augmentation des résistances périphériques et de la postcharge ventriculaire, l'accélération de la fréquence cardiaque. Le réveil majore les décharges sympathiques, et s'accompagne de fortes accélérations cardiaques et de poussées tensionnelles. L'endormissement entraîne un nouveau collapsus du pharynx et le cycle apnée-réveil se reproduit plusieurs centaines de fois par nuit, soumettant l'ensemble du système cardiovasculaire à de brutales décharges sympathiques, confirmées par les dosages des concentrations urinaires des catécholamines. L'élévation de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque ne se limite pas à la période de sommeil et les contrôles par enregistrements ambulatoires confirment des élévations diurnes, délétères, de ces paramètres. De plus, des anomalies biologiques telle une augmentation du fibrinogène et de la viscosité sanguine, de la protéine C réactive, de l'interleukine 6, ont été rapportées, proportionnelles à la fréquence des apnées, ainsi que l'induction d'un stressoxydatif, de l'expression des molécules d'adhésion CD15 et CD11c au sein des monocytes. La dysfonction endothéliale dans un contexte inflammatoire augmente les concentrations d'endothéline, favorisant l'hypertension artérielle et l'athérogenèse. La succession d'épisodes d'hypoxie et de réoxygénation a des conséquences endothéliales similaires à celles des lésions de reperfusion, avec l'expression de radicaux libres, de molécules d'adhésion leucocytaires. L'augmentation de la réactivité endothéliale peut faciliter et accélérer les processus athérogènes . Sur le plan hémodynamique, l'élévation de la pression veineuse centrale provoque un oedème péripharyngé augmentant la résistance à l'influx aérien et créant un obstacle inspiratoire. De même, les élévations réitérées de la postcharge et de la contrainte pariétale, la tachycardie, induites par la stimulation sympathique, conjuguées à l'hypoxie et à l'augmentation de la consommation en oxygène myocardique, aboutissent à l'hypertrophie myocardique et au remodelage ventriculaire gauche. L'augmentation du travail ventriculaire et des besoins métaboliques du myocarde, alors que l'apport en oxygène est diminué, entraîne l'ischémie et la dysfonction ventriculaire. La perte de poids peut en partie normaliser ces anomalies, dont le traitement standard reste la pression positive expiratoire.




Conséquences hémodynamiques de l'obésité: 
L'obésité entraîne une élévation du débit cardiaque et une expansion du secteur intravasculaire pour répondre à une demande métabolique accrue liée à l'augmentation de la masse grasse. La majoration du volume sanguin total est en rapport avec une augmentation du lit vasculaire, essentiellement dans le tissu adipeux. Le volume plasmatique est ainsi élevé chez l'obèse. La fréquence cardiaque n'étant pas modifiée, la majoration du débit cardiaque est essentiellement secondaire à une augmentation du volume d'éjection systolique. L'élévation du débit cardiaque est en fait proportionnelle à l'augmentation de la surface corporelle, ainsi l'index cardiaque reste normal ou s'élève peu chez l'obèse. Les résistances vasculaires systémiques sont diminuées chez l'obèse normotendu, ainsi que l'activité rénine plasmatique. 
L'association d'une HTA à l'obésité modifie le profil hémodynamique. En effet, les résistances vasculaires systémiques, qui sont diminuées chez l'obèse normotendu, sont normales ou discrètement élevées chez l'obèse hypertendu. Le profil hémodynamique est cependant différent des patients hypertendus non obèses, chez qui existe une augmentation importance des résistances vasculaires systémiques. Ainsi, pour un même niveau tensionnel, les résistances vasculaires systémiques sont plus basses chez les sujets obèses que chez les sujets maigres. 
Les perturbations neurohormonales induites par l'obésité pourraient être à l'origine de ces altérations hémodynamiques. Chez les patients obèses, la résistance à l'insuline et à la leptine, hormone sécrétée par les adipocytes, associée à une suppression de l'activité biologique des peptides natriurétiques et à l'activation du système rénine-angiotensine tissulaire au sein du tissu adipeux, favorise la rétention sodée qui entraîne une majoration du volume plasmatique et donc du débit cardiaque . Au cours de l'obésité androïde, l'insulinorésistance, liée à l'augmentation de la graisse viscérale, en induisant un hyperinsulinisme est à l'origine d'une activation du système nerveux sympathique qui favorise l'apparition de l'hypertension artérielle, en entraînant une vasoconstriction et une augmentation de la rétention sodée . Les effets de la leptine et d'autres facteurs cardiaques comme l'atrial natriuretic peptide (ANP) sur le système nerveux sympathique pourraient également intervenir sur le contrôle tensionnel. Ainsi, l'ANP est capable d'agir sur la lipolyse du tissu adipeux, ce peptide étant plus lipolytique que les catécholamines. Là encore, par une activation sympathique locale et générale, ce peptide pourrait contribuer à la genèse de certaines complications cardiovasculaires associées à l'obésité. 




Conséquences myocardiques de l'obésité :
Modifications de la génomique: 
Les modifications hémodynamiques et hormonales liées à l'obésité vont profondément modifier l'expression du génome myocardique. À partir de banque d'acides désoxyribonucléiques complémentaires ordonnés, nous avons pu étudier les effets de l'obésité sur le profil de l'expression génique cardiaque. Chez des animaux obèses et hypertendus, très précocement, avant que n'apparaisse une hypertrophie ventriculaire gauche, nous avons pu montrer que les voie de signalisation affectées convergeaient vers l'augmentation du métabolisme énergétique mitochondrial, le remodelage de la matrice extracellulaire, les marqueurs de prolifération, les flux ioniques, calciques et sodiques, la voie du tumour growth factor (TGF) β et du TNFα. Ce remodelage varie au cours du temps et il existe une véritable cinétique de remodelage moléculaire au cours de l'engraissement qui explique en partie pourquoi l'exposition prolongée à une obésité aggrave le pronostic cardiovasculaire. Le remodelage matriciel et la prolifération préfigurent l'hypertrophie compensatrice future. La diminution de l'expression concomitante de sarcoendoplasmic reticulum calcium adenosine triphosphatase (SERCA) et de phospholamban, conjuguée à la diminution des pompes sodium-potassium-adénosine triphosphatase, pourrait entraîner une surcharge calcique et sodique favorisant l'apparition d'une dysfonction diastolique. Dans le ventricule, ces modifications du transcriptum évoluent profondément sur de courtes périodes, notamment la voie du TGFβ. Chez l'homme, l'étude comparative du profil transcriptionnel cardiaque de patients obèses, hypertendus ou non, nous a permis de confirmer que l'obésité était associée à un profil transcriptionnel propre. L'obésité et l'hypertension paraissent avoir des effets opposés sur la voie Wnt qui est impliquée dans le développement cardiaque, ce qui pourrait être à l'origine des réponses structurales différentes aux surcharges volumétriques et barométriques. 




Modifications structurales:
L'augmentation du volume sanguin total réalise une surcharge volumétrique qui, en entraînant une augmentation du volume et des pressions télédiastoliques ventriculaires gauches, conduit à une élévation de la précharge. Face à cette augmentation chronique de la précharge, le coeur s'adapte progressivement par une hypertrophie ventriculaire gauche de type excentrique. Celle-ci est caractérisée par un épaississement modéré des parois, retrouvé tant dans le septum que dans la paroi postérieure, associé à une augmentation du diamètre interne du ventricule gauche. Bien que l'hypertrophie ventriculaire gauche soit particulièrement fréquente chez les patients ayant une obésité massive, cette hypertrophie semble dépendre davantage de l'ancienneté et de la répartition de l'obésité que du degré de surcharge pondérale. Au cours de l'étude de Framingham, l'augmentation de l'IMC, après ajustement pour l'âge et la pression sanguine artérielle, est apparue comme un facteur prédictif indépendant d'hypertrophie ventriculaire gauche. La prévalence de l'hypertrophie ventriculaire gauche détectée par échocardiographie a été évaluée à 10 % parmi les sujets présentant un surpoids et à 30 % chez les obèses. 
L'association d'une HTA à l'obésité entraîne une élévation de la postcharge. Face à cette augmentation chronique de la postcharge, le coeur s'adapte par une hypertrophie de type concentrique. Celle-ci est caractérisée par un épaississement pariétal le plus souvent homogène concernant le ventricule gauche de façon symétrique, le septum comme le mur postérieur, associé à une diminution du diamètre interne du ventricule gauche. Ainsi, chez l'obèse, le type d'hypertrophie ventriculaire gauche dépend à la fois de la surcharge pondérale et de l'hypertension artérielle, de leur sévérité et de leur ancienneté. De multiples autres facteurs déterminent le degré de l'hypertrophie, comme l'âge, les facteurs génétiques et environnementaux, la sensibilité du système sympathique, les propriétés structurales des artères. Dans notre expérience portant sur 67 sujets présentant une obésité, morbide chez 30 d'entre eux, une hypertrophie ventriculaire gauche est retrouvée dans 23 % des cas (16 patients), plus souvent excentrique (81 %) que concentrique (19 %), le diamètre et le volume télédiastoliques étant significativement plus élevés chez les sujets dont l'obésité est morbide. 
Qu'elle soit excentrique ou concentrique, l'hypertrophie ventriculaire gauche au cours de l'obésité, si elle normalise les contraintes pariétales, va s'accompagner d'une altération précoce de la relaxation et de la compliance diastolique du ventricule gauche, alors que la fonction systolique reste longtemps normale, ainsi que d'une diminution de la réserve coronarienne. Plusieurs études échocardiographiques et doppler ont confirmé l'existence chez les patients obèses non hypertendus d'un allongement du temps de relaxation isovolumétrique et d'une altération des paramètres du remplissage ventriculaire, traduisant une diminution de la compliance. L'altération de la relaxation et de la compliance ventriculaires gauches est aggravée en cas d'association à une HTA. Au cours de l'obésité morbide, une altération du remplissage ventriculaire est ainsi retrouvée chez 50 % des sujets asymptomatiques. Au sein de la population générale, chez 1 274 sujets inclus dans l'étude MONICA, l'obésité est, à côté de l'HTA, de l'hypertrophie ventriculaire gauche, de la maladie coronarienne et du diabète, reliée à l'existence d'une anomalie de la fonction diastolique. 
À l'opposé, la fonction systolique d'éjection ventriculaire gauche est longtemps conservée tant que le coeur s'adapte par une hypertrophie adéquate à l'augmentation chronique de la précharge. La défaillance systolique du ventricule gauche ne survient que tardivement, quand l'hypertrophie n'est pas suffisamment importante pour faire face à l'augmentation de la précharge. Cette cardiomyopathie de l'obèse se traduit par une augmentation du rapport entre le diamètre et l'épaisseur du ventricule gauche, une diminution de la fraction d'éjection, et paraît plus fréquente au cours de l'obésité massive. Bien que certains auteurs aient suggéré que l'obésité pouvait entraîner une altération de la contractilité ventriculaire gauche, il semble cependant que la dysfonction ventriculaire gauche de l'obésité soit essentiellement en rapport avec les conditions de charge anormales. Récemment, un effet toxique d'un excès d'acide gras sur les myocytes a cependant été démontré, l'augmentation du contenu myocytaire en triglycérides pouvant favoriser l'apoptose. La fréquence de l'altération de la fonction systolique d'éjection au cours de l'obésité massive est en fait très diversement appréciée selon les données de la littérature, variant de quelques pour-cent à près de 40 %. La dysfonction ventriculaire gauche systolique de l'obèse dépend non seulement du degré de surcharge pondérale, mais également de l'ancienneté de l'obésité. Ainsi, une durée d'obésité supérieure à 15 ans est associée à une augmentation du rapport entre le rayon télédiastolique et l'épaisseur pariétale du ventricule gauche. La répartition du tissu adipeux semble également jouer un rôle, une augmentation plus importante des dimensions diastoliques du ventricule gauche ayant été retrouvée chez les patients présentant une obésité de type abdominal. L'association d'une HTA à l'obésité entraîne une augmentation simultanée de la pré- et de la postcharge du ventricule gauche. Cette action synergique, qui accroît le travail cardiaque, favorise l'apparition d'une altération de la fonction ventriculaire gauche.




Insuffisance cardiaque et obésité: 



Les conséquences hémodynamiques de l'obésité, qui restent le plus souvent cliniquement muettes, peuvent participer, aux côtés des complications respiratoires de l'obésité, à l'apparition d'une dyspnée d'effort. Deux types d'insuffisance cardiaque sont possibles : le plus souvent, il s'agit d'une dysfonction ventriculaire gauche diastolique, plus rarement d'une altération de la fonction systolique. 



Insuffisance cardiaque diastolique :
L'obésité constitue, à côté du vieillissement, de l'appartenance au sexe féminin, de l'HTA, de la maladie coronarienne et du diabète, une des principales causes d'insuffisance cardiaque à fonction systolique d'éjection conservée. Au cours de l'étude Framingham, parmi les patients ayant été explorés par échocardiographie au décours de leur premier épisode d'insuffisance cardiaque, le pourcentage de sujets présentant une altération de la fraction d'éjection (< 50 %) était de 65 % chez les patients en surcharge pondérale ou obèses, et de 75 % chez les sujets à IMC normal. L'insuffisance cardiaque à fonction systolique d'éjection conservée est donc plus fréquente chez les patients en surpoids ou obèses, chez qui elle est à l'origine de 35 % des décompensations cardiaques.




Insuffisance cardiaque systolique: 
Bien que chez l'obèse l'insuffisance cardiaque gauche à fonction systolique d'éjection altérée soit le plus souvent secondaire à une insuffisance coronarienne ou à une HTA, une insuffisance cardiaque congestive peut apparaître si l'hypertrophie ventriculaire gauche devient inadaptée aux conditions de charge, incapable de s'opposer à l'élévation des contraintes pariétales, en l'absence d'atteinte valvulaire ou coronarienne. Cette cardiomyopathie de l'obèse aboutit alors à un tableau de myocardiopathie dilatée, caractérisée au plan anatomique par une dilatation cavitaire, et au plan hémodynamique par une diminution de l'index cardiaque et une augmentation des pressions de remplissage ventriculaire gauche, pouvant aboutir au décès, soit par progression de l'insuffisance cardiaque, soit par mort subite. 
Une altération structurale et fonctionnelle du coeur droit peut également survenir, soit associée à l'atteinte cardiaque gauche au cours de la cardiomyopathie de l'obèse, soit secondaire à l'élévation des pressions pulmonaires liée au syndrome d'apnée du sommeil ou au syndrome d'hypoventilation alvéolaire compliquant l'obésité. 
Altérations des fonctions diastoliques et systoliques sont en fait le plus souvent associées au cours de la cardiomyopathie de l'obèse. L'étude échocardiographique de 24 patients porteurs d'une obésité morbide en insuffisance cardiaque, non hypertendus, retrouve en effet l'association d'une diminution de la fraction d'éjection et d'une altération des paramètres doppler du flux transmitral, avec au plan morphologique une dilatation des cavités cardiaques gauches et droites. L'ancienneté de l'obésité morbide apparaît dans cette étude comme le plus puissant facteur prédictif du risque d'insuffisance cardiaque. 
L'étude hémodynamique du coeur droit de 43 patients obèses présentant des symptômes d'insuffisance cardiaque congestive retrouve, par rapport à 409 insuffisants cardiaques à IMC normal, une augmentation des pressions cardiaques droites, du débit cardiaque et des résistances vasculaires pulmonaires. Chez l'ensemble des patients, l'IMC est positivement corrélé aux pressions cardiaques droites, au débit cardiaque, aux résistances vasculaires pulmonaires et à la pression systolique artérielle systémique. Une étiologie spécifique de l'insuffisance cardiaque est retrouvée uniquement chez 23 % des patients obèses contre 64 % des patients à IMC normal, soulignant l'importance de la cardiomyopathie de l'obèse. Cependant, l'analyse des études cas-contrôles des cardiomyopathies dilatées primitives suggère que l'obésité morbide n'augmente que de 10 % le risque de développer une cardiomyopathie dilatée . Quant aux cardiomyopathies restrictives, elles demeurent exceptionnelles au cours de l'obésité, caractérisées par une infiltration graisseuse des myofibrilles. De plus, cette maladie, appelée adipositas cordis, peut également intéresser des sujets à IMC normal.




Diagnostic :
Le diagnostic d'insuffisance cardiaque est rendu difficile par l'obésité. Les symptômes, comme la dyspnée, peuvent être tardifs du fait de la diminution de l'activité physique ou rapportés aux conséquences respiratoires de l'obésité. Les signes cliniques sont moins spécifiques, notamment les oedèmes, qui sont plus souvent que chez les sujets à IMC normal d'origine veineuse ou lymphatique. La diminution du voltage des complexes QRS peut gêner le diagnostic d'hypertrophie ventriculaire gauche à l'électrocardiogramme. L'existence d'une cardiomégalie sur le cliché thoracique doit être interprétée avec prudence. L'échocardiographie est réputée de réalisation difficile chez les obèses, mais reste le plus souvent réalisable. Le dosage du peptide natriurétique de type B (BNP), dont les valeurs sont basses chez les sujets obèses non insuffisants cardiaques malgré l'augmentation du volume plasmatique et donc de la précharge, prend ici tout son intérêt. En effet, dans une large cohorte issue de l'étude de Framingham, le poids était relié négativement avec le taux de BNP alors que l'âge, la pression artérielle systolique, la masse ventriculaire gauche et la fonction systolique ventriculaire gauche étaient corrélés positivement avec le taux de BNP. 




Pronostic :
Alors que, dans la population générale, l'obésité est associée à une élévation de la mortalité totale, attribuée essentiellement aux complications cardiovasculaires qu'elle engendre, chez l'insuffisant cardiaque avéré, l'existence d'une obésité apparaît associée à un meilleur pronostic. Non seulement une augmentation de l'IMC n'est pas reliée comme dans la population générale à une augmentation de la mortalité, mais elle tend à être associée à une survie plus prolongée. Au cours de l'étude ELITE-II, un IMC élevé est ainsi relié à une meilleure survie, les patients présentant une surcharge pondérale ayant le taux de mortalité le plus bas. Cette amélioration du pronostic de l'insuffisance cardiaque conférée par la surcharge pondérale ou l'obésité est en grande partie indirecte, expliquée par le mauvais pronostic des insuffisants cardiaques atteints de cachexie. Au cours de l'insuffisance cardiaque évoluée, l'activation de plusieurs systèmes endocriniens concourt en effet à un déséquilibre de la balance anabolisme/catabolisme . Les catécholamines, les cytokines pro-inflammatoires (TNFα, IL-6), la leptine et le cortisol entraînent une augmentation du métabolisme énergétique qui contribue à une fonte musculaire et au développement de la cachexie, aggravée par les anomalies de la voie somatotrope. L'augmentation des taux de TNFα et d'IL-6 avec la sévérité de l'insuffisance cardiaque explique l'état d'inflammation généralisée observé au cours de cette maladie. De plus, ces cytokines, qui possèdent des propriétés inotropes négatives, majorent la sécrétion de leptine, dont les taux circulants augmentent au cours de l'insuffisance cardiaque . Cependant, un effet bénéfique direct de l'obésité chez l'insuffisant cardiaque semble possible, induit par les modifications hémodynamiques de l'obésité qui abaisse les résistances vasculaires systémiques et donc diminue le travail du coeur défaillant. Une moindre activation neurohormonale et la sécrétion par le tissu adipeux de substances vasodilatatrices ou à activité métabolique pourraient également en être à l'origine. De plus, les patients insuffisants cardiaques obèses possèdent une réserve métabolique et énergétique plus importante.


Mort subite et obésité:

 La recherche de marqueurs électriques du risque de mort subite chez l'obèse reste difficile :

L'obésité favorise cependant la survenue de mort subite qui, au cours de l'insuffisance cardiaque, représente 40 % des modes de décès. Au cours de l'étude de Framingham, un risque élevé de mort subite a été mis en évidence chez les patients obèses. En cas d'obésité morbide, une augmentation de 40 fois du risque de mort subite a pu être rapportée. Chez les patients présentant un angor stable, un IMC supérieur à 27 kg/m2 est ainsi associé à une augmentation du risque de mort subite à long terme. L'origine de cet excès de mort subite lié à l'obésité est probablement multifactorielle. À côté de la maladie coronarienne, qui est probablement une cause importante de mort subite chez ces patients, et des anomalies des voies de conduction cardiaque, les troubles du rythme ventriculaire pourraient jouer un rôle clef. En effet, il a été montré que les arythmies ventriculaires sont plus fréquentes et plus complexes chez l'obèse ayant une hypertrophie ventriculaire gauche excentrique que chez l'obèse n'ayant pas d'hypertrophie ventriculaire gauche. La gravité des arythmies est corrélée avec la masse ventriculaire gauche et avec le diamètre télédiastolique du ventricule gauche. Au cours d'une analyse post-mortem réalisée chez 22 patients porteurs d'une obésité morbide décédés de mort subite, une cardiomyopathie dilatée est ainsi retrouvée chez près de la moitié d'entre eux (dix cas), les autres causes de mort subite apparaissant liées à une maladie coronarienne (six cas) ou à une hypertrophie ventriculaire gauche concentrique, sans dilatation cavitaire (quatre cas). Plusieurs mécanismes peuvent rendre compte du lien entre l'hypertrophie ventriculaire gauche et les arythmies ventriculaires : l'augmentation de la contrainte pariétale secondaire à l'hypervolémie liée à l'obésité, des phénomènes de réentrée secondaires à l'hypertrophie et à la fibrose myocardique, l'ischémie myocardique fonctionnelle liée à l'augmentation des besoins en oxygène du myocarde hypertrophié et à la diminution de la réserve coronarienne. Enfin, les altérations du système nerveux autonome, fréquentes chez l'obèse qu'il existe ou non un syndrome d'apnée du sommeil, pourraient jouer un rôle majeur dans le déclenchement d'arythmies ventriculaires fatales. 

• l'électrocardiogramme de surface peut retrouver une prolongation de l'intervalle QT en cas d'obésité abdominale, ainsi que chez la plupart des patients obèses ayant présenté une mort subite pendant la période périopératoire d'une chirurgie d'amaigrissement, alors qu'il n'a pas été observé d'allongement de la dispersion de l'intervalle QT chez les obèses ;

• l'électrocardiogramme haute amplification moyennage retrouve une fréquence plus élevée de potentiels tardifs ventriculaires chez les patients obèses (4,6 %) par rapport aux sujets de poids normal (0,5 %), la prévalence des potentiels tardifs augmentant avec la sévérité de l'obésité pour atteindre 81 % chez les patients présentant une obésité morbide ;
• l'électrocardiogramme Holter des 24 heures démontre une augmentation de la fréquence et de la sévérité des extrasystoles ventriculaires chez les patients obèses présentant une hypertrophie ventriculaire gauche excentrique et une altération de la dynamique de l'intervalle QT. 
Les apnées du sommeil peuvent également être une cause de mort subite nocturne en entraînant des troubles de la conduction (pause sinusale, bloc sino-auriculaire, bloc auriculoventriculaire) ou des troubles du rythme ventriculaire (tachycardie ou fibrillation ventriculaire). 




Conséquences cardiaques de la réduction pondérale :
Chez les sujets obèses présentant une hypertrophie ventriculaire gauche, hypertendus ou non, une réduction pondérale modérée entraîne une diminution de la masse ventriculaire gauche secondaire à une diminution des épaisseurs pariétales et du diamètre de la cavité ventriculaire. Cette régression de l'hypertrophie ventriculaire s'accompagne d'une amélioration des paramètres du remplissage ventriculaire gauche. Chez les patients obèses présentant une dysfonction ventriculaire gauche systolique, une réduction pondérale peut améliorer significativement la fraction d'éjection, et diminuer les diamètres télédiastoliques et télésystoliques du ventricule gauche. Un travail basé sur le suivi après 1 an de patients obèses traités, soit par gastroplastie, soit par régime seul, confirme l'existence d'une amélioration des paramètres échocardiographiques après amaigrissement, ces modifications structurales du ventricule gauche étant plus reliées à la perte de poids qu'aux variations de la pression artérielle. En cas d'insuffisance cardiaque secondaire à une cardiomyopathie de l'obèse, la réduction pondérale entraîne une régression de la plupart des signes cliniques de décompensation cardiaque et améliore la classe fonctionnelle de la New York Heart Association. 
Il reste maintenant à démontrer que ces effets favorables de la réduction pondérale sur les conséquences cardiaques et les facteurs de risques vasculaires de l'obésité sont associés à une diminution de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaire. La British Regional Heart Study plaide pour cette hypothèse : dans le sous-groupe des hommes obèses, une perte de poids amenant à un IMC inférieur à 28 kg/m2 est associée à une réduction de la mortalité cardiovasculaire de l'ordre de 50 %, réduction atteignant 77 % chez les sujets présentant une HTA. 



Conclusion :

L'importance du risque cardiovasculaire associé à l'obésité impose une implication active des cardiologues dans le suivi de ces patients. Leur rôle est double : prévenir ou traiter les complications vasculaires liées à l'obésité, en prenant en compte l'ensemble des facteurs d'athérogenèse et donc le risque absolu du patient ; face à un patient obèse en insuffisance cardiaque, différencier les dysfonctions systoliques et diastoliques, et séparer cardiomyopathie de l'obèse et maladie coronarienne.

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