lundi 14 avril 2014

L'AUTISME CHEZ L'ENFANT

Introduction

Depuis la description initiale de Kanner en 1943 et en 1944, voilà plus de 50 ans, l'intérêt pour le syndrome d'autisme infantile n'a fait que s'accroître. On peut même dire que, lors de ces dernières années, la situation s'est radicalement modifiée dans la mesure où cet intérêt et les débats, tant au plan thérapeutique qu'à celui de la recherche des facteurs, des mécanismes et de la nature des troubles, ont quitté le seul domaine des professionnels, pour devenir beaucoup plus larges. Le grand public, à travers le cinéma et les médias, notamment la télévision et la grande presse, est largement sensibilisé, voire passionné. Des associations de parents d'enfants autistes ont vu le jour, jouant un rôle de plus en plus actif vis-à-vis des professionnels et des pouvoirs publics. Ces derniers, notamment en France, se sentent concernés et sont à l'origine de rapports sur la situation de l'autisme , de la prise en charge des autistes et aussi de mesures spécifiques  traduisant leur intérêt dans ce domaine. Des patients autistes (Grandin ) apportent leurs témoignages et leurs points de vue ; parents, patients, professionnels et responsables dialoguent et échangent des informations sur Internet.

Nos connaissances et l'efficacité de nos actions thérapeutiques ont-elles progressé de manière aussi nette ? C'est ce que nous allons aborder dans ce texte rédigé dans l'esprit d'une revue générale et qui va s'efforcer de décrire d'une part l'état des connaissances dans ce vaste domaine, mais aussi d'autre part les points de vue qui guident à la fois les actions thérapeutiques, médicosociales ou pédagogiques et les recherches. Il va de soi qu'étant donné le nombre impressionnant des travaux et des publications sur ce sujet, il ne peut à certains moments que renvoyer le lecteur aux nombreux ouvrages, revues et articles cités en références bibliographiques.
Chemin faisant, un certain nombre de questions vont peut-être cependant trouver des éléments de réponse : l'autisme infantile, syndrome ou maladie ? Handicap fixé ou processus évolutif ? Trouble du développement ou trouble de l'organisation de la personnalité ? Trouble mental, trouble neurologique, trouble cognitif ? Abord thérapeutique ou éducatif ? Quel avenir pour les patients ? Quelles pistes prometteuses pour les recherches actuelles ? Ceci en référence aux points de vue et aux hypothèses avancés depuis Kanner (Berquez ) jusqu'à nos jours.
Nous allons ainsi envisager successivement, en sept chapitres, l'évolution des concepts d'autisme et de psychose infantile précoce, l'épidémiologie, l'étude clinique, les aspects psychopathologiques, les études cognitives, les résultats des recherches biologiques et génétiques et enfin la thérapeutique.

Concepts d'autisme infantile et de psychose de l'enfant : données historiques

La notion de formes de psychoses spécifiques à l'enfant s'est précisée progressivement par rapport aux psychoses schizophréniques de l'adulte et aux arriérations mentales - auxquelles on tendait à rattacher, jusqu'au début du xxe siècle tous les troubles psychiques graves de l'enfant (Lebovici et Duché ).
En 1908, à la suite de la description par Kraepelin de la démence précoce, De Sanctis décrit, sous le terme de « démence précocissime », des cas de troubles psychotiques observés chez des enfants de 4 à 10 ans.
Après les remaniements apportés par Bleuler (1911) à la conception des psychoses, plusieurs auteurs (Potter, Lutz, Heuyer) décrivent la schizophrénie de l'enfant, dont ils précisent les formes cliniques et les aspects spécifiques (Duché ). L'importance des troubles du contact et des troubles relationnels et, au contraire, la rareté du délire sont relevés chez l'enfant. Despert, et plus tard Bender, abordent ces pathologies d'un point de vue psychodynamique. Aux États-Unis, de même qu'en psychiatrie de l'adulte, le terme de schizophrénie connaît une grande extension pour l'enfant. Un critère persiste de la conception de Kraepelin : la nécessité d'une période de développement normal d'au moins 2 ans pour porter ce diagnostic.
C'est en 1943 que Kanner décrit un syndrome qui se différencie par son apparition précoce. Les 11 cas de « troubles autistiques du contact affectif » qu'il rapporte se singularisent, en effet, par l'existence dès le début de la vie d'une « inaptitude à établir des relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations ». Dans une description où l'on retrouve tous les éléments fondamentaux qui caractérisent encore aujourd'hui les syndromes autistiques, il insiste particulièrement sur le désir intense que montrent ces enfants de s'isoler et de maintenir leur environnement constant.
Il note aussi les caractéristiques qui les différencient des retards mentaux : leur physionomie intelligente et leurs bonnes capacités cognitives dont témoigne leur maniement des objets, ainsi que des aptitudes particulières dans certains domaines (mémoire, vocabulaire). Il est à noter que le langage de la majorité de ces enfants, s'il n'a pas, selon Kanner, de valeur communicative, s'est développé normalement.
Tout en défendant la spécificité de ce syndrome, il maintient son rattachement à la schizophrénie. Le terme d'autisme avait d'ailleurs été introduit 30 ans plus tôt par Bleuler pour désigner la prédominance de la vie intérieure sur la réalité externe et la tendance au retrait, qui caractérisent la schizophrénie.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que Kanner a identifié une pathologie que nul avant lui n'avait décrite, bien qu'on puisse en rapprocher les cas d'« enfants-loups » rapportés dans différents pays (dont Victor - l'enfant sauvage de l'Aveyron - qu'Itard tenta d'éduquer). Il faut signaler cependant que 1 an plus tard, mais de façon apparemment indépendante, un pédiatre viennois, H Asperger, a rapporté sous le terme « psychopathie autistique » des cas qui présentent de grandes analogies avec ceux de Kanner : cette publication, peu diffusée à son époque, a été récemment reprise sous la dénomination de « syndrome d'Asperger ».
Aux États-Unis, la description de Kanner a été longtemps été considérée comme un syndrome clinique spécifique mais rattaché à la schizophrénie infantile, seul diagnostic officiellement admis par la classification psychiatrique américaine jusque dans les années 1980. En France, où le terme « schizophrénie infantile » a été utilisé de façon plus restrictive que dans les pays anglo-saxons, on s'est particulièrement attaché à l'étude du concept de psychose de l'enfant et de ses variantes évolutives. C'est dans le cadre de ces réflexions psychopathologiques que l'autisme infantile a été rattaché aux psychoses précoces dont il a été considéré comme une des formes cliniques. Les travaux français se sont particulièrement centrés sur les intrications des processus psychotiques ou autistiques avec les déficiences mentales ou instrumentales. De ces recherches sont issues les notions de psychoses déficitaires et de dysharmonies évolutives (Mises et Moniot ).
Ainsi, la très riche réflexion psychopathologique qui s'est développée autour de ces pathologies a eu pour résultat une multiplication de descriptions et de termes. Malgré des tentatives pour définir des critères communs - notamment celle de Creak, en Angleterre (Duché ) - il en est résulté une certaine confusion. À partir des années 1970, un intérêt croissant s'est manifesté pour l'autisme infantile dans plusieurs pays et le terme a été introduit dans la classification internationale des maladies de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (CIM 9). C'est vers cette époque aussi qu'on a commencé à utiliser ce diagnostic de manière extensive aux États-Unis, y compris en association avec des états déficitaires, voire des encéphalopathies avérées.
La parution, en 1981, de la troisième édition de la classification de l'Association psychiatrique américaine - le DSM III - a confirmé cette focalisation de l'intérêt pour l'autisme et relancé les débats nosographiques dans ce domaine. La révision radicale des termes, mais aussi des concepts fondamentaux de la nosographie qu'il a opérée (Bursztejn et Mazet) a tout particulièrement concerné le domaine des psychoses infantiles. Le DSM III  a fait disparaître la notion de psychose de l'enfant, abandon justifié par les auteurs du DSM III par la rareté de l'évolution des pathologies précoces de l'enfant vers les formes de psychoses connues chez l'adulte. En fait, ce changement terminologique traduit surtout le rejet de l'opposition entre névrose et psychose qui, pour un grand nombre d'auteurs, structurait le champ de la psychopathologie. Les affections classées jusque-là parmi les psychoses infantiles ont été regroupées sous le terme de pervasive developmental disorders(traduit en français d'abord par « troubles globaux » puis par « troubles envahissants du développement ») et décrites comme des « déviations du développement de nombreuses fonctions psychologiques fondamentales impliquées dans l'acquisition des aptitudes sociales et du langage ». Le « trouble autistique » correspond - selon le DSM III - environ au tiers de l'ensemble des troubles envahissants du développement.
La notion de troubles envahissants du développement, focalisée sur l'autisme infantile, s'est imposée dans la littérature internationale, notamment dans les publications de langue anglaise. Cependant, la réduction par le DSM III du champ des troubles envahissants du développement à une dichotomie entre l'autisme et un « reste » mal défini a été critiquée. Certains auteurs ont proposé que soient différenciées d'autres formes cliniques. Ainsi Cohen et Volkmar ont défendu la notion de « troubles complexes de la personnalité » dont la description rejoint celle des dysharmonies évolutives . D'autres auteurs ont proposé de réserver le terme « syndrome d'Asperger » aux cas d'autisme indemnes de retard mental. De nouveaux systèmes de classification ont résulté de ces débats.
La classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent (CFTMEA), publiée en 1988 , a repris les travaux français antérieurs évoqués. Elle répartit les psychoses infantiles en cinq grandes catégories. À côté de l'autisme de Kanner et de ses formes atypiques, elle individualise les psychoses déficitaires (intrication de troubles autistiques ou psychotiques et de déficience mentale) et les dysharmonies psychotiques .
Contrairement au DSM III qui délimite des entités fixes, strictement exclusives les unes des autres, stables au cours du temps, la classification française vise à identifier des modes d'organisation psychopathologique, susceptibles éventuellement d'évoluer et de se transformer les uns dans les autres. Ainsi, tout en maintenant la notion d'une structure psychotique qui s'oppose à la structure névrotique, elle évite de fixer l'enfant psychotique à l'intérieur d'un processus univoque et considéré, a priori, comme irrémédiable.
La CIM 10, dixième édition de la classification internationale des maladies de l'OMS, parue en 1993 , a adopté une position intermédiaire vis-à-vis de la nosographie dans ce domaine clinique. Bien qu'elle se rallie à la notion de troubles envahissants du développement et que la description qu'elle en donne soit proche de celle du DSM III, elle maintient, pour l'autisme, le critère d'âge (début des troubles avant 30 mois) ; elle introduit la catégorie « autisme atypique » faisant notamment référence aux cas associés à un retard mental profond ; elle introduit aussi la notion de syndrome d'Asperger correspondant à des cas de troubles autistiques dans lesquels il n'y a aucune déficience mentale. La CIM 10 propose ainsi un tableau plus diversifié du champ des troubles envahissants du développement, dans lequel la notion d'autisme redevient plus limitée et sans doute plus spécifique.
Enfin, le DSM IV paru en 1994 subdivise désormais les troubles envahissants du développement en cinq catégories, qui reprennent la plupart des items de la CIM 10.
Par-delà les querelles sur la terminologie, ces changements nosographiques traduisent des transformations importantes de la conception de l'autisme infantile.
Il faut noter, d'abord, que ce syndrome, initialement considéré comme très rare, occupe, depuis le DSM III, une place centrale et prototypique parmi les troubles psychotiques de l'enfant. Sans doute les recherches sur l'autisme ont-elles été, de ce fait, stimulées mais, en même temps, on a eu tendance à négliger les autres formes de psychoses de l'enfant pourtant plus nombreuses et qui justifieraient un effort de recherche et de réflexion au moins équivalent.
Du point de vue psychopathologique, la question des rapports avec la schizophrénie reste à discuter ; même si l'évolution vers la schizophrénie à l'âge adulte n'est pas le mode évolutif le plus fréquent, de tels cas existent cependant.
Du point de vue évolutif, doit-on considérer l'autisme comme une affection, par définition irréversible, comme le suggère le DSM III ? Certains auteurs soutiennent que la réversibilité est possible dans des cas très précocement traités, alors que pour d'autres, il ne peut s'agir que d'erreurs de diagnostic. Des études longitudinales (Mises, Perron) montrent la possibilité de passage de syndromes autistiques vers d'autres modes d'organisations psychotiques. Il faut rappeler enfin que la littérature rapporte de rares cas de « guérison ».
Les changements de la conception de l'autisme sont surtout importants pour l'interprétation des travaux de recherche. La référence nosographique conditionne, en effet, les caractéristiques de la population impliquée. Or, depuis quelques années, la multiplicité des systèmes de classification qui découpent le domaine clinique des psychoses infantiles (ou des troubles envahissants du développement) de façon différente, rend difficile la comparaison des travaux entre eux (B Siverts et al ). Ce problème se pose même pour les travaux publiés sous l'étiquette « autisme ». Tout en établissant ce diagnostic sur la base de critères comportementaux, il semble bien, en effet, que le DSM III ait élargi notablement le cadre du syndrome décrit par Kanner (Cohen et Volkmar) en assouplissant la description des critères et surtout en considérant qu'il peut être associé en toute proportion à la déficience mentale. En dépit de définitions en apparence similaires, les différences des critères entre les versions successives du DSM et de l'ICD 10 ont pour effet des variations du champ de l'autisme, comme le montre une étude de l'équipe de Yale (Volkmar et al ) dans laquelle les critères du DSM III, du DSM III R et de l'ICD 10 ont été appliqués à un même groupe de patients : le diagnostic d'autisme est attribué à 25 % de sujets de plus avec le DSM III R qu'avec les deux autres classifications.
De même, une étude comparant l'application des classifications américaine et française à une même population montre que les critères du DSM III pour l'autisme incluent une partie des patients correspondant aux psychoses déficitaires et même aux dysharmonies psychotiques de la CFTMEA (Bursztejn et al).
On est ainsi amené à se demander si l'élargissement du concept d'autisme opéré par le DSM III n'a pas « dilué » le syndrome décrit par Kanner dans un ensemble hétérogène de cas où un tableau analogue est associé à un retard mental important.
Ce problème est un des obstacles majeurs à la généralisation des résultats des travaux publiés.

Épidémiologie

De nombreuses questions continuent de se poser à propos de l'épidémiologie de l'autisme et des psychoses infantiles. Les données de la littérature concernent surtout la prévalence de l'autisme infantile. Mais les chiffres avancés varient dans une très large proportion : entre 2 et 13/10 000. La prévalence des autres formes de psychose infantile reste mal connue.
Ces variations doivent être interprétées en tenant compte des discussions qui persistent sur les références nosographiques (cf supra). C'est d'elles, en effet, que dépend la définition des cas ; elles sont importantes à prendre en considération dans l'analyse des études épidémiologiques.
Il est ainsi intéressant de considérer les résultats des études de prévalence sur l'autisme en fonction de leur date de publication. Jusqu'au début des années 1980, c'est-à-dire avant que le DSM III soit utilisé comme référence diagnostique, la prévalence de « l'autisme de Kanner » ou « autisme classique », ou encore « autisme nucléaire », se situe autour de 2/10 000 ; plusieurs auteurs indiquent, en outre, un autre chiffre de prévalence, incluant des formes moins typiques de syndrome autistique qui atteignent alors 2 à 5/10 000.
Après la diffusion du DSM III, la plupart des chiffres de prévalence donnés pour l'autisme atteignent ou dépassent 4/10 000. Ceci suggère un élargissement des critères diagnostiques incluant notamment des cas auparavant considérés comme des formes atypiques. Un certain nombre d'études font état de chiffres de prévalence nettement plus élevés : 10/10 000 et plus. Il s'agit d'une part de l'étude canadienne de S Bryson et al  qui utilise en fait une définition encore plus large des syndromes autistiques, et de trois études japonaises qui se réfèrent au DSM III. Il est difficile de donner une explication de ces taux de prévalence très élevés rapportés au Japon : sont-ils dus à des conditions particulières favorisant le développement des troubles autistiques ou ces résultats s'expliquent-ils par une utilisation particulière des critères du DSM III, ce qui confirmerait, comme cela a été suggéré, que, malgré leur apparente rigueur, les critères du DSM III laissent place à une marge notable d'interprétation.
Trois études ont été menées en Suède par la même équipe (Gillberg et al ). Une première étude, réalisée en 1980, fait état d'une prévalence de 2/10 000 pour l'autisme et de 2/10 000 pour les autres psychoses (ultérieurement désignées par le terme « troubles de type autistique »). En 1984, la même équipe, utilisant le DSM III, observe une prévalence de 4,7 pour le trouble autistique et de 2,8 pour les « troubles de type autistique ». Une nouvelle étude, elle aussi réalisée avec le DSM III en 1988, semble indiquer une augmentation de la prévalence. Cependant, il apparaît que cette augmentation de la prévalence concerne essentiellement les zones urbaines et qu'elle est due essentiellement à des enfants issus de familles immigrantes. Selon les auteurs, ceci pourrait être lié à l'existence d'une augmentation des facteurs de risque d'ordre somatique parmi ces populations migrantes.
Trois études françaises ont été publiées à ce jour (Cialdella et N Mamelle en 1989  ; Aussilloux et al en 1989  ; Fombonne et du Mazaubrun en 1992 ). Bien que ces trois études utilisent chacune des critères diagnostiques différents (critères personnels dans l'étude de Cialdella et Mamelle, DSM III dans l'étude de Aussilloux, CFTMEA dans l'étude de Fombonne), elles donnent des résultats voisins : entre 4,5 et 4,9/10 000.
Une prépondérance des sujets de sexe masculin est retrouvée dans toutes les études, ce qui donne un sex-ratio habituellement de 3, soit un peu moins, voire un peu plus.
Une autre question concerne la comorbidité : de nombreuses publications ont rapporté l'association de troubles autistiques avec diverses affections, telles que la sclérose tubéreuse de Bourneville, la phénylcétonurie, la rubéole congénitale, le syndrome de l'X fragile ou d'autres anomalies chromosomiques. Par ailleurs, certaines enquêtes ont observé une fréquence élevée d'anomalies de la période périnatale ou de la grossesse. Nous reviendrons sur les problèmes posés par ces troubles associés (cf infra).
Cependant, peu d'études ont tenté d'évaluer globalement la comorbidité, que ce soit chez des sujets porteurs de troubles autistiques ou chez des patients présentant d'autres formes de troubles psychotiques.

Étude clinique

Depuis qu'en 1943 Kanner a caractérisé comme « autistiques » les troubles du contact présentés par 11 enfants, individualisant ainsi un type de psychopathologie du jeune enfant qui jusqu'alors n'était pas différencié de l'arriération mentale et de la schizophrénie, notre connaissance des troubles graves du développement psychique de l'enfant s'est progressivement approfondie et bien d'autres aspects cliniques ont été décrits. Ainsi en France, on a tendance à regrouper, comme le fait notamment la CFTMEA (1988), l'autisme infantile et les troubles sévères de l'évolution psychique, dans les 3-4 premières années, sous l'expression de « psychose précoce ». On a vu (cf supra) que le concept de psychose n'était pas présent aussi bien dans la CIM 10 (1993) que dans le DSM IV (1994) où figure la notion de trouble envahissant du développement (en dehors du retard mental).
Ce sont les différents aspects cliniques que nous allons décrire ici, y compris dans leur dimension évolutive. De même, nous allons envisager les problèmes de l'évaluation initiale et lors de l'évolution des troubles.


Syndrome d'autisme infantile précoce



Description clinique


Il est utile de rappeler que pour Kanner le désordre fondamental de l'autisme est « l'inaptitude des enfants à établir des relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations, depuis le début de la vie » . Il a été amené, d'ailleurs, à distinguer progressivement deux symptômes primaires, l'autisme (aloness) et l'immuabilité (sameness).
Ce syndrome clinique décrit par Kanner (chez des enfants qui avaient d'ailleurs 3 ans ou plus) correspond à des évolutions pathologiques déjà bien avancées que l'on rencontre à partir de la troisième année environ. En voici le tableau en se référant aux descriptions de Kanner et à plusieurs travaux ultérieurs .
Le comportement spontané est caractérisé par l'isolement extrême de l'enfant. Le terme d'autisme, emprunté à Bleuler et à la psychiatrie des adultes, marque bien ici l'intensité du repli sur soi. Qu'il reste immobile pendant des heures ou qu'il déambule dans des circuits très organisés, l'enfant frappe par son aspect d'indifférence à ce qui l'entoure. Il semble ne pas entendre ni voir, ou voir à travers les personnes.
Quand on fait une observation plus fine des particularités spécifiques de ce retrait autistique, on note, dans le registre visuel, l'importance de l'évitement du regard, la fixation sur un point arbitraire mais précis, périphérique ; de temps en temps, de furtifs coups d'oeil en direction de l'adulte (ou la disparition momentanée du strabisme) témoignent d'une prise de connaissance de la présence d'autrui (à condition qu'on ne le regarde pas).
Dans le registre auditif, la même indifférence active peut parfois évoquer une surdité. Cliniquement, la discordance est souvent nette entre l'absence de réaction aux appels ou aux bruits violents, alors qu'un bruit discret, à la limite de l'audition normale, fait retourner l'enfant. Par ailleurs, celui-ci s'intéresse généralement à certains bruits qu'il provoque de manière répétée et, sur un autre plan, à la musique.
Alors que, spontanément, il se laisse souvent guider par l'adulte, sans participer vraiment, si l'on tente de forcer le contact, il réagit brutalement comme à une intrusion intolérable par une augmentation des stéréotypies, de l'agitation avec impulsion, voire automutilation.
De même, le contact corporel est volontiers refusé et vécu très négativement s'il est imposé à l'enfant. Parfois, celui-ci approche l'adulte de manière très progressive et complexe et, par ailleurs, il semble le faire comme si la personne n'était pas reconnue dans sa totalité mais comme un objet partiel qu'il investit dans une partie de son corps ou dans un détail de ses vêtements. Parfois encore, il peut prendre la main de l'autre pour lui déléguer le soin de réaliser une action. Cette conduite très caractéristique de l'enfant autiste est à rapprocher de l'absence chez celui-ci depointing, c'est-à-dire de la capacité de montrer du doigt un objet sur lequel il voudrait attirer l'attention, comme l'ont montré plusieurs travaux d'orientation cognitiviste  ou éthologique .
Les objets sont manipulés d'une manière très inhabituelle : l'enfant les effleure, les flaire, les tripote, les fait rouler, tomber de manière souvent très répétitive. Parfois, on observe une curieuse conduite (appelée « signe du cube brûlant ») : il avance sa main vers l'objet surtout lorsqu'il est inconnu, puis la retire brusquement ; en fait on a le sentiment qu'il n'y a pas de jeu possible avec les objets ni la découverte d'une nouveauté mais la répétition d'expériences sensorielles ou motrices. Ceci est évidemment à rapprocher aussi de l'absence de jeux de faire-semblant sur lequel insistent les cognitivistes. Tustin parle « d'objet autistique » à propos de ces objets que l'enfant manipule sans cesse, tient fermement dans les mains, refusant de les lâcher, ou encore de « formes autistiques » à propos des impressions sensorielles qu'il recherche préférentiellement dans son propre corps par des activités inapparentes, secrètes, comme se mordre l'intérieur des joues, remuer ses fèces dans son rectum, etc.
Un aspect essentiel de la vie de l'enfant autiste est son exigence d'immuabilité de l'environnement, son besoin impérieux de maintenir la stabilité des repères, s'exprimant dans des vérifications diverses ou des conduites telles que le fait de s'isoler toujours dans le même coin ou de rechercher toujours le même objet. Toute tentative pour introduire une modification de cet espace peut déclencher des réactions d'angoisse majeure, voire un véritable état d'effondrement.
Les stéréotypies et les rituels sont à rapprocher des manifestations précédentes. On observe ainsi des gestes stéréotypés assez étranges : remuer les doigts devant le visage, agiter les bras comme un battement d'ailes, tournoyer sur soi-même, marcher sur la plante des pieds ; ceci à côté de gestes moins inhabituels mais ici particulièrement insistants et fréquents : balancement, bercement, etc.
Chez d'autres enfants s'organisent des activités ritualisées complexes, tantôt à travers les vérifications concernant l'immobilité du cadre de vie, tantôt dans la manipulation étrange de certains objets, tantôt dans les échanges qu'ils ont au sein de la relation privilégiée qu'ils entretiennent avec une personne de l'entourage. Ces phénomènes peuvent déboucher sur une ritualisation de l'alimentation, de l'habillement, du lavage, des conduites sphinctériennes, etc. À propos de ces activités, on n'observe pas le climat de plaisir qui est le stimulant habituel dans leur réalisation ou dans les apprentissages, mais plutôt une répétition quasi mécanique ou bien alors parfois opposition et refus, ou encore absence totale de retenue, par exemple dans certaines conduites alimentaires de « goinfrerie » ou sexuelles de masturbation.
Les troubles du langage sont constants et très importants. Le plus souvent, il s'agit d'une absence de langage. Des cris monotones, monocordes, « sans intention sociale » apparente, sont parfois notés. Cependant, les parents disent souvent que, s'il ne parle pas, l'enfant comprend fort bien ce qu'on lui dit, même sans accompagnement gestuel explicitant le sens de la demande. Sans doute y-a-t-il aussi, à côté des entraves au développement du langage, une dimension de refus de parler, de mutisme ; il est certain à cet égard que les premières paroles d'un enfant autiste ont de quoi surprendre parfois par leur complexité et leur aspect inattendu.
Dans le cas où le langage apparaît, le plus souvent avec retard au-delà de 2 ans, il n'a pas pour autant valeur de communication, tout au moins en première analyse. Il est fait de mots isolés, déformés, inventés, d'écholalie simple ou différée. L'incapacité à manier les pronoms personnels est très caractéristique, avec soit confusion complète, soit utilisation de la troisième personne, du « tu » pour le « je » dont on sait que la maîtrise de son utilisation se met en place normalement dans la troisième année.
La voix est souvent particulière : voix « off » ; l'enfant semble ne pas être la source de sa parole.
Lors de la description des conduites de l'enfant autiste, on a été amené à souligner l'existence, à un certain moment, d'émergences anxieuses importantes, s'extériorisant dans des accès de colère ou de rage pouvant entraîner des conduites autoagressives particulièrement difficiles à tolérer pour l'entourage. De manière plus courante, mais cela nécessite une observation suffisamment fine et une bonne connaissance de l'enfant, on peut repérer l'angoisse de celui-ci lors du croisement de son regard ou à travers certaines de ses attitudes lorsque l'on essaie de forcer le contact ou lorsqu'il y a une modification de l'environnement.
D'autres troubles sont à mentionner. Des troubles alimentaires divers, des troubles du sommeil (insomnie rebelle ou silencieuse, réveils nocturnes fréquents et agités) sont parfois présents.
La question du fonctionnement intellectuel et cognitif est essentielle. Si Kanner a décrit en 1943 ces enfants comme « intelligents », des observations ultérieures plus complexes et de nombreux travaux amènent à constater que les performances cognitives sont très variables. Notons d'abord l'importance des problèmes méthodologiques dans l'évaluation de la vie intellectuelle et cognitive de tels enfants ; ainsi, certains des outils existants sont particulièrement chargés en facteur verbal et risquent de sous-estimer le potentiel réel des enfants ayant un déficit plus marqué du développement du langage. Ceci dit, une majorité d'enfants autistiques évalués par des moyens appropriés présentent une efficience intellectuelle non verbale inférieure à 70 et globale encore moins importante , et selon Rutter seulement un quart, semble-t-il, des enfants autistes ont un niveau intellectuel pouvant être considéré comme normal . En fait, il existe des fonctionnements cognitifs de bas et de haut niveaux, avec différents intermédiaires. En général, les performances lors des capacités visiospatiales et/ou de la mémoire sont d'un niveau plus élevé que celles requérant la réflexion, en particulier dans un contexte relationnel interpersonnel. Quelques enfants réalisent des performances remarquables dans certaines manipulations (construction, puzzles, jeux de patience) mais il s'agit d'activités très circonscrites. Certains autistes appelés « autistes savants » développent même des capacités exceptionnelles dans des domaines bien particuliers et restreints, notamment comme on vient de le voir, en matière de mémorisation, perceptions visiospatiales ou musicales (« oreille parfaite »).
Ainsi décrit, ce tableau d'autisme infantile précoce est bien trop général et ne tient pas compte par exemple de l'existence, à côté des formes calmes, les plus habituelles, de formes agitées où les troubles très importants de la communication sont alors recouverts par un comportement d'allure ludique, par une instabilité et une hyperactivité majeures.
Il y a lieu encore de souligner que ce syndrome autistique peut s'observer dans des conditions d'apparition bien différentes, soit progressivement et précocement (c'est l'autisme primaire de Kanner), soit dans un deuxième temps (autisme secondaire) au cours de l'évolution de dysharmonies précoces du développement, soit même de manière rapide (voire brutale) dans quelques observations où l'on note alors un événement marquant dans la vie de l'enfant (épisode somatique précoce, modification brutale de l'environnement, etc).
Tous ces troubles sont regroupés dans la CIM 10 en trois rubriques (les interactions sociales, la communication, le comportement), l'autisme étant défini comme un trouble envahissant du développement manifeste avant l'âge de 3 ans et caractérisé par une perturbation caractéristique du fonctionnement, précisément dans chacun de ces trois domaines.
On sait d'ailleurs que c'est dans la même formulation qu'est présenté le « trouble autistique » dans le DSM IV (1994) :
  • altération qualitative des interactions sociales ;
  • altération qualitative de la communication, notamment dans le domaine du langage ;
  • caractère restreint répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités.
Ces altérations sont bien mises en évidence aussi dans les travaux d'orientation éthologique. Les comportements d'évitement relationnel, dit encore social, sont particulièrement nets au niveau du regard : les enfants autistes évitent le contact visuel mais en même temps, en présence d'un médecin examinateur, ils se tiennent plus près de lui, ont plus de contacts physiques avec lui que dans la population témoin (enfants ayant un retard mental ou hyperkinétiques). Mais ces derniers ne paraissent pas vraiment adéquats (Pedersen et al). Il faut noter aussi que la situation en face-à-face leur paraît insupportable et qu'ils se laissent plus volontiers approcher et toucher par le dos (Soulayrol ). Vidal  souligne la très grande difficulté des autistes à tolérer les relations triadiques et à y négocier leur place. Avec Badiche et Dardenne, il a construit à partir de cette constatation un type de rencontres thérapeutiques triadiques où il s'agit d'amener progressivement le sujet autiste à accepter d'entrer en relation au sein de la relation duelle thérapeutique avec un tiers. Nous avons déjà souligné par ailleurs l'absence de pointer du doigt dans certains travaux éthologiques.


Problèmes diagnostiques


Ils sont de plusieurs ordres. Il y a lieu, en effet, de différencier d'abord les manifestations de l'autisme avec, d'une part, les perturbations liées à une surdité, à un état dépressif ou à un tableau de carence relationnelle majeure précoce et prolongée et, d'autre part, avec un retard mental ou une déficience mentale (sans trouble psychotique associé) lié à une atteinte cérébrale, ou bien encore avec une dysphasie du développement.
Il y a lieu encore de bien distinguer les troubles autistiques précoces proprement dits de certains comportements de retrait d'allure autistique, plus ou moins précoces, plus ou moins transitoires, mais non organisés de manière aussi prévalente et stable, que l'on peut voir par exemple dans certaines dysharmonies précoces du développement ou lors d'hospitalismes sévères. Le pronostic n'est pas le même ; l'évolution de tels comportements pseudoautistiques est bien plus favorable, parfois même de manière très spectaculaire, lors de l'abord thérapeutique de l'enfant et la prise en compte du contexte familial, ceci en raison de la dimension encore en partie réactionnelle des troubles et de la non-structuration de l'ensemble de la vie psychique de l'enfant autour du retrait (Mazet et Stoleru). Il en est de même lors de comportements d'allure autistique accompagnant certains déficits sensoriels (audition et vue), certaines dysphasies graves ou des troubles neurologiques (spasmes en flexion). Cependant, la pratique clinique confronte parfois à l'existence de cas complexes où l'on constate la coexistence de troubles autistiques et d'un passé de grande carence relationnelle particulièrement prolongée ou d'un déficit auditif, ou bien encore d'une affection convulsivante grave, ce qui pose évidemment la question de l'association possible et des rapports entre les deux types de troubles.
Dans un certain nombre de cas se pose la question d'éventuels troubles associés à des tableaux cliniques où les troubles autistiques paraissent au premier plan, dans certaines formes d'encéphalopathies métaboliques (de la phénylcétonurie par exemple) ou bien encore certains retards mentaux d'origine génétique tels que le syndrome d'X fragile. La question des troubles associés et des rapports avec l'autisme sera abordée (cf infra).
Le syndrome de Rett, décrit dans le DSM IV comme une autre forme de trouble envahissant du développement, mérite, par les problèmes diagnostiques difficiles avec l'autisme, d'être bien connu. Il est lié à une encéphalopathie dégénérative responsable d'un handicap profond et d'une infirmité motrice progressive. De cause inconnue, atteignant de façon quasi exclusive les filles (1/10 000 à 15 000 naissances féminines), ce syndrome, décrit pour la première fois en 1966 par Rett, redécouvert récemment par divers auteurs, est caractérisé par les points suivants :
  • déroulement apparemment normal de la période prénatale et périnatale ;
  • développement psychomoteur apparemment normal durant les 6 premiers mois de la vie ;
  • ralentissement de la croissance du périmètre crânien entre l'âge de 5 mois et 4 ans ;
  • perte de l'usage volontaire des mains (acquis antérieurement) entre 6 et 30 mois, suivie de l'apparition de stéréotypies manuelles à type de torsion ;
  • accrochage, applaudissement, lavage, mise à la bouche des mains ;
  • développement très perturbé du langage, tant pour la compréhension que l'expression ;
  • présence d'un retard psychomoteur progressif d'allure sévère ;
  • survenue d'une ataxie du tronc entre l'âge de 1 à 4 ans ;
  • crises d'épilepsie (inconstantes).
Ce tableau clinique d'installation progressive peut tout à fait être confondu, notamment dans son deuxième stade de régression rapide entre 1 et 3 ans, avec un syndrome d'autisme infantile précoce, car la fillette, outre sa régression psychomotrice, la disparition du langage, les stéréotypies manuelles, manifeste des troubles du comportement et relationnels marqués volontiers par un certain degré de désintérêt à l'égard des objets et des personnes, voire un certain degré de retrait, bien que certaines formes d'interaction sociale puissent se développer ultérieurement. De même, un bon contact par le regard est souvent décrit dans le syndrome de Rett.


Premières manifestations


Avant la constitution du syndrome autistique caractéristique vers 2-3 ans environ, il existe des manifestations plus précoces, des perturbations de la communication et du développement psychique des enfants que l'on peut retrouver lors de l'étude anamnestique recueillie au cours des entretiens avec les parents ou de consultations précoces. On peut, selon Houzel et Abgrall (communication citée en 148), les regrouper en six rubriques :
  • une attitude de sagesse particulière ; elle est repérée par les parents dès les premiers mois de la vie de l'enfant et s'accompagne d'un certain degré d'indifférence à l'égard du monde extérieur, tant à l'égard des personnes (notamment absence de pleurs lorsqu'on quitte l'enfant) qu'à l'égard des jouets ;
  • des troubles tonicoposturaux et psychomoteurs ; on note une absence ou un retard de l'attitude anticipatrice du bébé lors de l'approche de la mère, un défaut d'ajustement postural, voire une hypotonie qu'on perçoit bien lorsqu'on prend l'enfant dans les bras. Un éventuel retard psychomoteur marqué par une acquisition tardive de la position assise et de la marche peut avoir lieu. Les stéréotypies motrices sont importantes à signaler, car dès les premiers mois, l'enfant peut avoir des jeux stéréotypés avec ses mains qu'il contemple de manière très répétitive ;
  • des anomalies du regard : comportement d'évitement du regard d'autrui, absence de poursuite oculaire, regard périphérique ou par coup d'oeil, voire strabisme. Ces anomalies, notamment l'évitement du regard, privent la relation mère-enfant du contact oeil à oeil dont on connaît bien l'importance aujourd'hui ;
  • la non-apparition des organisateurs de R Spitz : absence de sourire-réponse aux visages humains, absence d'angoisse de l'étranger vers le huitième mois ;
  • des phobies massives et mal organisées ; elles apparaissent surtout au cours de la deuxième année : phobies des bruits et plus précisément ceux faits par les instruments ménagers (aspirateur, machine à laver, etc) ;
  • des troubles somatiques fonctionnels marqués par :
    • des troubles oroalimentaires (défaut de succion de la tétine ou du mamelon, mauvaise coordination des mouvements de succion et de déglutition, régurgitations postprandiales, anorexie très précoce, plus tardivement diversification alimentaire très difficile et refus de mastication) ;
    • des troubles sphinctériens (constipation fonctionnelle très précoce due à une rétention des matières fécales) ;
    • des troubles du sommeil (deux types d'insomnie précoce décrits par L Kreisler et M Soulé, et cités in  : l'insomnie agitée avec réveils en hurlant et manifestations autoagressives, plus rarement insomnie silencieuse grave).
Les troubles précédemment mentionnés apparaissent et s'associent de façon variable en fonction de l'âge de l'enfant. Il y a lieu de souligner la prudence avec laquelle il faut interpréter l'apparition de ces perturbations initiales chez le très jeune enfant. Il faut insister sur le fait que ces troubles précoces ne sont ni constants, ni spécifiques d'une évolution autistique ultérieure. Un certain nombre d'enfants présentant des troubles identiques ne sont pas pour autant devenus autistes. De même, dans de nombreux cas, les manifestations significatives de l'évolution autistique sont présentes un peu plus tardivement sans que des anomalies notables aient pu être repérées auparavant. Il y a donc lieu d'être circonspect vis-à-vis des diagnostics infantiles très précoces car plus l'enfant est jeune, plus le diagnostic est difficile à établir rapidement. Cette démarche nécessite en effet une longue période d'observation pour permettre une évaluation clinique précise, compte tenu de la gravité du syndrome autistique, des conséquences de l'annonce de ce diagnostic pour l'enfant et sa famille et de nos incertitudes quant à l'évolution des troubles au cours des 6 premières années de l'enfant.
Par ailleurs, doit-on parler de signes précocissimes d'autisme ou plutôt de perturbations précoces évocatrices d'un risque d'évolution autistique ? Cette question, formulée par Mazet [144], amène à envisager deux points de vue différents :
  • dans le premier cas, on se réfère à un modèle médical de la maladie avec ses signes de début, sa phase d'état et son évolution ;
  • dans le second cas, le problème est envisagé en termes de modalités évolutives variables de troubles très précoces du développement et aussi d'un certain point de vue à une conception syndromique de l'autisme infantile précoce, conception de Kanner d'ailleurs, qui en fait un syndrome clinique pouvant renvoyer à des situations différentes relevant de contextes divers.
L'apport des recherches sur les interactions précoces parents-nourrisson est à mentionner ici. En effet, tant dans le domaine clinique que dans celui de l'étude naturaliste ou expérimentale du développement précoce, l'introduction de l'observation directe des interactions a donné lieu à des travaux contribuant à introduire une nouvelle sémiologie des échanges et de la communication entre le bébé et ses partenaires. Cette observation approfondie des interactions comportementales, mais aussi affectives et fantasmatiques entre le bébé et sa mère, peut aider à saisir les perturbations qui affectent leurs échanges, parfois véritables cercles vicieux dans lesquels sont enfermés à la fois mère et enfant. Mais on devine les problèmes multiples et complexes (par exemple la réalisation d'une étude longitudinale prospective d'une population de bébés, en sachant que le risque statistique d'autisme est de 3 à 4/10 000) qui se posent quand on essaie d'articuler, même dans une perspective purement descriptive, les perturbations les plus précoces des interactions et une évolution autistique ultérieure.
À cet égard, l'observation privilégiée de Kubicek est une situation idéale (bien qu'exceptionnellement réalisée) de la mise en évidence d'un lien entre le dysfonctionnement interactif très précoce et le diagnostic ultérieur d'autisme infantile. En effet, lors d'une recherche sur des jumeaux de 4 mois, il constata une interaction perturbée sur le mode de l'évitement du regard d'un des deux jumeaux à l'égard de sa mère mais aussi des comportements de poursuite intrusive de la mère. L'auteur a appris plus tard incidemment qu'on avait fait, à propos de ce jumeau âgé de 2 ans, le diagnostic d'autisme. Ceci dit, comme le note Stern , le pattern interactif général de « la mère qui poursuit son bébé qui s'esquive » est relativement banal, voire même peut avoir une dimension ludique. Cependant, selon lui, ce type d'interactions peut, dans certaines situations, devenir tout à fait inquiétant du fait de son importance et des effets négatifs sur les deux partenaires.
L'étude de documents audiovisuels familiaux (films, vidéos) réalisés par les parents pour eux-mêmes au cours des premières semaines et mois de la vie de l'enfant et confiés ultérieurement à la demande du clinicien lorsqu'ils viennent le voir plus tard en consultation est un moyen d'investigation très précieux. L'utilisation des films familiaux permet d'une part d'affiner la sémiologie initiale du syndrome autistique et d'autre part rend possible l'observation et la compréhension des interactions précoces entre le jeune enfant et ses partenaires.
À cet égard, la recherche conduite aux États-Unis par Massie , ayant pour objectif l'étude de l'attachement entre l'enfant et sa mère mais aussi celle de leurs interactions, a pu montrer que cette méthode apporte des données plus objectives, non soumises à l'influence du temps ou à la distorsion du souvenir. Cette recherche américaine a été la première à utiliser des films familiaux. Elle a porté sur une population de dix enfants dont trois présentaient un syndrome d'autisme infantile. Les données recueillies étaient comparées à celles d'un groupe d'enfants-témoins. Massie et Rosenthal constatent chez les enfants autistes la présence évidente de difficultés touchant les échanges de regard, ces difficultés n'étant pas rapportées par les parents car non remémorées, et l'existence manifeste de symptômes chez des enfants âgés de moins de 1 an, non repérés par des professionnels de santé, conduisant à un retard de diagnostic de plusieurs années.
Un autre ensemble de recherches menées par l'équipe de Tours (Sauvage, Adrien, Malvy et al) est également d'un grand intérêt, bien que n'étudiant pas directement la question des troubles interactifs précoces. Dans une évaluation de 13 enfants pour lesquels le diagnostic d'autisme infantile a été porté, l'étude repose sur l'analyse de documents filmés réalisés par les parents concernant leur enfant au cours des 2 premières années de vie. Un groupe de contrôle est constitué avec des films d'enfants normaux réalisés dans les mêmes conditions. Les conclusions de ce travail confirment que des troubles précoces apparaissent sur les films, dans les premiers mois de la vie de l'enfant, bien avant que les parents et les médecins ne soient alertés. De plus, l'examen des films confrontés à l'observation clinique (examen clinique et entretien avec les parents) sont complémentaires et permettent une meilleure analyse sémiologique des troubles les plus précoces du syndrome d'autisme infantile.
L'équipe de Bobigny (Mazet, Lebovici, Rosenfeld, Polytarides et al) s'est efforcée, à partir de l'étude de films familiaux d'enfants autistes, de mettre en évidence des dysfonctionnements interactifs précoces précurseurs d'une évolution autistique ultérieure, ceci dans une perspective purement descriptive et non étiopathogénique. Cette étude, dont il n'est pas possible ici de préciser les conditions méthodologiques, a permis de montrer  qu'il est possible de repérer des dysfonctionnements interactifs très précoces précédant l'apparition d'autisme infantile. Ces troubles interactifs sont caractérisés par des distorsions des articulations entre le regard et la motricité, des contradictions dans les variations de répartition des tensions corporelles (expressions mimiques et motrices, tonus proximal et distal du bébé et de sa mère par exemple), des perturbations de l'attention conjointe (visuelle), des modifications des rythmes et de la synchronie des engagements interactifs (absence d'incitation interactive du bébé-sollicitation persistante de son partenaire, inversement sollicitation du bébé-absence de reconnaissance des informations par le partenaire), une dyssynchronie des interactions mimiques. De plus, ont été relevées une diminution des transformations d'un mode interactif en un autre et une invariabilité d'une configuration au cours d'un scénario interactif répétitif persistant, l'impression de bizarrerie subjective vécue par l'observateur. Signalons que ces dysfonctionnements interactifs apparaissent tous durant la première année de vie des enfants ; on repère une continuité entre les dysfonctionnements précoces lors des première et deuxième années de vie. Dans une recherche en cours, il apparaît qu'un des dysfonctionnements interactifs les plus notables semble être l'évitement insistant de l'interaction, notamment dans la situation de face-à-face (Mazet ) au point que, dans bon nombre de cas, cette situation de face-à-face n'apparaît pas, comme si elle était quasi impossible (vécu d'intrusion du nourrisson ? adaptation des partenaires ?).
Il y a lieu, bien entendu, d'évoquer là l'apport des études des cognitivistes et des développementalistes concernant l'apparition de la théorie de l'esprit et des précurseurs de celle-ci, ainsi que l'accès à l'intersubjectivité chez le jeune enfant. Ainsi en témoignent l'apparition progressive du jeu de « faire semblant », le comportement d'attention conjointe et le pointer protodéclaratif (cf infra, les études cognitives), présents normalement dès l'âge de 15 mois et qui, chez l'enfant autiste, sont absents ou marqués par des troubles majeurs de mise en place dans la deuxième année [16], outre les perturbations de l'interaction sociale, du jeu social et de l'imitation.


Problèmes de l'évaluation de l'autisme infantile


Les objectifs d'une telle évaluation, bien décrits par Aussilloux , sont de permettre :
  • le diagnostic des troubles autistiques et psychotiques précoces ;
  • le diagnostic des troubles dits associés, notamment de la dimension déficitaire et de l'existence de troubles somatiques ;
  • l'analyse des capacités de l'enfant ;
  • l'analyse des ressources du milieu ;
  • le choix des moyens thérapeutiques et d'éducation spéciale.
Quelle est la méthode et quels sont les moyens et les outils de cette évaluation initiale ?
Bien entendu, une telle évaluation est variable selon les cliniciens et les équipes en fonction de nombreux paramètres, comme on a pu le constater lors d'un colloque récent centré sur ce sujet  qui a réuni plusieurs équipes françaises travaillant dans ce domaine.
Les différents moyens d'observation (en consultation, en groupe), en utilisant éventuellement la vidéo et les films familiaux, permettent l'évaluation des interactions comportementales et affectives de l'enfant et de ses conduites en s'intéressant notamment à leur déroulement temporel (comment s'enchaînent-elles ? dans quelles conditions surviennent-elles, disparaissent-elles, se modifient-elles ?) et au-delà, le repérage des modalités de relations et d'attachement enfant-parents (avec la mère notamment), par exemple lors de la séparation et des retrouvailles de l'enfant avec sa mère lors d'une séance d'observation en groupe d'enfants.
Ce bilan initial s'effectue sur une durée variable, certes limitée dans le temps, mais portant en général sur plusieurs semaines, dans la mesure où le plus souvent au moins trois consultations (par exemple à 10 ou 15 jours d'intervalle) et une observation répétée sont volontiers nécessaires. La stabilité des troubles ou d'éventuels changements représentent un élément important pour permettre de confirmer ou d'infirmer l'impression initiale.
L'éventuelle pratique d'un bilan psychomoteur, psychologique, orthophonique, peut apporter des données tout à fait importantes, complémentaires de l'observation clinique de l'enfant. Le bilan somatique, en cas de forte suspicion d'autisme, comporte quasi systématiquement pour beaucoup de cliniciens, un électroencéphalogramme, un scanner ou une imagerie par résonance magnétique (IRM), un caryotype avec plus spécifiquement la recherche d'un X fragile, une chromatographie des acides aminés urinaires et un dosage de lactate et pyruvate plasmatiques. Ce bilan somatique, assez lourd, est évidemment lié à la première impression diagnostique. Les objectifs et les moyens de ce bilan sont développés par Isnard et Mouren-Simeoni au cours du colloque déjà cité [95].
Un certain nombre d'instruments utilisés dans le processus diagnostique et dans cette évaluation peuvent être utilisés.
Ce sont des échelles comme l'ADI (autism diagnostic interview)-R, l'ADOS (autism diagnostic observation schedule), ou le PL (prelinguistic)-ADOS, adaptées spécifiquement à la pathologie autistique. Elles recouvrent les critères diagnostiques internationaux d'autisme et permettent d'affiner le repérage clinique.
L'ADI a été élaboré par Rutter, Lord et Le Couteur en 1989 [120]. L'ADI est un entretien mené dans le cadre d'une rencontre avec un parent, ou tout au moins avec une personne qui connaît bien l'enfant. Il ne peut être utilisé que par des personnes qui ont une très bonne connaissance clinique et qui sont entraînées à ce type d'entretien. L'entretien comporte six sections :
  • la première est une section d'orientation générale qui permet d'obtenir des informations de base concernant l'enfant et la configuration familiale ;
  • la deuxième section porte sur l'histoire du développement ;
  • les trois sections suivantes s'orientent vers la recherche des signes actuels et dans les années antérieures dans trois domaines : communication et langage, développement social (c'est-à-dire interpersonnel et jeux), intérêts et comportements inhabituels ;
  • la sixième et dernière section concerne les difficultés de comportement non spécifiques et les éventuelles aptitudes particulières.
La place de l'ADI, utilisée actuellement dans sa forme révisée , dans l'évaluation de l'autisme et des informations à son sujet est précisée par Rogé .
L'ADOS et le PL-ADOS (pour les plus jeunes enfants) sont des échelles utilisées par le clinicien lors de son observation et élaborées par Lord, Rutter , Dilavore et al . Leur intérêt et leurs limites sont décrits par Tordjman. Ainsi, l'échelle PL-ADOS offre au clinicien la possibilité d'observer chez un enfant, dès l'âge de 18 mois, les capacités d'attention conjointe, de symbolisation (au travers des jeux de « faire semblant ») et de pointage référencé (l'enfant désigne à l'évaluateur un objet à distance en le pointant du doigt).
Ces échelles d'évaluation permettent d'introduire une médiation et ce aussi bien par rapport à l'enfant autiste, à sa famille ou à l'équipe soignante. Ainsi, l'enfant n'est pas placé en relation dyadique de face-à-face avec le clinicien (il est d'ailleurs spécifié de proscrire les approches physiques de face) et celui-ci interagit avec lui à partir de l'utilisation de jouets, d'objets précis (faisant partie d'un kit supposé être identique pour chaque évaluateur) et dont le choix a été fait sur l'intérêt habituel qu'ils suscitent chez l'enfant autiste (intérêts sensoriels, activités se prêtant à une utilisation stéréotypée, etc).
Bien d'autres instruments ont été élaborés. Ce sont, par exemple, l'échelle de Vineland [198]qui évalue les compétences dites sociales de l'enfant et qui présente l'intérêt de distinguer les scores de socialisation des scores d'aptitude de la vie quotidienne et qui peut être remplie par l'infirmier ou l'éducateur.
La CARS (children autistic rating scale), utilisée par certaines équipes, est une échelle d'intensité des troubles en 15 items élaborée par Schopler et al .
En ce qui concerne le jeune enfant dans sa deuxième année, on a vu l'intérêt de la PL-ADOS, mais il faut aussi citer l'intérêt de l'échelle élaborée par l'équipe de Tours, avec notamment Adrien, Barthelemy, Sauvage, l'ECA-N et l'intérêt du CHAT, élaboré par Baron-Cohen et son équipe .
Il y a lieu bien entendu de souligner qu'il ne faut pas oublier qu'il s'agit, quelles que soient les modalités de cette évaluation, d'une rencontre clinique interpersonnelle particulièrement importante dans l'immédiat et pour la suite. L'empathie et le respect d'autrui doivent être au coeur de nos démarches d'évaluation, même et surtout lorsque nous utilisons des échelles et des questionnaires standardisés, dans une perspective de recherche clinique ; attention à une démarche d'inventaire exclusive. Il y a lieu même de bien différencier les objectifs de la pratique clinique (répondre à une demande d'avis diagnostique et de soins pour un enfant et d'aide pour les parents) et ceux de la recherche clinique (faire progresser notre connaissance dans le domaine de l'autisme infantile précoce) et de ne pas perdre de vue les premiers, si l'on est amené aussi à se situer dans le champ de la recherche (Mazet ). La dimension potentiellement thérapeutique de l'observation et de cette évaluation initiale est à souligner ici.


Quelle annonce du diagnostic ?


Il s'agit évidemment d'une situation difficile et complexe, compte tenu de plusieurs facteurs :
  • la connotation très lourde et péjorative du diagnostic d'autisme ;
  • les difficultés diagnostiques chez l'enfant jeune, nos incertitudes quant au pronostic et à l'évolution ;
  • et bien entendu la complexité de ce champ, notre ignorance dans beaucoup de domaines concernant l'autisme et les troubles précoces sévères et envahissants du développement.
Il est évident que notre conception des troubles autistiques ne peut pas ne pas être présente dans ce que nous allons transmettre aux parents, comme à l'enfant, de ce que nous pensons de l'évaluation qui vient d'être faite, comme le souligne Lemay .
Ceci dit, l'« annonce » ne peut être qu'adaptée à la capacité qu'on perçoit chez les parents d'y être confrontés. On peut dire que le processus de révélation du diagnostic est en fait la dynamique d'un échange entre deux histoires à propos de l'enfant, celle des parents d'une part et celle des soignants d'autre part. C'est un processus animé par le doute et l'attente active ou passive par les parents d'une certaine vérité capable de mettre fin à leur dépendance à l'égard de la parole médicale. Il est utile d'évoquer très brièvement le travail fait par Corbet et Greco sur les représentations et la réalité de l'annonce du handicap dont on peut voir les éventuelles implications dans la situation de l'autisme. Ces auteurs, dans leur enquête, sont amenés à proposer une modélisation du processus de révélation du handicap et ainsi de définir à la fois des fonctions, des rôles professionnels et des rôles correspondants du parent.
Trois fonctions d'assertion, apocryptique et performative du processus de révélation, sont ainsi définies. On voit bien là l'importance de pouvoir d'une certaine manière, dans le temps, assurer ces trois fonctions à la fois d'information, mais aussi de réduction du caractère inexorable de la vérité médicale permettant de « donner espoir », puis une attitude de mise en compétence des parents leur donnant un rôle actif, et de repérage des ressources de l'enfant. L'aide et l'accompagnement des parents dès cette phase initiale sont évidemment essentiels, compte tenu de leur souffrance et des malentendus qui peuvent s'instaurer entre eux et les soignants ainsi que le rappelle Hochmann .


Autres aspects cliniques



Syndrome d'Asperger


C'est en 1944, que le psychiatre autrichien Asperger a publié un article de langue allemande à Berlin sur « Les psychopathes autistiques pendant leur enfance » traduit en français récemment . À partir de quatre cas, il décrit de manière très fine, les troubles de ces enfants atteints de formes d'autisme d'intensité variable et dont les capacités intellectuelles - différentes pour chacun d'entre eux - se situent globalement au-dessus de celles des cas décrits par Kanner ; il y affirme la constance des traits autistiques, met l'accent par ailleurs sur l'importance des troubles psychomoteurs, notamment au niveau de la gestualité, de la mimique et du regard.
Passé d'abord inaperçu, le syndrome d'Asperger apparaît dans la littérature internationale en 1981 grâce à un article de L Wing . Le statut nosologique du syndrome d'Asperger est actuellement discuté. Un certain nombre d'auteurs en ont fait une forme spécifique de troubles envahissants du développement, distincte de l'autisme, alors que d'autres le considèrent comme une forme clinique d'autisme à début plus tardif, sans retard de langage ni retard intellectuel, en le rapprochant notamment de la notion d'autisme de haut niveau de fonctionnement.
Voici, d'après le travail de C Vernier , une présentation résumée de la description d'Asperger.
Il s'agit d'enfants ayant :
  • des troubles de la communication non verbale : contact visuel absent ou de mauvaise qualité ; mimiques ou gestes pauvres ou anormaux qualitativement ; postures inadaptées ;
  • des troubles de la communication verbale, malgré un développement du langage généralement normal, voire précoce : pas de trouble phonétique, ni phonologique, ni syntaxique ; mais il existe des troubles sémantiques : choix des mots singulier, parfois spectaculairement original ; parfois des néologismes. La prosodie est volontiers anormale tant dans le volume que dans l'intonation. Il y a aussi des anomalies pragmatiques du langage : le langage est volontiers digressif, tenant peu compte de l'interlocuteur et du contexte ; impression d'un langage pédant, manquant de naturel ;
  • des troubles des interactions interpersonnelles : relations interpersonnelles (dites sociales) restreintes : l'enfant est isolé au sein de sa famille ou de sa fratrie comme au sein des autres enfants, il ne participe pas à des activités de groupe. Son originalité explique qu'il soit volontiers la cible des moqueries des autres enfants. Les troubles du comportement, l'opposition, voire l'agressivité, l'inattention font que ces enfants sont généralement jugés comme ne pouvant pas être intégrés dans un milieu scolaire normal ;
  • des troubles psychomoteurs : la gaucherie de la posture est souvent manifeste ; on note des difficultés dans l'apprentissage des gestes simples du quotidien ; la maladresse apparaît aussi bien dans la coordination globale que dans la motricité fine ; les stéréotypies motrices et les activités stéréotypées sont fréquentes ;
  • un niveau intellectuel, bien que l'efficience intellectuelle des cas d'Asperger n'ait pu être évaluée au moyen de tests standardisés, l'auteur insiste sur le fait qu'elle lui semble souvent située nettement au-dessus de la moyenne ; l'originalité de la pensée et de la production verbale des enfants le surprend parfois par sa maturité. Il existe parfois des compétences tout à fait remarquables et particulières, soit sur le plan de la mémoire, soit sur le plan des connaissances et du raisonnement mathématique ;
  • une vie émotionnelle : expression dans tous les cas anormale, quelle soit émoussée ou inappropriée ; par exemple, on peut observer un désintérêt total pour la sexualité à la puberté ou au contraire des compulsions masturbatoires en public, exhibitionnistes. Le manque d'empathie de ces enfants, leur indifférence vis-à-vis de certaines conventions sociales, leur égocentrisme, leur absence de sens de l'humour rendent leur intégration sociale très problématique.
En 1979, Asperger [8] a évoqué les limites de son syndrome en le comparant à l'autisme de Kanner. L'enfant ayant un syndrome d'Asperger est, selon lui, moins gravement atteint, très intelligent, doué de talents spéciaux ; les premiers symptômes apparaissent pendant la troisième année de vie ; l'enfant développe une syntaxe élaborée très tôt.


Psychoses précoces déficitaires


Sous ce terme sont décrites en France, à la suite (Mises  et Lang ), des formes où, comme le décrit le glossaire de la CFTMEA, sont intriqués les traits et mécanismes de la psychose et des troubles graves dans l'organisation des fonctions cognitives et instrumentales, sans qu'on puisse établir une prééminence d'ordre étiopathogénique ou clinique de l'un des versants sur l'autre.
Ainsi, dans un tableau dominé par le retard mental et la dysharmonie des acquisitions, le diagnostic repose principalement sur la mise en valeur d'un noyau psychotique dont les expressions varient selon les sujets et selon l'évolution. « Le retrait est moins massif que dans le syndrome de Kanner et les difficultés de communication sont d'origine complexe (au repli de fond s'associent les déficits intellectuels, les troubles gnosopraxiques et du langage). Les angoisses psychotiques s'extériorisent surtout à l'occasion d'accès qui entraînent des phases de repli plus accentué, des régressions sévères, des comportements impulsifs notamment autoagressifs. » (CFTMEA ) Au cours de l'évolution, des décompensations d'allure dissociative ou des épisodes délirants polymorphes peuvent survenir, en particulier autour de la puberté.
Il est essentiel d'évaluer cette dimension psychotique d'un tableau présentant un retard mental car l'attitude thérapeutique doit la prendre en considération au cours de la prise en charge, notamment en hôpital de jour.


Dysharmonies psychotiques


Ces formes sont bien décrites dans la classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent, notamment à la suite des travaux de R Mises sur les dysharmonies évolutives de structure psychotique , mais elles recouvrent certains tableaux décrits aussi parfois sous les formulations de prépsychose, parapsychose, psychose pseudonévrotique, ou bien encore de troubles atypiques sévères ou schizoïdes.
Elles ont une expression manifeste à partir de l'âge de 3 ou 4 ans. La symptomatologie varie d'un cas à l'autre et, pour le même enfant, elle se modifie au cours de l'évolution. À vrai dire, les motifs de consultation sont très divers, polymorphes :
  • manifestations d'angoisse diverses ;
  • inhibition sévère ;
  • grande instabilité ;
  • troubles relationnels importants ;
  • dysharmonie dans l'émergence du langage et des fonctions cognitives ;
  • échec scolaire ;
  • etc.
Au-delà de cette symptomatologie variable, les traits et mécanismes de la dysharmonie psychotique peuvent être repérés, comme le note le glossaire de la CFTMEA  :
  • menace de rupture avec le réel, absence ou mauvaise organisation du sentiment de soi et des rapports avec la réalité ;
  • tendance au débordement de la pensée par des représentations très crues ;
  • angoisses de types divers : angoisse de néantisation, angoisse dépressive et de séparation, parfois attaque de panique ;
  • dominance d'une relation duelle avec incapacité d'accès aux conflits et aux modes d'identification les plus évolués ;
  • prédominance de positions et d'intérêts très archaïques.
Cependant, en dépit de ces traits, les capacités d'adaptation et de contrôle assurent parfois une protection contre des risques de désorganisation. Cette adaptation repose alors sur la mise en oeuvre de modalités défensives contraignantes impliquant des restrictions notables dans les échanges avec autrui.
Certains aspects symbiotiques d'évolutions psychotiques précoces peuvent être rapprochés de ce cadre des dysharmonies psychotiques ; ils ont été bien décrits par Mahler (1952) qui les distingue des aspects autistiques ; ils représentent selon elle « une fixation, une régression à un stade plus différencié de la personnalité ». Elle est ainsi amenée à décrire un syndrome symbiotique  fait, par exemple :
  • d'une irrégularité du développement, une vulnérabilité frappante du Moi, en voie d'éclosion, à toute frustration minime ;
  • de réactions extrêmes aux échecs mineurs qui adviennent normalement au cours de la période dite « des expériences » ; par exemple, ce sont des enfants qui abandonnent la marche pendant des mois parce qu'ils sont tombés une fois ;
  • d'une angoisse massive de séparation et d'annihilation en réponse à des expériences aussi courantes que l'entrée en maternelle, une hospitalisation, etc.
Ces troubles deviennent patents soit progressivement à partir de 3 ou 4 ans ou un peu moins, soit soudainement à certains moments clés du développement de la personnalité où l'enfant doit se confronter à une séparation de la mère, souvent à l'occasion d'un événement précis. On peut voir alors, selon M Mahler :
  • une perte des frontières du Self ;
  • une réaction excessive à tout échec, geste magique et échopraxie ;
  • des préoccupations psychotiques pour un objet inanimé tel qu'un ventilateur, un électrophone, un bocal de bébé et même du fil que l'on peut enrouler autour du doigt, bref le « fétiche psychotique ».
Le multiplex developmental disorder (MDD) (Cohen et al, Klin et al) recouvre aussi sur certains points les aspects décrits en France dans l'expression de dysharmonie psychotique (Tordjman et al ). Voici les caractéristiques de ce syndrome :
  • expression manifeste vers 3-4 ans ;
  • troubles complexes et multiples du développement (retrouvés dans trois principaux domaines : émotionnel, cognitif et social) ;
  • variabilité émotionnelle avec troubles de la régulation des affects et anxiété, à travers des épisodes de désorganisation comportementale, une anxiété ou une tension intense et généralisée avec de fréquentes réactions anxieuses, idiosyncrasiques et bizarres, une anxiété fluctuante ou des épisodes répétitifs d'attaque de panique, enfin des peurs et des phobies ;
  • des troubles de la pensée : confusion entre la réalité et le monde intérieur, irrationalité, pensée magique, hyperinvestissement du sujet dans des personnages imaginaires ;
  • troubles des comportements dits sociaux et des interactions : avec évitement, détachement et désintérêt relationnel du sujet ou retrait malgré une évidente compétence ou encore troubles sévères des interactions avec ses pairs ; limitation importante de la capacité d'empathie et de compréhension correcte des affects d'autrui.


Évolution et pronostic

Des écarts importants apparaissent dans les résultats observés et rapportés : certains auteurs ont une opinion très péjorative, d'autres font état d'améliorations remarquables. Ces divergences d'appréciation sont particulièrement nettes en ce qui concerne l'autisme infantile et les psychoses déficitaires considérées généralement comme ayant le moins bon pronostic parmi les états psychotiques précoces.
Ainsi Kanner lui-même et après lui de nombreux cliniciens ont souligné le fâcheux pronostic attaché aux troubles autistiques lorsqu'à l'âge de 5 ans on note un défaut de langage et un sévère déficit intellectuel. De même, pour les psychoses déficitaires, sont volontiers retenus comme éléments inquiétants l'existence d'une atteinte encéphalopathique de base avec défauts d'intégration d'ordre perceptif et moteur et troubles primaires du langage.
D'autres cliniciens, à l'inverse, font état de résultats thérapeutiques très positifs, y compris dans la cure d'enfants autistes déjà âgés, privés de langage et intestables au premier bilan - voire même dont les troubles sont nés sur une base encéphalopathique. Parmi eux, dans l'autisme, Bettelheim [22] fait état (à partir d'un traitement institutionnel et psychothérapique intensif avec séparation du milieu familial), chez 40 sujets traités, de huit échecs, de 15 résultats moyens permettant une adaptation et de 17 guérisons laissant subsister seulement de discrètes bizarreries.
Une telle divergence est liée au fait que les facteurs de cette évolution sont très nombreux et interactifs. On peut en distinguer deux grands types :
  • les particularités des troubles chez un enfant donné : précocité d'apparition, intensité de la symptomatologie, existence de troubles associés (retard mental, épilepsie, maladies organiques diverses), nature des mécanismes psychopathologiques, particularités de l'équipement encore mal définies ;
  • les facteurs d'environnement : caractéristiques familiales sur les plans psychologique et social, mais aussi ressources communautaires (scolarité, loisirs, etc) et moyens de prise en charge spécifique, tant thérapeutiques qu'éducatifs, des troubles.
De nombreux travaux se sont efforcés de décrire une telle évolution, mais les populations étudiées ne sont pas toujours superposables. Notons en effet que beaucoup d'auteurs envisagent sous la dénomination d'autisme l'ensemble des troubles envahissants du développement : autisme proprement dit et psychoses précoces.
En se référant notamment à la synthèse récente faite par Aussilloux et Mises , il apparaît que la position d'isolement observée le plus nettement chez l'enfant de 3-4 ans va se modifier et laisser la place à des signes d'attachement différencié envers les adultes et d'interactions limitées avec des pairs. Ainsi, Wing et Attwood (cités en ) décrivent deux positions qui peuvent succéder au retrait autistique : la position passive, où l'enfant accepte les relations mais n'en prend pas l'initiative, la position active mais étrange où l'enfant peut être à l'origine des interactions mais le fait de manière atypique.
Sur le plan du langage, l'écholalie tend à diminuer à l'âge dit scolaire et à laisser la place à un langage plus spontané. Dans plusieurs études, environ la moitié des enfants qui ne parlaient pas dans la période scolaire acquièrent par la suite un langage.
Les enfants qui n'ont pas de déficience intellectuelle associée peuvent acquérir des connaissances scolaires, avec davantage de difficultés dans la compréhension de ce qu'ils lisent et dans le repérage des relations interpersonnelles.
Ils acquièrent des habitudes, des performances pratiques dans la vie quotidienne et sont mieux adaptés aux attentes d'autrui à leur égard. Cependant, ils restent souvent gênés par des comportements obsessionnels et par une résistance aux changements.
À l'adolescence, l'évolution peut être très différente selon les individus. Un petit nombre d'entre eux effectue des progrès importants. Pour d'autres au contraire, il existe une régression sur une période prolongée mais qui peut être suivie d'une phase de légère amélioration jusqu'à l'âge adulte. Il peut exister à cette période des éléments dépressifs qui passent souvent inaperçus et rendent compte de certaines régressions, sans que celles-ci aient une valeur péjorative sur l'évolution au long cours.
À l'âge adulte, les troubles et l'adaptation sociale des sujets sont donc variables.
En 1971, Kanner a réalisé une étude du suivi pour les 11 enfants qui avaient été à l'origine de sa publication princeps [99]. D'emblée est démontrée la grande diversité de la qualité des évolutions : alors que deux adultes ont pu faire des études secondaires, ont un emploi salarié et même une vie autonome tout en résidant chez leurs parents, un seul a une activité que l'on pourrait appeler « emploi protégé » et six sont en service hospitalier sans activité structurée, sans programme de soins spécifique. Il y a eu un décès subit et il a été impossible d'avoir des nouvelles précises du onzième patient. Sur le plan du langage, sur les neuf personnes suivies, il n'y a pas de langage verbal chez trois d'entre elles ; il est limité et non utilisé dans son usage social chez quatre autres.
Mais bien d'autres études ont suivi depuis ce travail initial de Kanner. On peut citer celles de Creak en 1963, Bender en 1970, Rutter en 1970, Goldfard en 1974, Rivière en 1980, et plus récemment celles de Manzano en 1986  dont les très bons résultats dans l'évolution des enfants sont à noter, Gilberg et al en 1987 , Fombonne en 1989 , Lucas en 1990, Aussilloux et Roques en 1991. On peut retenir, sur des critères d'adaptation sociale, que 5 à 20 % des adultes ont une vie sociale normale ou proche de la normale, avec un fonctionnement satisfaisant pour une activité professionnelle. Quinze à 30 % ont une adaptation moyenne avec une autonomie personnelle et des activités de production dans un cadre protégé. Quarante à 60 % sont limités dans leur vie sociale, ne peuvent effectuer d'activités et doivent vivre dans un cadre protégé, avec des degrés différents dans leur limitation d'autonomie personnelle. La vie psychique est décrite de manière diverse, allant de la normalité pour un pourcentage de 2 à 5 %, à des troubles de la personnalité associés ou non à un retard mental léger et comportant des aspects obsessionnels et compulsifs, des troubles phobiques ou une personnalité schizoïde ; il existe surtout aussi des aspects déficitaires sur le plan intellectuel avec ou non effacement des traits autistiques. Enfin, la réalité d'évolution vers un tableau proche de la schizophrénie, pour un faible pourcentage de cas, est discutée par de nombreux auteurs.
Il y a lieu de citer deux travaux récents :
  • l'un de Mises et Perron qui porte sur une population dans laquelle se retrouvent des facteurs défavorables par l'association prédominante de déficience intellectuelle et de difficultés d'environnement ;
  • l'autre de Venter, Lord et Schople qui s'intéresse exclusivement au devenir des enfants sans troubles importants du langage.
Le premier montre de façon claire l'intérêt des prises en charge sur une longue période en utilisant des supports institutionnels diversifiés, en faisant leur place aux structures médicoéducatives. Par exemple, pour l'ensemble des 41 enfants, 58 % à la fin de l'adolescence parviennent à une insertion professionnelle, en grande majorité en milieu protégé ; 11 % souffrent de perturbations évolutives sévères et sont hospitalisés en psychiatrie pour adultes et l'aspect déficitaire des 31 % autres les a fait orienter dans des structures médicosociales pour adultes.
La seconde étude (Venter et al) souligne le fait que l'âge d'apparition d'un langage communicatif avant 5 ans est un bon élément prédicteur pour l'ensemble du pronostic ; que le quotient intellectuel (QI) initial est aussi un élément important, de même que l'intensité des troubles autistiques décrits par les parents dans l'ADI ; les anomalies du langage sont bien corrélées au score d'adaptation sociale ultérieure, le domaine des comportements stéréotypés étant, lui, corrélé au degré de réussite dans les apprentissages scolaires.
On peut remarquer que les études les plus récentes font état, pour les cas comparables, d'une meilleure adaptation sociale par rapport à ce qui avait été observé il y a une quinzaine ou une vingtaine d'années auparavant. Ainsi, les connaissances actuelles sur l'évolution doivent tempérer les excès de pessimisme qui sont fréquents quand parents ou professionnels sont confrontés à l'autisme, comme les excès d'optimisme liés en général abusivement à quelques cas de très bonne évolution que l'on peut constater. La variété des évolutions laisse encore beaucoup d'inconnues. Des études multicentriques comparatives sont indispensables pour nous permettre d'avancer dans le domaine.

Aspects psychopathologiques

Nous envisageons ici ce qui a trait au sens des symptômes et à la souffrance psychique qu'ils révèlent. Si l'on veut essayer d'y voir clair dans les débats actuels, il faut faire une franche distinction entre les approches qui visent à mettre en évidence les facteurs étiologiques d'une affection mentale, celles qui visent à décrire les mécanismes impliqués dans des dysfonctionnements pathologiques et celles qui visent à comprendre le sens des productions pathologiques en se référant à un modèle du fonctionnement mental. Dans ce dernier cas, il ne s'agit pas de remonter du symptôme à son étiologie, mais de partir du symptôme pour chercher en aval de lui ce qu'il vise, quel est son sens. Il est clair que ce point de vue n'est en rien exclusif des autres points de vue. L'important est de situer chaque point de vue dans son champ de validité.
Dans le sens qui vient d'être défini, les modèles psychopathologiques de l'autisme infantile et de psychoses précoces appartiennent aux différents courants de la psychanalyse. Il existe des approches psychopathologiques non psychanalytiques, les approches systémiques et phénoménologiques, mais jusqu'à ce jour elles n'ont guère été appliquées à ce domaine de la pathologie. Les modèles psychanalytiques dont nous allons parler peuvent se classer en trois rubriques, selon le point de vue prévalent qu'ils adoptent : génétique, dynamique, structural.


Modèles génétiques

Du point de vue génétique, l'autisme et les psychoses précoces correspondent à des stades du développement psychique. La signification d'un état psychotique y est tantôt celle d'une fixation à un stade du développement qui n'a pu être dépassé, tantôt celle d'une régression à un stade antérieur.


Modèle de Mahler


M Mahler situe les psychoses infantiles sur un axe qui conduit l'enfant d'un état d'autisme normal à la séparation-individuation. La phase d'autisme normal correspond aux toutes premières semaines de l'existence extra-utérine. Pendant cette phase, l'enfant ne perçoit pas sa mère comme étant la source de la satisfaction de ses besoins. Il est « dans un état de désorientation hallucinatoire primaire » dans lequel la satisfaction de ses besoins relève de sa propre sphère autistique toute-puissante. Les investissements de l'enfant sont quasi exclusivement orientés vers ses perceptions intéroceptives. Il n'a pas encore les moyens d'intégrer les stimuli extéroceptifs, dont il est normalement protégé. La phase symbiotique du développement débute dans le courant du troisième mois, lorsque l'enfant commence à avoir une perception confuse de sa mère comme source extérieure de satisfaction, mais à l'intérieur d'une membrane symbiotique qui les réunit tous les deux et qui leur délimite un espace commun séparé du monde environnant où le bébé projette ses mauvais objets. Des rudiments du Moi commencent à s'organiser. Les investissements se déplacent des sensations intéroceptives vers le sensorium et l'enfant s'oriente vers la perception du monde extérieur en recourant à ce que Mahler appelle le « schème de la contre-épreuve », c'est-à-dire qu'il oriente sa perception vers un élément du monde extérieur, puis vers le visage de sa mère qui lui sert de référence. La troisième phase, dite de séparation-individuation, commence vers 9 mois et s'achève vers la fin de la troisième année. Progressivement, grâce à l'intériorisation de l'objet maternant, l'enfant peut se séparer de sa mère et se différencier d'elle.
Dans un premier temps, Mahler a établi une correspondance précise entre les deux premières phases de développement qu'elle avait décrites et les psychoses infantiles : à la phase d'autisme normal correspondait par un mécanisme de fixation la psychose autistique, à la phase symbiotique la psychose symbiotique. Une troisième possibilité était la régression à partir d'une phase symbiotique instable à un autisme secondaire. Après 1951, elle a nuancé cette classification et relativisé les mécanismes de fixation et de régression qu'elle avait rendu responsables des évolutions psychotiques. Au lieu d'opposer psychose autistique et psychose symbiotique, elle en est venue à considérer que les organisations psychotiques de l'enfance comportaient les deux types de mécanismes, autistique et symbiotique, avec une prédominance de l'un des types sur l'autre[134]. Par ailleurs, elle s'est éloignée de l'hypothèse de purs mécanismes de fixation ou de régression. Elle a décrit des mécanismes actifs qui s'opposent à la reprise du développement et qu'elle appelle des « mécanismes de maintien ». Dans les psychoses autistiques, le mécanisme de maintien principal est une conduite hallucinatoire négative qui annule la perception de la mère et la représentation du monde extérieur. L'enfant n'investit pas sa mère comme « référence émotionnelle extérieure » . Cette absence d'investissement du personnage maternant ne permet pas le déplacement de ses investissements des sensations intéroceptives vers le sensorium, ce qui entraîne un défaut profond de la constitution de son image du corps. Dans les psychoses symbiotiques, la représentation de la mère existe, tout au moins en tant qu'objet partiel que Mahler appelle le « principe maternant » . Le mécanisme de maintien essentiel est la fusion entre le Self et le bon objet partiel avec « l'illusion délirante d'une frontière commune à deux individus réellement et physiquement distincts » . Toute expérience de séparation d'avec l'objet symbiotique est vécue de manière catastrophique et est l'occasion de l'émergence de nombreux troubles.
Les hypothèses de Mahler ont été en partie contredites par les recherches sur les compétences du nouveau-né, qui s'inscrivent en faux contre une période d'autisme normale. En revanche, sa référence au processus de séparation-individuation reste très utile pour la compréhension de la pathologie psychotique du jeune enfant.


Modèle de Winnicott


C'est par rapport au problème de la constitution d'une personnalité saine et du rôle des soins maternels que Winnicott situe la question de la psychose chez l'enfant. Il considère que « la santé mentale s'édifie au cours des stades les plus primitifs, lorsque le nourrisson est exposé petit à petit à la réalité extérieure » . Sa première conception de la psychose infantile s'articule autour du processus d'intégration duSelf. Au tout début de son existence, le nourrisson ne constitue pas à lui seul une unité ; l'unité est constituée par ce qu'il appelle la « structure individu-environnement » . L'environnement dont il parle est un environnement humain, essentiellement la mère qui a pour tâche de s'adapter aux besoins de l'enfant de façon à lui permettre d'avoir l'illusion de créer l'environnement qui lui convient. Cette illusion n'a qu'un temps, après viendra le temps de la désillusion, mais ce premier temps est nécessaire pour que l'enfant puisse avoir un « sentiment continu d'exister » et qu'il puisse se constituer un vrai Self. La nécessité d'une adaptation trop précoce à l'environnement l'amènerait au contraire à la constitution d'un faux Self ou, pire, à organiser une psychose comme mode de défense contre un environnement persécuteur. En 1962, il introduit l'idée que la « mère-environnement » a pour fonction de protéger l'enfant contre des angoisses inimaginables . Il cite quatre types d'angoisses inimaginables :
  • se morceler ;
  • ne pas cesser de tomber ;
  • ne pas avoir de relation avec son corps ;
  • ne pas avoir d'orientation.
Il fait remarquer qu'elles constituent l'essence des angoisses psychotiques. Il existe alors les fonctions maternelles qui visent à contrecarrer l'émergence de ces angoisses et à permettre l'organisation du Moi de l'enfant : le holding, façon qu'a la mère de porter physiquement et psychiquement son bébé, qui permet l'intégration du Moi ; le handling, qui correspond à la façon dont la mère manipule physiquement et psychiquement l'enfant, qui favorise la personnalisation, c'est-à-dire le sentiment d'habiter son propre corps ; la « présentation de l'objet », qui est la façon dont la mère laisse l'enfant trouver l'objet de sa satisfaction et s'en accommoder pour lui permettre d'avoir l'illusion d'avoir créé l'objet. Ce sont donc les défaillances de ces fonctions maternelles que Winnicott rend responsables d'éventuelles évolutions psychotiques.
Par la suite, il a repris cette hypothèse en l'enrichissant de quelques éléments nouveaux. Dans La schizophrénie infantile en termes d'échec d'adaptation , il introduit le concept de haine inconsciente refoulée de la mère, qui gêne l'adaptation de celle-ci aux besoins profonds du bébé. Dans La crainte de l'effondrement , il introduit deux concepts essentiels :
  • le premier est que la psychose n'est pas à considérer comme un effondrement du psychisme, mais comme une organisation défensive liée à ce qu'il appelle uneprimitive agony et qui a été rendu dans la traduction française par « agonie primitive » ; les « angoisses primitives » sont les angoisses (cf supra) dues à une défaillance précoce de l'environnement maternel ; la psychose est donc une organisation défensive, dont le but est d'empêcher le retour de l'effondrement lié à l'une ou l'autre des agonies primitives ;
  • le second concept est que l'effondrement redouté a déjà eu lieu mais qu'il n'a pas été éprouvé ; l'espoir thérapeutique est qu'il puisse être éprouvé dans la cure et reconnu comme ayant déjà eu lieu ; cela suppose, de la part du thérapeute, une capacité de recevoir dans son contre-transfert les messages psychotiques et de les relier aux agonies primitives qui les sous-tendent.
Par ailleurs, Winnicott a décrit en 1958 ce qu'il a appelé la « dépression psychotique »  qui survient lorsque la « mère-environnement » fait défaut à un stade très primitif du développement de l'enfant, antérieur à toute possibilité de symbolisation. L'enfant ressent la perte de sa mère sur un mode très concret comme une perte d'une partie de sa propre substance corporelle. Tustin a, par la suite, développé ce concept fondamental.


Modèle de Bettelheim


Bruno Bettelheim a comparé l'autisme infantile à ce qu'il a observé chez certains détenus des camps de concentration où il a été lui-même interné en tant qu'opposant au régime nazi. Ces détenus semblaient se résigner à leur mort prochaine et inéluctable, avec le sentiment que toute action de leur part ne pouvait qu'aggraver leur sort au lieu de l'améliorer. Bettelheim a donné le nom de « situation extrême » aux situations de ce type, caractérisées par le fait que la victime a le sentiment qu'elle ne peut agir d'une manière favorable pour elle-même, mais que toute action de sa part ne peut que lui être défavorable. Par ailleurs, il attribue une grande importance à l'activité du bébé dans sa relation à sa mère. Il a été l'un des premiers auteurs à souligner l'importance de cette part active de l'enfant dans ce qu'il appelle la mutualité entre la mère et lui. Il fait l'hypothèse que c'est un échec de cette mutualité qui est la base de l'autisme infantile, l'enfant ayant le sentiment que toute tentative active de sa part pour rencontrer sa mère ne peut qu'aboutir à un échec et, par là même, à une aggravation de sa situation, car rien n'est plus douloureux qu'une tentative de communication qui n'aboutit pas. Confronté à cette situation, il désinvestirait le monde extérieur et éviterait autant que possible toute action sur lui, mais parallèlement son monde intérieur s'appauvrirait faute d'échanges avec le monde extérieur. L'enfant désinvestirait ce monde interne appauvri pour limiter la souffrance et la déception qu'il lui procure. Il se produirait donc un cercle vicieux dans lequel le monde interne de l'enfant ne peut que s'appauvrir, tout en se barricadant contre le monde extérieur, d'où le titre de son célèbre livre La forteresse vide .
Les pratiques thérapeutiques que Bettelheim a déduites de son analyse de l'autisme ont fait l'objet de vives critiques. Son hypothèse l'a conduit à proposer un retrait systématique des enfants autistes de leur milieu familial pour les traiter dans une institution conçue comme un lieu indemne de tous les dangers attribués au milieu familial , un lieu où les expériences de l'enfant puissent être ressenties comme favorables et où les tentatives de communication aient les meilleures chances d'aboutir. Cette idéalisation de l'institution opposée à un milieu familial jugé pathogène a été à l'origine de violentes réactions des parents et de certains thérapeutes qui ont rejeté en bloc, non seulement les apports indiscutables de B Bettelheim dans la compréhension de la pathologie autistique, mais encore tous les apports psychanalytiques. S'il est clair que Bettelheim est tombé dans le piège d'une idéalisation de l'institution, il est juste de dire qu'il n'a pas décrit les parents comme objectivement pathogènes pour l'enfant, mais qu'il a attribué à la subjectivité de l'enfant l'expérience de la situation extrême pathogène. Autrement dit, c'est dans la réalité psychique de l'enfant et non dans la réalité extérieure qu'il faut resituer les hypothèses qu'il propose.


Autres modèles génétiques


En France, plusieurs psychiatres d'orientation psychanalytique ont proposé des modèles de la psychose infantile qui se réfèrent, de manière préférentielle mais non exclusive, au point de vue génétique. À côté du point de vue génétique, ces auteurs font une place aux autres points de vue métapsychologiques et font aussi une place à d'éventuels facteurs biologiques dans la genèse de l'autisme et des psychoses infantiles précoces. Une bonne mise au point sur ces travaux est représentée par le livre que Ledoux a consacré aux Conceptions psychanalytiques de la psychose infantile . Nous ne pouvons ici que les résumer.
Ainsi, la psychose infantile est décrite par Lebovici et Diatkine, qui ont publié certains travaux en commun , à la fois en référence à l'évolution libidinale et notamment aux repères proposés par Spitz, et au développement de la relation d'objet. Elle est, pour eux, une tentative d'adaptation à la persistance de modes archaïques d'investissements libidinaux et de relation objectale, qui n'ont pu évoluer et s'intégrer dans un fonctionnement mental plus généralisé, faute des transactions adéquates avec les objets externes. Les mécanismes de défense du Moi sont impuissants à endiguer un fonctionnement en processus primaires. Les capacités de symbolisation restent insuffisantes pour transformer les fantasmes primitifs qui restent d'une grande crudité et sont projetés dans la réalité extérieure. L'angoisse sous-jacente est une angoisse de néantisation ou de morcellement.
Tout en reconnaissant la prééminence des conflits prégénitaux, Lebovici admet que l'évolution de la relation d'objet amène inévitablement une forme de triangulation pseudo-oedipienne à laquelle il a donné le nom d'oedipification .
Diatkine s'est particulièrement intéressé à des états psychopathologiques frontières de la psychose auxquels il a donné, de même que d'autres auteurs, le nom de prépsychose, tableau syndromique plus nuancé que celui des psychoses avec un moindre envahissement du fonctionnement mental par les mécanismes psychotiques et une moins grande prévalence des fantasmes archaïques. Il décrit la prépsychose d'un point de vue à la fois génétique et économique, c'est-à-dire comme une forme frontière qui peut évoluer vers une décompensation psychotique à l'occasion d'une hémorragie libidinale due à une perte d'objet.
R Mises s'est surtout attaché à différencier les différentes formes de psychose infantile et à les classer dans un ensemble nosographique cohérent. Ses repères classificatoires sont fondés sur une approche psychanalytique. C'est le concept de dysharmonie évolutive autour duquel s'articule sa pensée, concept qui lui permet d'intégrer, dans un même modèle, les facteurs organogénétiques et les facteurs psychogénétiques. L'existence d'éventuels facteurs organiques dans la genèse d'une psychose ne peut être écartée, mais elle ne doit pas être comprise dans le sens d'un déterminisme linéaire dans lequel les troubles psychotiques seraient la conséquence directe de lésions neurologiques. La psychose, en effet, est une organisation d'ensemble de la personnalité et du fonctionnement mental dont les seuls facteurs organiques ne peuvent être responsables. Il faut plutôt comprendre leur rôle comme celui de facteurs favorisant des remaniements psychopathologiques globaux, à côté des événements traumatiques et des dysfonctionnements interactifs. Mises a étendu ce concept de dysharmonie évolutive au-delà de la pathologie psychotique, si bien qu'il a été amené à spécifier une dysharmonie évolutive à versant psychotique. Elle se caractérise par un échec des mécanismes de défense du Moi à colmater l'angoisse, une précarité de l'équilibre entre processus primaires et processus secondaires, une non-intégration des fantasmes prégénitaux dans un fonctionnement oedipien génital. Son évolution peut se faire vers une forme franche de psychose infantile, mais elle peut aussi se faire vers un colmatage grâce à des mécanismes obsessionnels serrés réussissant à contrôler les fantasmes primaires et les angoisses archaïques. Toutefois, Mises conçoit la dysharmonie évolutive à versant psychotique comme une structure de personnalité autonome.
Lang décrit les psychoses franches comme liées à des conflits archaïques non élaborés, correspondant à des phases prégénitales de l'évolution libidinale et à des mécanismes de défense primitifs, repli narcissique, clivage du Moi et de l'Objet, défenses maniaques, etc. À côté des formes franches de psychose infantile, il s'est intéressé aux formes frontières, auxquelles il a donné le nom de parapsychoses, de préférence à celui de prépsychoses , pour en souligner la parenté avec les psychoses franches avec lesquelles elles partagent des similitudes et leur autonomie, les parapsychoses étant à concevoir comme des structures de personnalité en soi, pas nécessairement préalables à une évolution psychotique franche.
C'est un défaut d'identification primaire à la mère au cours d'une période symbiotique normale du développement qui, selon Widlöcher, serait responsable du noyau pathologique que l'on rencontre à la fois dans les psychoses franches de l'enfant comme de l'adulte et dans des structures frontières. Ce défaut dans l'organisation du Moi entraînerait un manque de « sens du réel », une non-familiarité avec la réalité conçue, non comme opposée au monde du fantasme, mais comme le lieu de réalisation des désirs, moyennant la médiation du Moi. Or, la mère de la phase symbiotique normale remplit à ce stade, selon lui, ce rôle de médiation permettant la réalisation des désirs. L'identification à cette imago maternelle permettrait le maintien du sentiment d'omnipotence infantile, fondement du sentiment de familiarité avec la réalité . Faute de cette identification, le psychotique manquerait de ce sentiment de familiarité et serait contraint à un clivage du Moi qui ne serait plus isomorphe au réel. Le monde du fantasme ne pourrait plus rencontrer le réel et préparer cette rencontre, mais il fonctionnerait parallèlement à lui. Widlöcher reconnaît un noyau commun à plusieurs structures psychopathologiques, depuis les psychoses franches jusqu'à des formes de transition ou des formes inachevées ; il est caractérisé par :
  • une appréhension altérée du monde extérieur ;
  • l'expression immédiate et sans défense d'un registre fantasmatique ;
  • l'archaïsme des formes d'organisation de la vie pulsionnelle ;
  • la prédominance d'une angoisse de morcellement et de destruction.
Mais il reconnaît une autonomie aux formes frontières qu'il appelle prépsychose .


Modèles dynamiques

Le point de vue dynamique fait appel à la notion de force psychique et à l'hypothèse de conflits entre forces psychiques. Pour construire un modèle dynamique, il est nécessaire de se référer au transfert et au contre-transfert, tels qu'ils se déploient dans une cure, car c'est dans la dynamique transféro-contre-transférentielle que s'expriment les forces psychiques et les conflits qui les opposent. S Freud n'avait pas reconnu l'existence d'un transfert chez les patients psychotiques. C'est Abraham qui, le premier, en a admis l'existence et a tenté des cures de patients psychotiques.
Mélanie Klein, élève de Abraham, a considérablement approfondi l'exploration des niveaux psychotiques de la psyché. Dès 1930, elle assignait à la psychanalyse la tâche de traiter les psychoses infantiles. Par ailleurs, elle a reconnu l'existence de modes de fonctionnement mental dans la petite enfance qu'elle a rapprochés de fonctionnements psychotiques. Elle leur a donné le nom de « position » pour éviter de les localiser de manière exclusive à une période d'âge donnée. Elle a décrit deux positions :
  • la position schizoparanoïde  qui correspond au mode de fonctionnement des 4 premiers mois de l'existence ; elle est caractérisée par le clivage du Moi et de l'objet en bons et mauvais aspects, par la projection à l'extérieur des mauvais aspects du Moi et l'idéalisation des bons aspects de l'objet auxquels le Moi s'identifie ; c'est le mode de fonctionnement que l'on retrouve dans les psychoses schizophréniques avec des angoisses de persécution par les mauvais aspects de l'objet et de fragmentation du Moi ;
  • la position dépressive  qui débute quand l'enfant prend conscience qu'il n'a pas affaire à deux objets maternels, l'un bon, l'autre mauvais, mais à un seul et même objet ; l'angoisse se transforme alors, elle devient celle d'endommager, voire de détruire l'objet aimé par des attaques destructrices ; elle peut donner issue à trois types de mécanismes de défense : des défenses maniaques marquées par le déni de la valeur de l'objet et le renversement de la culpabilité en sentiment de triomphe sur l'objet ; des défenses obsessionnelles, caractérisées par un contrôle des aspects dangereux du Moi et de l'objet ; la formation du symbole, qui conduit à la réparation de l'objet dans le monde intrapsychique. La position dépressive correspond au mode de fonctionnement mental que l'on rencontre dans les psychoses dysthymiques.
Malgré ces apports, Klein n'a pas proposé de modèle théorique des psychoses infantiles. C'est à certains de ses élèves qu'il allait revenir de le faire, notamment Meltzer et Tustin.


Modèles de Meltzer


D Meltzer a successivement proposé deux modèles, le premier ne concerne que l'autisme infantile, le second s'étend aux autres formes de psychose infantile.
Dans un livre paru en 1975 , Meltzer et al ont proposé un modèle de l'autisme infantile articulé autour des trois concepts suivants :
  • le démantèlement du Moi ;
  • la bidimensionnalité de la relation d'objet ;
  • l'identification adhésive.
Le démantèlement du Moi est un clivage du Moi qui suit les plans d'articulation des différentes modalités sensorielles, si bien que l'autiste ne concentre jamais ses sens sur un même objet. Soit il oriente tous ses investissements sur une même modalité sensorielle, soit chacun de ses sens investit un objet différent, son regard saisit un stimulus venant d'une source, son ouïe capte un stimulus venant d'une autre source, ses doigts palpent un objet indépendant des deux premières sources, etc. Rien ne vient faire la synthèse des différents stimuli qu'il reçoit, il n'y a pas de « sens commun ». Le monde ainsi perçu est sans relief, sans perspective, sans volume, il se réduit à une juxtaposition de sensations. La bidimensionnalité de la relation d'objet est le mode de relation à l'objet libidinal qui s'établit dans ce monde sans profondeur. C'est une relation de surface à surface, de collage avec un objet qui n'est pas ressenti comme ayant un intérieur. Seules ses qualités de surface, qualités sensorielles, sont investies. L'identification adhésive résulte de la bidimensionnalité. Le Self s'identifie à l'objet tout en surface et, pas plus que l'objet, il ne possède d'espace interne. L'identification adhésive empêche le mécanisme de communication primitif, décrit par Bion, fondé sur l'identification projective : l'enfant projette dans sa mère une partie de lui qui contient sa détresse infantile ; la mère a pour fonction de désintoxiquer cette partie projetée et de la renvoyer à l'enfant sous une forme assimilable psychiquement. Cette communication n'est pas possible tant que le Self est en identification adhésive avec l'objet ; il n'y a pas d'espace interne à l'objet dans lequel la projection pourrait se faire. L'enfant autiste ne peut développer ni sa communication ni sa pensée.
Le second modèle proposé par Meltzer est issu de sa théorie du conflit esthétique [150]. Cette théorie lui a été suggérée par des hypothèses de Bion qui pensait qu'en fin de grossesse la matrice utérine devenait pour le foetus un lieu d'inconfort dont il était pressé de se libérer, tout se passant comme s'il avait une pulsion à naître. Meltzer suppose, en outre, que le foetus a hâte d'exercer ses sens qui sont parvenus à maturité et qui ne reçoivent, à l'intérieur de l'utérus, que des stimuli tamisés. La naissance serait donc vécue comme une libération et comme un émerveillement dû à l'abondance de stimulations sensorielles qui assaillent le bébé. Meltzer suppose que l'impact de ces stimulations est ressenti sur le mode d'un sentiment esthétique intense. Le premier objet investi par l'enfant est sa mère et plus spécifiquement le sein maternel. Meltzer l'a nommé objet esthétique, car il est la source de cette expérience esthétique primordiale.
Mais il est aussi la source d'une angoisse due au fait qu'il y a un contraste total entre la connaissance surabondante qu'a l'enfant de ses qualités de surface et la méconnaissance complète qui est la sienne de ses qualités intérieures. C'est ce gradient d'inconnu que Meltzer a appelé conflit esthétique. L'angoisse qui en résulte serait à l'origine du désir de connaître, afin d'explorer les qualités intérieures de l'objet. Meltzer suppose que parfois l'impact de l'objet esthétique est tel qu'il pousse l'enfant à se retrancher dans l'une ou l'autre des quatre psychoses suivantes :
  • l'autisme proprement dit, dans lequel les mécanismes de défense autistiques se mettent en place très tôt pour lutter contre la souffrance due au conflit esthétique. Peut lui succéder un état postautistique, dans lequel s'établit une relation d'objet tridimensionnelle ; des processus d'intériorisation prennent place mais les objets internes qui en résultent sont cloisonnés entre eux, de sorte qu'ils ne peuvent communiquer les uns avec les autres car leur rencontre serait ressentie comme une menace de destruction catastrophique ; cette absence de communication entre les objets internes empêche toute pensée créatrice ;
  • l'échec de l'ajustement postnatal qui est lié à l'état de souffrance organique rendant le bébé insensible à la beauté du monde et le poussant à s'isoler dans les sensations que lui procurent ses états physiologiques et ses propres sécrétions ;
  • l'échec primaire du développement mental lié à l'incapacité de l'objet maternel à jouer un rôle de contenant pour les projections de l'enfant, ce qui conduit ce dernier à se retirer dans un monde bimensionnel ;
  • la psychose géographique confusionnelle, caractérisée par une intrusion fantasmatique de l'enfant dans un des espaces internes de la mère, espace de la tête et des seins, espace vaginal, espace anal, avec dans certains cas passage alternatif d'un des espaces à un autre. Ce dernier type de psychose correspond aux psychoses infantiles non autistiques et non déficitaires.


Modèle de Tustin


F Tustin a personnellement traité par la psychanalyse une dizaine d'enfants autistiques et psychotiques et elle a supervisé un grand nombre de cures faites par d'autres thérapeutes. Cette expérience lui a permis des découvertes essentielles qui ont considérablement renouvelé la compréhension psychopathologique de ces états morbides. Elle a exposé ses découvertes dans une série de livres dont la publication s'étend de 1972 à 1990 ,  ,  ,  cliquez ici. Elle a mis en évidence un fantasme de discontinuité que l'enfant autiste ressent d'une manière très corporelle comme un arrachement d'une partie de sa propre substance. Tout se passe comme si le bébé avait besoin de l'illusion d'une continuité entre son corps et son objet de satisfaction pulsionnelle, tant qu'il n'a pas acquis des possibilités suffisantes d'intériorisation et de symbolisation. L'enfant autiste a le fantasme d'une rupture catastrophique de cette continuité, rupture qui prend la forme d'un fantasme de discontinuité bouche-langue-mamelon-sein et qui conduit au fantasme d'un sein au mamelon cassé et d'un arrachement à l'emporte-pièce du mamelon, arrachement qui laisse un trou noir habité d'objets persécuteurs. C'est le petit John, dont elle a rapporté la cure dans son premier livre , qui l'a mise sur la voie de cette découverte en lui parlant d'un « trou noir avec un méchant piquant » localisé dans sa bouche. Tustin a rapproché ce fantasme autistique de la dépression psychotique décrite par Winnicott en 1958 (cf supra). Tout se passe comme si un défaut massif de communication avec la mère à un âge antérieur aux possibilités d'intériorisation et de symbolisation avait provoqué cette expérience catastrophique de discontinuité et d'arrachement. Il ne s'agit pas, comme on l'a souvent interprété, d'une expérience de séparation d'avec la mère qui serait vécue sur un mode traumatique. Il s'agit de la prise de conscience prématurée de la séparation entre Soi et objet, ou comme Houzel a proposé de l'appeler, de séparabilité de l'objet. Tustin a parlé de naissance psychique prématurée pour décrire cette prise de conscience prématurée de la séparation corporelle d'avec la mère. Pour se protéger de la souffrance due au trou noir, l'autiste construit ce que Tustin a appelé un délire autistique, délire de fusion avec l'environnement qui annule toute séparation, tout écart, toute différence, toute altérité. Il se sert, pour entretenir ce délire, de fusions d'objets autistiques, objets concrets qu'il ne manipule ni pour leur usage, ni pour leur valeur symbolique, mais seulement pour les sensations de surface qu'ils lui procurent et qui lui donnent l'illusion d'une continuité entre son corps et l'environnement représenté par l'objet autistique : « Les objets autistiques », dit Tustin, « sont :
  • des parties du corps de l'enfant ;
  • des parties du monde extérieur, vécues par l'enfant comme appartenant à son corps » [.
Grâce à ses propres sécrétions (larmes, salive, urine, fèces) et aux objets autistiques, l'enfant crée ce que Tustin a appelé des formes autistiques, qui sont des sensations cutanées ou muqueuses aux contours flous, instables, que l'autiste se procure à lui-même pour servir d'onguent afin d'atténuer sa souffrance et de se créer une protection contre le monde extérieur. Mais ces formes autistiques, du fait même de leur aspect flou et de leur instabilité, ne peuvent être partagées avec autrui, ni être identifiées à des objets du monde extérieur. Elles n'aboutissent pas à la formation de percepts qui sont eux-mêmes nécessaires à la constitution des concepts. L'enfant normal utilise son autosensualité pour créer des formes partageables et correspondant à des formes du monde extérieur. L'enfant utilise, pour se protéger du monde extérieur, pour se construire, une coquille qui l'en isole. Tustin parle d'autosensualité perverse.
Les mécanismes qui viennent d'être décrits sont spécifiques d'une forme de psychose infantile que Tustin appelle « autisme à carapace ». Elle en distingue deux formes :
  • une forme primaire, dite « crustacée », qui englobe la totalité de la personnalité de l'enfant et qui correspond à l'autisme de Kanner ;
  • une forme secondaire, dite « à segments », forme partielle englobant seulement des segments de la personnalité.
À côté de l'autisme à « carapace », elle a décrit ce qu'elle a appelé l'autisme confusionnel, qui correspond aux formes de psychoses infantiles généralement décrites comme non autistiques et qu'elle rapproche des schizophrénies infantiles. Leur mécanisme de défense principal est un enchevêtrement entre Moi et non-Moi. Elle en décrit également une forme primaire, globale, qu'elle appelle « type engouffrement » et une forme secondaire qu'elle appelle « type fragmenté ».


Autres modèles dynamiques


Plusieurs psychanalystes français ont apporté des compléments intéressants aux découvertes de Meltzer et de Tustin.
Haag s'est intéressée aux anomalies de l'image du corps chez les enfants psychotiques . Elle a montré que les toutes premières identifications s'inscrivaient dans le corps et dans son fonctionnement et elle a baptisé identifications intracorporelles  ces identifications archaïques. Elles sont la traduction dans le corps des premiers liens libidinaux établis par l'enfant. Elle a montré, par exemple, que le lien entre le bébé et sa mère donnait lieu à une partition de l'image du corps en deux moitiés droite et gauche, l'une représentant la partie-bébé et l'autre la partie-maman du Self. Normalement, ces deux moitiés sont ressenties comme solidement liées l'une à l'autre par des liens de nature paternelle. Les autistes sont clivés en ces deux moitiés verticales qui n'ont plus de liens entre elles et ils vivent des angoisses de cassure. D'autres identifications intracorporelles s'inscrivent dans les jonctions articulaires et peuvent rendre compte d'anomalies de la gestuelle d'enfants psychotiques, en particulier de certaines rigidités motrices, de retard du développement psychomoteur et d'attaques autoagressives contre les plis articulaires . Elles sont liées aux communications primitives fondées sur des mécanismes de projection et de retour du projeté, qui est de nature essentiellement émotionnelle. Le pli représente cet aller et retour émotionnel que l'enfant autiste ne peut tolérer. D'autres encore ont trait à ce que Grotstein a appelé d'abord « objet d'identification d'arrièreplan » , puis « présence d'arrière-plan ». Il désigne par là l'appui narcissique sur un objet d'étayage qui est représenté dans les fantasmes par un appui dorsal. Haag a montré le lien entre cette présence d'arrière-plan et le contact par le regard , tout se passant comme si l'enfant allait coller les parties de lui qu'il projette au fond de la tête de son interlocuteur, fond qui en vient à représenter la présence d'arrière-plan servant d'appui narcissique au Self naissant. Ce contact par le regard est le véhicule d'une expérience de rencontre relationnelle avec l'objet qui réduit au minimum l'écart entre leSelf et l'objet et permet ainsi de faire l'expérience d'une membrane commune à partir de laquelle l'enveloppe psychique individuelle va pouvoir se former. L'objet ou la présence d'arrière-plan est le lieu où s'origine ce processus. L'enfant autiste manque cette expérience fondatrice et ne peut constituer ni présence d'arrière-plan, ni enveloppe psychique.
Le processus de constitution de l'enveloppe psychique et son échec chez l'enfant autiste sont un autre aspect des recherches de Haag. Elle suppose, comme il vient d'être dit, que c'est à partir de l'expérience d'une membrane commune avec l'objet, dans la constitution de laquelle elle situe des composantes adhésives normales, que, par un processus de séparation en deux feuillets, se constitue l'enveloppe psychique individuelle de l'enfant .
Houzel a proposé une interprétation de la bidimensionnalité et de l'identification adhésive qui fait appel au concept topologique d'orientabilité. Une surface est orientable lorsqu'un déplacement quelconque d'un repère (c'est-à-dire d'axes de coordonnées) ne modifie pas l'orientation des axes du repère les uns par rapport aux autres. Dans le cas contraire, on dit qu'elle est non orientable. La plus connue des surfaces non orientables est le ruban de Moebius, obtenu en recourbant sur elle-même une bande rectangulaire et en collant l'un à l'autre les deux petits côtés du rectangle après cette torsion. On ne peut plus alors distinguer une face externe et une face interne, un bord supérieur et un bord inférieur, puisque l'on passe sans discontinuité et sans angulation de l'un à l'autre. C'est ce qui semble se passer dans le monde de l'autiste. La référence à la notion d'orientabilité a l'avantage de mieux faire comprendre comment l'enfant autiste peut, grâce à l'aide thérapeutique, passer d'un monde en apparence bidimensionnel à un monde tridimensionnel. Il est possible d'envisager que c'est par détorsion d'un monde qui s'était recourbé sur lui-même et qui, de ce fait, n'était plus orientable, l'interprétation venant en quelque sorte jouer le rôle des ciseaux qui découpent un ruban de Moebius là où les deux petits côtés du rectangle d'origine avaient été collés et qui redonnent alors à la surface son orientabilité. Houzel attribue essentiellement à l'objet paternel cette fonction d'orientabilité.
D'autre part, il a proposé une interprétation dynamique du conflit esthétique [88] décrit par Meltzer. Il fait l'hypothèse que toute relation d'objet suppose un gradient d'énergie psychique entre le Self et l'objet. Le gradient d'énergie qui se crée entre l'enfant et sa mère du fait de la césure de la naissance serait ressenti en première intention comme un précipice infranchissable et en même temps attirant jusqu'au vertige. Il en résulterait ce que Houzel appelle des angoisses de précipitation contre lesquelles l'enfant autiste serait amené à lutter. C'est la communication avec l'objet qui rend franchissable ce gradient en créant des paliers de stabilité qui peu à peu façonnent le précipice de départ en un paysage aux inflexions multiples et complexes où il est intéressant et agréable de cheminer. Dans cette hypothèse, ce n'est pas tant l'objet que la rencontre avec l'objet qui serait la source d'un sentiment d'esthétique et l'angoisse ne serait pas seulement liée à l'inconnu portant sur l'intérieur de l'objet, mais à sa puissance d'attraction et de séduction non encore amortie par des communications rassurantes.
L'hypothèse d'une position autistique proposée par Marcelli suppose que cette position peut être mise au service d'une stratégie d'ensemble du développement psychique ou devenir un enjeu en soi et alors engager le sujet sur une voie pathologique. La position autistique normale permettrait au bébé d'écarter les stimuli trop violents qu'il ne serait pas en mesure d'intégrer dans son psychisme, à partir de sa capacité à détourner son attention et à éviter des afférences inadéquates en vue de privilégier des objets proximaux investis comme des objets partiels distinguables de l'environnement, qu'il rassemblerait dans un second temps dans une enveloppe commune. Dans la position autistique pathologique, l'identification adhésive ne peut être dépassée, ce qui se traduit par une absence de pointage des objets concrets et par l'usage de la main de l'adulte comme instrument, ceci en référence à la théorisation de Vigotski sur le pointing. Vigotski, en effet, a décrit  le pointingcomme un précurseur intermental (c'est-à-dire dans la relation entre l'enfant et son entourage) de ce qui deviendra le symbole intramental.


Point de vue structural

Il s'agit du point de vue développé par Jacques Lacan et ses élèves. Lacan s'est inspiré du structuralisme linguistique et du structuralisme anthropologique. Le concept central du structuralisme est que l'on ne peut comprendre les phénomènes que l'on étudie qu'en les considérant comme les éléments d'une structure dans laquelle chaque élément dépend de tous les autres et réciproquement. Il est à noter que dans la pensée de Lacan ce qui, ailleurs, était méthode d'analyse des phénomènes, devient loi qui les régit. La structure, pour lui, n'est pas seulement ce que nous pouvons comprendre des phénomènes psychiques, mais ce qui les fonde. Le psychisme d'un individu est régi par telle ou telle structure sans possibilité de passage de l'une à l'autre. Les points de vue génétique et dynamique sont, sinon méconnus, tout au moins extérieurs à ses préoccupations théoriques. Lacan lui-même n'a pas proposé de modèle de l'autisme et des psychoses de l'enfant. Ce sont ses élèves qui ont proposé des modèles en faisant des emprunts à différents termes de l'oeuvre lacanienne : certains modèles se réfèrent essentiellement au concept de forclusion, d'autres au concept de jouissance, d'autres enfin à la topologie du sujet qu'a développée Lacan à la fin de son oeuvre.


Forclusion
Dans la conception lacanienne, le problème de la psychose s'articule autour du concept de forclusion, traduction qu'il donne du terme allemand Verwerfung qu'utilise Freud et que l'on traduit habituellement par « rejet ». La forclusion est le rejet hors de l'ordre symbolique d'un signifiant, elle barre l'élément forclos qui n'est inscrit dans aucun réseau de signifiants. Le signifiant forclos dans la psychose est le signifiant paternel que Lacan désigne par l'expression « le nom du père ». L'enfant psychotique est dans une relation imaginaire à sa mère, qui a besoin de cette relation pour combler son manque, l'enfant est le phallus de la mère. À la place du signifiant paternel forclos il n'y a rien, un trou, une béance que rien ne peut réparer.
Aulagnier et Mannoni ont appliqué ce modèle lacanien à la psychose de l'enfant en considérant qu'elle était inscrite dans l'inconscient maternel. L'enfant est exclu de toute relation triangulaire et, de ce fait, n'est pas reconnu comme sujet désirant.
Aulagnier [9] admet que, dès avant sa naissance, l'enfant est inscrit dans un mythe familial qui va structurer sa psyché. L'enfant psychotique est pris dans le fantasme de sa mère qui l'investit comme un complément d'elle-même, au niveau du fonctionnel et non au niveau du désir. Elle distingue le corps imaginé de l'enfant, investi par la mère comme complet, unifié, autonome, et le corps phantasmé, image de son corps tel qu'il est vu par l'Autre, castré, incapable de soutenir un désir. Elle reconnaît au stade du miroir une valeur structurante, l'ego spéculaire investi par la libido maternelle se transformant en Moi-idéal. C'est justement l'appui libidinal qui manque au psychotique.
Mannoni  situe elle aussi dans l'inconscient maternel le source de la psychose de l'enfant, mais en attribuant à celui-ci une place de mort qui l'exclut de la structure triangulaire et de la place d'un sujet désirant.


Jouissance
Plusieurs analystes lacaniens ont appliqué à la psychose infantile le concept de la jouissance introduit par Lacan. C'est le cas notamment de Laurent . Selon Lacan, le mouvement libidinal qui pousse un être humain vers un objet se fait au prix d'une soustraction préalable qui doit être symbolisée par le sujet. Le signifiant phallique est l'opérateur de cette soustraction, soustraction de jouissance opérée par la castration symbolique qui fonde la libido comme vecteur du sujet vers l'objet. Selon Laurent, c'est cette soustraction de jouissance qui ne s'opérerait pas chez l'enfant autiste, tout son corps serait alors transformé en objet de jouissance.


Topologie du sujet
R et R Lefort se sont appuyés sur ce que Lacan a décrit comme une topologie du sujet en se référant à des concepts de topologie, notamment celui de non-orientabilité déjà évoqué plus haut. Selon ces auteurs, il y aurait chez l'enfant autiste des discontinuités topologiques sous forme de trous venant interrompre la continuité du sujet et de l'objet. Normalement, la séparation d'avec l'objet est symbolisée par le jeu de la métaphore paternelle et du langage afin que l'enfant puisse passer du registre de la satisfaction à celui du désir. Chez l'enfant autiste, ce passage ne se fait pas, la perte de l'objet ne peut pour lui que s'inscrire dans le Réel sous forme de trous. L'Autre ne fonctionne pas comme lieu d'une inscription signifiante, il se réduit à une absence.

Recherches cognitives

Un très grand nombre de recherches ont été menées au cours de ces 25 dernières années pour tenter d'identifier un ou des déficits cognitifs à la base du syndrome autistique.


Déficit des capacités de symbolisation et de représentation

Contrairement à des hypothèses initialement émises, on n'a pas démontré d'anomalies du traitement des informations sensorielles élémentaires chez les sujets autistes (Prior). Il semble, de même, que les performances des enfants autistes sont équivalentes, voire supérieures, à celles d'enfants déficients mentaux indemnes d'autisme, dans les tâches de discriminations simples portant, par exemple, sur la longueur ou la position d'un stimulus.
Hermelin et O'Connor ont étudié les performances mnésiques face à différents types de stimuli (liste de mots, séquences de chiffres). Normalement, les résultats sont meilleurs si la séquence à mémoriser comporte une structure (par exemple, une liste de mots formant une phrase est mieux retenue que le même nombre de mots ne formant aucun ensemble significatif ; de même, une séquence de chiffres telle que 9991234 est mieux retenue que 9429193). Chez les sujets autistes, au contraire, la performance mnésique n'est pas améliorée par la structuration du stimulus. Symétriquement, Shah et Frith  ont montré que les sujets autistes réussissent mieux que des témoins appariés pour le QI, dans une épreuve consistant à repérer une forme géométrique incluse dans une forme complexe représentant schématiquement un objet. Ces résultats semblent indiquer que les autistes négligent la valeur représentative d'ensemble de la figure complexe et ne tiennent compte que des unités élémentaires qui la constituent.
Sigman et Ungerer  ont évalué, comparativement à des enfants déficients mentaux, les capacités de symbolisation manifestées par des enfants autistes en situation de jeu. Ces auteurs classent les conduites ludiques en quatre catégories :
  • jeux stéréotypiques (agiter ou tripoter un objet) ;
  • jeux relationnels (association simultanée de deux objets ou plus de manière non fonctionnelle) ;
  • jeux fonctionnels (utilisation conventionnelle ou fonctionnelle d'un jouet réaliste) ;
  • jeux symboliques (utilisation d'un objet pour représenter un autre objet différent ; acte dans lequel une poupée est l'agent de l'action ; acte impliquant l'existence d'objets imaginaires).
Les différences relevées par ces auteurs entre les deux groupes d'enfants sont essentiellement quantitatives : le temps passé en manipulations d'objets, en jeux relationnels et en jeux fonctionnels est à peu près équivalent chez les sujets autistes, alors que chez des enfants déficients mentaux de même âge mental ou chez des enfants normaux, les formes les plus complexes de jeux, (jeux fonctionnels et jeux symboliques), tendent à prédominer et à remplacer les conduites de jeux de niveau inférieur. Pour Sigman et al , le dysfonctionnement cognitif essentiel semble se situer dans l'extraction de l'information nécessaire pour ordonner le matériel perçu et dans la transformation de cette information en représentations symboliques.
Ce déficit de jeux symboliques, notamment de jeux de « faire semblant », normalement présents dès l'âge de 12-15 mois, qui a été souligné par de nombreux auteurs et est d'ailleurs habituellement constaté en situation clinique, semble persister à l'âge adulte, y compris chez des autistes de « haut niveau » (Baron-Cohen et al ).


Déficit des conduites d'imitation

La plupart des auteurs soulignent le déficit de l'imitation gestuelle, surtout spontanée, chez les enfants autistes (Meltzoff et Gopnick ). Nadel  souligne cependant que la plupart des études portent sur l'imitation différée - qui fait intervenir le développement des capacités de représentation. Cet auteur montre qu'en situation d'interaction avec d'autres enfants, des comportements d'imitation immédiate s'observent chez certains autistes et constituent alors un support d'interactions avec le partenaire.


Déficit des conduites d'attention conjointe

Le pointage « protodéclaratif », qui apparaît généralement entre 9 et 12 mois, fait défaut chez les enfants autistes. Ce déficit des conduites visant à partager et à diriger l'attention d'autrui a été étudié systématiquement par plusieurs auteurs (Sigman et al  ; Wetherby et Pruttin; Baron-Cohen ).
Comparativement à des sujets normaux et déficients mentaux, les résultats montrent un déficit significatif de tous les comportements d'attention conjointe chez les enfants autistes. Les jeunes autistes paraissent capables de comprendre des demandes en relation avec un objet, mais il répondent moins souvent que des enfants déficients mentaux lorsque l'objectif de l'acte de référence est d'aboutir à une focalisation commune de l'attention visuelle avec une autre personne. Selon Sigman, l'enfant autiste paraît considérer autrui comme agent d'une action mais ne semble pas réaliser que les autres personnes ont un point de vue, une idée qui puisse être partagée ou dirigée.


Défaut de « théorie de l'esprit »

Baron-Cohen, Frith et Leslie (1985) ont avancé l'hypothèse que l'essentiel des troubles de l'autisme pourrait s'expliquer par un déficit de la capacité à se représenter les états mentaux d'autrui et à imputer intentions et désirs à un interlocuteur. Cette capacité dénommée « théorie de l'esprit » par Premack et Woodruff, deux éthologues, correspond, selon Leslie, à un mécanisme cognitif inné assurant la constitution d'un type particulier de représentations (les représentations des états mentaux) se développant normalement chez l'enfant entre l'âge de 2 et 4 ans. Ce mécanisme intervient notamment dans le jeu de « faire semblant » dont on a vu qu'il était le plus souvent absent chez les sujets autistes.
Cette hypothèse a été testée à l'aide d'épreuves dans lesquelles une « croyance », différente de ce que perçoit l'enfant examiné, doit être attribuée à un personnage1 (1). La majorité des sujets autistes échoue dans cette épreuve, alors que des sujets d'âge mental équivalent ont une réussite significativement meilleure.
Si ces données expérimentales, reproduites par d'autres équipes, paraissent incontestables, leur signification reste encore discutée. Le fait qu'environ 20 % d'enfants autistes réussissent les épreuves de « théorie de l'esprit » met en question la valeur étiologique attribuée à ce déficit.
D'autres auteurs ont proposé des interprétations alternatives des résultats expérimentaux : il pourrait s'agir d'un trouble de l'utilisation des représentations d'ordre supérieur et non de leur acquisition (Boucher ). Pour Hughes et Russel , l'échec des enfants autistes dans les épreuves d'attribution de « fausses croyances » s'expliquerait par leurs difficultés à se détacher de réponses automatiques induites par le contexte. À partir d'autres tests, ces auteurs avancent l'hypothèse que la difficulté de l'attribution d'états mentaux à autrui ne serait qu'un aspect de troubles métacognitifs plus larges.
Pour Hobson  enfin, la « théorie de l'esprit » ne serait pas un mécanisme entièrement inné : il se constituerait au cours du développement, à travers les échanges émotionnels et affectifs. Son déficit n'est, par ailleurs, qu'un effet d'une anomalie plus profonde et plus précoce de l'intersubjectivité (ou relatedness, terminologie plus récemment utilisée par cet auteur), comme le note bien Guillemot  ; cette anomalie s'exprime particulièrement dans les situations d'attention conjointe et plus spécifiquement dans la circulation de l'attention et de l'émotion dans la situation triangulaire enfant-adulte-objet. Hobson étaie son hypothèse sur des travaux expérimentaux chez l'autiste, mettant en évidence un déficit de la perception et de l'expression des émotions, ainsi qu'un usage de stratégie anormale de perception de la mimique[83]. Ces expériences de reconnaissance des émotions sur les visages ont montré que, contrairement aux sujets témoins, les sujets autistes obtenaient les mêmes scores, que les visages leur soient présentés dans le sens habituel ou dans le sens inverse.
L'une des critiques formulées à l'encontre de la notion de déficit de « théorie de l'esprit » comme facteur explicatif de l'autisme est le fait que cette capacité ne se manifeste qu'assez tardivement vers l'âge de 3-4 ans. On vient de voir la réponse d'Hobson. Face à cette objection, Baron-Cohen a proposé le modèle d'un système cognitif de « lecture des pensées » (mind-reading system), l'attention conjointe apparaissant comme un précurseur de la « théorie de l'esprit » proprement dite . Ce même auteur a montré que l'absence d'apparition des comportements d'attention conjointe et du jeu de « faire semblant » permettait de dépister l'autisme dès l'âge de 18 mois avec un haut degré de sensibilité et de spécificité.
Parmi les autres hypothèses cognitives avancées, celle d'un déficit des fonctions exécutives, opérations mentales permettant le contrôle et l'exécution d'activités finalisées, rattachées essentiellement au cortex frontal, fait actuellement l'objet de nombreux travaux (Plumet et al ). Les sujets autistes produisent de nombreuses persévérations auWisconsin card sort test ; des déficits ont été constatés dans des tâches impliquant la flexibilité attentionnelle ou mettant en jeu la mémoire de travail.
Quoi qu'il en soit et de manière générale, on peut dire que dans cette perspective sociocognitive développementale est souligné le fait que « mal communiquer, c'est mal comprendre les personnes », quels que soient les modes d'appréhension psychologique (cognitive, affective, motivationnelle, etc).
Une dernière remarque concerne le statut des théories cognitivistes. Une démarche psychopathologique tente de répondre à la question du « comment ? » d'un phénomène, ce qui est à différencier clairement d'une démarche étiologique qui se donne comme objectif la question du « pourquoi ? », de la cause ultime de ce phénomène. Les hypothèses « cognitivistes » s'inscrivent de toute évidence dans le champ de la psychopathologie. Pourtant, elles sont souvent accompagnées de postulats implicites ou explicites concernant le caractère inné et organique de tel ou tel déficit cognitif qui serait, in fine, la cause de l'autisme. S'il est indispensable de prendre en considération les données neurobiochimiques et génétiques (cf infra), ceci n'implique nullement qu'il faille confondre les plans de réflexion.

Recherches biologiques

Une grande partie des recherches dites biologiques réalisées en psychiatrie de l'enfant, au cours des 20 dernières années, a été centrée sur les psychoses de l'enfant et plus particulièrement sur l'autisme infantile où elles s'efforcent de mettre en évidence des anomalies de l'équipement neurobiologique. Elles se situent en pratique au niveau de trois grands axes : génétique, biochimique et neurophysiologique. Mais auparavant, il y a lieu d'aborder les problèmes soulevés par l'association de l'autisme avec des affections organiques.


Pathologies organiques associées

La fréquence de son association avec des troubles neurologiques ou des encéphalopathies est un des arguments avancés à l'appui d'une étiologie neurobiologique de l'autisme. Cette notion s'appuie en fait sur des travaux de nature très diverse (Bursztejn et al) : si certains portent sur l'étude de groupes importants, d'autres rapportent des observations anecdotiques2 (2). Par ailleurs, dans l'interprétation des résultats de leur travail portant sur 144 enfants autistes ou ayant des troubles psychotiques précoces et montrant des pathologies sévères de la grossesse dans 7 % des cas, des altérations importantes de l'état du nouveau-né dans 14 %, des troubles somatiques postnataux divers avec notamment la notion de convulsions répétées (d'étiologie variée) et d'épilepsie dans 21,2 % des cas, Dardenne, Mazet et Duché  sont amenés à discuter la part respective des facteurs organiques possibles (éventuellement transitoires) et celle des aspects relationnels, tout cela dans une interaction et une intrication complexes interdisant des points de vue trop exclusifs et réducteurs quant à une étiologie unique.


Pathologies périnatales


Plusieurs publications ont signalé la fréquence des pathologies de la grossesse et de la période périnatale (hémorragie du deuxième trimestre, toxémie, faible poids de naissance, prématurité) dans les antécédents d'enfants autistes (Lotter ; Knobloch et Pasamanick ). Une telle notion est retrouvée dans l'anamnèse d'environ 40 % des patients, qu'ils présentent un syndrome autistique ou d'autres formes de troubles psychotiques (Bursztejn ). Il faut signaler, cependant, que deux études contrôlées (De Myer  et Torrey et al cités en ) n'ont pas trouvé de différence significative entre les sujets autistes et des témoins normaux.


Infections congénitales


Des cas d'autisme infantile, faisant suite à des infections virales au cours de la grossesse, ont été rapportés (rubéole : Chess ; cytomégalovirus : Stubbs, Markowitz). Cependant, le diagnostic d'autisme paraît discutable dans ces travaux .


Maladies métaboliques


L'association de la phénylcétonurie (non traitée) avec l'autisme (Knobloch et Pasamanick  ; Lowe et al ) ainsi qu'avec d'autres formes de troubles psychotiques apparaît mieux établie (Hackney et al ; Friedman ; Rapoport et al cités en ), encore qu'elle n'apparaisse pas très fréquente, compte tenu du dépistage systématique dont cette affection fait l'objet.


Affections chromosomiques


Des observations anecdotiques ont rapporté l'association de l'autisme avec la trisomie 21, ainsi qu'avec d'autres aberrations chromosomiques, notamment celle portant sur les chromosomes sexuels : syndrome XXX, syndrome de Klinefelter Golden (cités en ).
Le syndrome de l'X-fragile a fait l'objet de plusieurs études, depuis les premiers cas signalés par Brown en 1982 (Le Louarn et al). Il s'agit d'une mutation génétique associée à un retard mental de niveau variable et qui se traduit, lorsque les cultures cellulaires sont faites en milieu pauvre en folates, par une image de site fragile sur le bras long du chromosome X. Les premières publications faisaient état d'une fréquence de 10 à 15 % d'X-fragile dans l'autisme. Des études récentes, fondées sur des critères cliniques et biologiques plus stricts, situent ce taux entre 2,5 et 5 % (Bailey et al ). À nouveau, la question des critères diagnostiques doit être soulevée : le syndrome de l'X-fragile semble, en effet, plus souvent associé à des « troubles autistiques » - dans la conception élargie du DSM III - qu'avec « l'autisme classique » correspondant plus strictement à la description de Kanner (Bursztejn et al ). Actuellement, la spécificité de l'association X-fragile/autisme apparaît douteuse (Fisch ).


Autres affections génétiques


Les cas d'association de l'autisme avec la sclérose tubéreuse de Bourneville se sont accumulés. Cette affection autosomique dominante a une prévalence de 1/7 000 dans la population générale. Elle est caractérisée par des lésions cutanées (taches achromiques) et des tumeurs disséminées dans le système nerveux et dans d'autres organes ; les manifestations cliniques sont variables d'un cas à l'autre. Une étude systématique (Hunt et Sheperd ) a mis en évidence 24 % de cas répondant aux critères DSM III-R de l'autisme ; des « traits autistiques » sont encore retrouvés chez 19 % des patients. À l'inverse, la fréquence de la sclérose tubéreuse parmi les autistes est estimée entre 3 et 9 %. Compte tenu des prévalences respectives des deux affections, cette comorbidité ne peut être attribuée au seul hasard. Cependant, la question de la spécificité de l'association reste là aussi posée. Elle pourrait être liée à la déficience mentale : c'est surtout dans les cas de sclérose tubéreuse avec retard mental que des troubles autistiques ont été observés.


Épilepsie


Il est maintenant bien établi que la fréquence des crises convulsives est plus élevée chez les autistes que dans la population générale : plusieurs études systématiques ont montré qu'elle est d'environ 20 à 35 % (Bailey et al).
Un fait particulier à signaler est la haute fréquence d'apparition de crises épileptiques tardivement au cours de l'adolescence ou à l'âge adulte. Un autre groupe important est constitué par les sujets autistes chez lesquels l'épilepsie apparaît dans la petite enfance. Dans ce groupe, on a signalé la fréquence de l'apparition de troubles autistiques dans les suites de spasmes en flexion. Contrairement aux premières études, le risque de survenue d'une comitialité n'apparaît pas corrélé au QI.
En résumé, en dépit des questions méthodologiques soulevées par un grand nombre des travaux cités, il est établi aujourd'hui que l'autisme, au moins dans la conception élargie du DSM III, est associé à d'autres affections somatiques dans une proportion significative de cas ; sur le plan pratique, ces données justifient des examens neuropédiatriques systématiques lors de la découverte de troubles autistiques.


Données neuroanatomiques et neuroradiologiques

De nombreuses recherches ont été menées avec différentes techniques de neuro-imagerie ; elles ont donné des résultats peu cohérents.
Des publications (Bailey et al ) ont rapporté diverses anomalies (élargissement des ventricules latéraux ou du troisième ventricule, zone de porencéphalie, augmentation du volume cérébral, etc) que d'autres équipes n'ont pas confirmées.
Plusieurs études récentes, utilisant l'IRM, ont signalé une hypoplasie du vermis cérébelleux (Courchesne ), ce qui va dans le même sens que quelques cas d'études post mortem dans lesquelles une raréfaction des cellules de Purkinje a été observée dans ces mêmes régions (Bauman et Kemper ). Selon Courchesne et al, les anomalies observées traduiraient un trouble du développement neuronal. Il en résulterait un déficit des processus contrôlant l'attention et l'intégration de certaines informations sensorielles, fonctions dans lesquelles le cervelet et le cortex temporal auraient un rôle clé. Mais, là aussi, des données contradictoires ont été publiées et la fréquence exacte, la signification et la spécificité de l'hypoplasie vermienne restent discutées ; celle-ci pourrait être la conséquence de crises épileptiques (Bailey et al ).
Les techniques d'imagerie fonctionnelle ont été encore peu utilisées dans l'autisme. Deux études utilisant la tomographie à émission photon (SPECT) ont montré une diminution du flux sanguin cérébral des lobes temporaux chez des enfants et adolescents porteurs de troubles autistiques ou apparentés (George et al, Gillberg et al cités en ) ; de leur côté, Zilbovicius et al , avec la même technique, ont rapporté une diminution du flux sanguin du lobe frontal chez cinq enfants autistes de 3 à 4 ans. Il n'y avait plus de différence avec les témoins lorsque les mêmes enfants étaient revus 3 ans plus tard, ce qui suggère un retard de la maturation métabolique de cette partie du cerveau.


Études génétiques

Le taux de récurrence familiale de l'autisme est estimé entre 3 et 7 % selon qu'on ne considère que les cas d'autisme typique ou qu'on prend en compte des cas atypiques ou même l'ensemble des troubles envahissants du développement chez les collatéraux. Bien qu'assez faible en valeur absolue, ce taux représente une augmentation du risque de 50 à 100 (Bailey et al ).
Dans toutes les études de jumeaux publiées, le taux de concordance pour l'autisme est très supérieur chez les jumeaux monozygotes (MZ).
Selon Hallmayer et al (cité en Tordjmann), les taux de concordance dans les études de jumeaux suggèrent l'implication de plusieurs loci et non d'un gène unique. D'autres auteurs (Tordjmann ) suggèrent l'interaction de facteurs génétiques.
Le taux de 69 % de concordance observé dans l'étude la plus récente (Bailey et al ) suggère la possibilité de l'interaction d'une forte composante génétique avec des facteurs environnementaux (Bailey et al ). Ces auteurs relèvent cependant, que, dans la majorité des paires MZ non concordantes, le jumeau non autiste présente des « déficits sociaux et cognitifs de type autistique bien que de degré mineur ». Ils en concluent que le phénotype correspondant au facteur génétique révélé par ces recherches s'étend bien au-delà du syndrome autistique classique et inclut d'autres formes de troubles du développement, voire des troubles de l'humeur, des syndromes de Gilles de la Tourette et même des cas d'anorexie mentale, tous ces troubles retrouvés avec une prévalence plus élevée dans les familles de sujets autistes que dans la population générale (Bailey et al ). Une telle extension pose la question de la spécificité du facteur génétique invoqué.
Actuellement, les recherches génétiques se tournent vers la méthode des « gènes candidats » (gènes en rapport contrôlant le développement du système nerveux central [SNC]), ou des fonctions métaboliques susceptibles d'être impliquées dans l'autisme). Jusqu'ici, une seule recherche relevant de ce type d'approche s'est révélée positive, montrant l'association de l'autisme avec un marqueur situé sur le chromosome 11, à proximité du gène de la tyrosine hydroxylase (Herault et al). Ce résultat n'a pas encore été confirmé par d'autres études, même si actuellement de nombreuses études s'appuyant sur les ressources de la génétique moléculaire s'efforcent de mettre en évidence des facteurs de susceptibilité génétique dans l'autisme infantile.


Recherches biochimiques

Le métabolisme des monoamines a été particulièrement étudié à la suite de recherches analogues réalisées dans la schizophrénie et dans d'autres affections psychiatriques de l'adulte.


Sérotonine


C'est dans ce domaine que les résultats les plus cohérents ont été recueillis en ce qui concerne l'autisme infantile. En effet, la plupart des équipes qui se sont intéressées à cette question ont trouvé une augmentation de la sérotoninémie - en fait de la sérotonine plaquettaire - chez 30 à 50 % des enfants autistes (Schain et al  ; Ritvo et al  ; Ferrari et al  ; Hanley et al, Cohen et al, Hoshino et al, de Villard et al, Minderaa et al, cités en  ; Tordjmann ). Il semble exister une corrélation positive entre le taux de sérotonine et l'intensité des symptômes autistiques (Ferrari et al ). Cependant, les valeurs individuelles observées chez les autistes recouvrent celles des témoins, de sorte que ce marqueur biologique ne peut être utilisé comme un critère diagnostique (Bursztejn et al). L'hypersérotoninémie n'est pas spécifique à l'autisme : elle a également été rapportée chez les enfants hyperkinétiques, ainsi que chez des sujets déficients mentaux sans traits autistiques.
La signification de cette anomalie biochimique reste incertaine : il n'y a pas d'indice, en particulier, d'une augmentation du turn over de la sérotonine cérébrale. D'autre part, les effets favorables de la fenfluramine - qui diminue la sérotonine sanguine et modifie le métabolisme cérébral de la sérotonine -, signalés par quelques auteurs, n'ont pas été confirmés.


Autres monoamines


Les recherches menées sur les catécholamines ont donné des résultats divergents et difficiles à interpréter (Bursztejn et Tordjmann ) et aucun résultat décisif n'a été apporté à l'appui de l'hypothèse dopaminergique avancée par Young et al cités en. L'élévation du taux plasmatique de la noradrénaline, constatée dans certaines études (Launay et al ), pourrait indiquer une hyperactivité sympathique reflétant une augmentation des réactions au stress, comme le suggère aussi l'augmentation des taux d'adrenocorticotropic hormone (ACTH), de cortisol et de β-endorphines plasmatiques (Tordjmann).


Autres recherches biochimiques


L'hypothèse qu'une hyperactivité de systèmes opioïdes endogènes pourrait expliquer certains symptômes autistiques (retrait, insensibilité apparente à la douleur, trouble de l'attention, etc) a également été avancée (Panksepp ). Les dosages dans le plasma et le liquide céphalorachidien (LCR) de la métenképhaline et de la β-endorphine ont donné des résultats variables d'une étude à l'autre (Tordjman). Cependant, une amélioration symptomatique - notamment la réduction des conduites automutilatrices - a été rapportée chez des enfants autistes traités par un antagoniste des opiacés : la naltrexone (Campbell et al ; Bouvard et al ; Dugas et al ).


Recherches neurophysiologiques

Selon Ornitz et Ritvo , la plupart des symptômes autistiques pourrait s'expliquer par une incapacité à réguler les « entrées » (input) sensorielles et les « sorties » (output) motrices. De nombreuses recherches ont tenté de démontrer cette hypothèse. Mais les données publiées sont peu cohérentes et il est parfois difficile de comparer les résultats obtenus avec des techniques différentes.
L'étude des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral a donné des résultats divergents. Cependant, il semble que dans 30 à 60 % des cas, le temps de transmission dans le tronc cérébral soit prolongé (Tanguay et al ).
Plusieurs études ont trouvé une diminution de l'onde P300 - réponse évoquée corticale tardive - (Niwa et al  ; Courchesne et a), ce qui indiquerait une anomalie du traitement cognitif du stimulus sensoriel.
Selon d'autres travaux (tests d'écoute dichotique, électroencéphalographie quantitative), on ne retrouverait pas, chez les sujets autistes, la prédominance normale de l'hémisphère gauche (Prior et Bradsh).
Pour résumer ces travaux, on voit qu'en dépit du nombre considérable de travaux réalisés depuis plus de 30 ans dans les domaines les plus divers, peu de résultats sont vraiment assurés et aucune des hypothèses envisagées ne paraît pouvoir rendre compte de l'ensemble des données cliniques. Les résultats, souvent contradictoires, reflètent sans doute des insuffisances méthodologiques. Il est possible qu'ils soient liés aussi à l'existence de sous-groupes à l'intérieur du syndrome autistique : il est sans doute souhaitable, à l'avenir, que les recherches portent sur des groupes de patients plus homogènes, définis sur la base de critères plus précis que ceux des classifications. Il est, en particulier, indispensable de tenir compte du retard mental associé et de son niveau.
Au vu des données cliniques biologiques et étiologiques actuelles, l'autisme infantile - tel qu'il est défini par le DSM III - apparaît ainsi de plus en plus comme un syndrome hétérogène, plutôt qu'une maladie spécifique.
Il apparaît établi (cf supra) que des syndromes autistiques puissent apparaître chez des enfants porteurs de différentes atteintes cérébrales ou d'autres facteurs neurobiologiques ; cependant, les bilans spécialisés pratiqués systématiquement ne mettent en évidence une étiologie précise que dans une minorité de cas. Néanmoins, dans une partie importante de la littérature sur l'autisme s'est imposée la notion d'une origine organique ou, plus largement, neurobiologique de ce syndrome, dans une perspective neurodéveloppementale actuellement très présente.
Plusieurs remarques doivent pourtant être faites :
  • les troubles biologiques et les pathologies associées au syndrome autistique se voient aussi en association avec des déficiences mentales sans troubles psychotiques ; leur relation avec l'autisme n'est donc pas spécifique ;
  • aucun de ces facteurs ne paraît concerner la totalité des sujets autistes ; il faut rappeler que ces données ont été établies, pour l'essentiel, à partir de la définition élargie du DSM III de l'autisme ; la fréquence de tels facteurs dans des cas « d'autisme pur » sans retard mental reste discutée ;
  • la diversité des étiologies avancées, que ne relie aucun mécanisme physiopathologique connu, doit être relevée ; il apparaît ainsi difficile de mettre en correspondance les différents résultats rapportés et de les intégrer dans une conception d'ensemble ;
  • enfin, si ces travaux montrent le poids des facteurs d'ordre neurobiologique à l'origine des troubles autistiques et psychotiques précoces, ils n'éliminent pas l'intervention possible d'autres facteurs, tels que l'impact d'événements traumatiques durant les premières années et / ou des altérations des processus interactifs précoces.
Il apparaît ainsi de plus en plus probable que l'étiologie de l'autisme et des troubles psychotiques précoces de l'enfant fait intervenir l'interaction complexe de facteurs multiples, plutôt qu'une cause unique.

Abords thérapeutiques et éducatifs

L'orientation, les modalités et les résultats des traitements et des méthodes éducatives ont fait et font encore régulièrement l'objet de controverses vives. Là aussi, les débats ont surtout concerné l'autisme infantile. L'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) a publié en 1994 un rapport s'appuyant sur une importante revue de la littérature.
Mais, au-delà des grands types d'action thérapeutique et éducative ou pédagogique, il y a lieu de souligner l'importance de tout ce qui concerne les problèmes de l'annonce du diagnostic et de tout ce qui se passe depuis les premiers moments de la rencontre de l'enfant autiste et de ses parents avec des professionnels et tout au long du suivi, comme ceux de la vie quotidienne depuis le début et tout au long de l'évolution pendant l'enfance, l'adolescence et éventuellement l'âge adulte. De la même façon, l'aide aux parents représente un des éléments essentiels de la situation.


Traitements médicamenteux

Différents types de médicaments ont été proposés comme traitements de l'autisme infantile. Les éléments suivants s'appuient sur deux études récentes (Leboyer ; M Bouvard ).
Les neuroleptiques sont sans doute les psychotropes les plus prescrits chez les enfants autistes. Selon plusieurs études contrôlées, l'Haldol® a des effets positifs, avec notamment une diminution des conduites agressives, des stéréotypies et de l'agitation et, dans certains cas, une diminution du retrait. On a souligné cependant le risque lié aux effets secondaires, notamment les dyskinésies tardives qu'il est parfois difficile de différencier des stéréotypies.
Plus récemment, des résultats positifs ont été signalés avec l'amisulpride (Dolfuss ). Les autres neuroleptiques (lévomépromazine, thioridazine, chlorpromazine) sont également utilisés, surtout pour diminuer l'agitation ou l'agressivité, mais n'ont pas fait l'objet d'études contrôlées.
La fenfluramine - anorexigène ayant la particularité de diminuer les taux de sérotonine sanguine - a soulevé beaucoup d'intérêt à partir d'un premier essai ouvert faisant état de résultats très positifs. Mais les études contrôlées ultérieures ont apporté des résultats contradictoires.
La naltrexone est un antagoniste opiacé actif par voie orale. Son utilisation dans l'autisme infantile fait suite à l'hypothèse d'un dysfonctionnement des systèmes endorphiniques. Des essais contrôlés contre placebo ont montré que ce médicament entraînait, chez certains sujets, une diminution des automutilations et de l'hyperactivité, ainsi qu'une amélioration du contact et des apprentissages. Cependant, certains autistes semblent ne pas répondre à ce médicament. D'autre part, il semble exister un effet biphasique selon la dose : les effets positifs sont observés à faible dose (0,5 à 1 mg/kg/j), alors qu'à plus forte dose (2 mg/kg/j) une aggravation des automutilations a été observée.
Association en vitamine B6-magnésium : la vitamine B6 est le cofacteur de la dopamine bétahydroxilase. Une étude en double aveugle (Martineau et al ), dans laquelle cette vitamine était associée à du magnésium, a montré une amélioration clinique significative.
D'autres médicaments (lithium, bêtabloquant, clomipramine, méthylphénidate) ont été proposés, le plus souvent à la suite d'études ouvertes. Leur intérêt n'est pas démontré.
En définitive, l'utilisation de médicaments dans le traitement des syndromes autistiques reste encore du domaine de la recherche. Leur efficacité, lorsqu'elle existe, reste limitée à certains symptômes : aucun médicament n'a actuellement d'efficacité curative démontrée vis-à-vis des troubles autistiques (ANDEM, 1994).


Psychothérapies et psychanalyse

Dès 1930, Klein affirmait « qu'une des tâches principales de la psychanalyse des enfants consiste à dépister et à soigner les psychoses de l'enfance » . Cette idée pourtant a mis longtemps à faire son chemin. Cela se comprend, eu égard à la difficulté des traitements psychanalytiques d'enfants autistes et psychotiques. L'accent quasi exclusif mis par certains psychanalystes, notamment en France, sur le langage a longtemps freiné le développement des cures d'enfants psychotiques mutiques ou au langage très pathologique. On suggérait d'orienter ces enfants vers des thérapies corporelles, en attendant qu'ils aient éventuellement développé leur langage et qu'un abord psychothérapeutique puisse relayer l'approche corporelle de leurs troubles. Cet espoir était malheureusement souvent illusoire, tant il est vrai que la pathologie du développement du langage est un des modes d'expression de la souffrance psychotique. L'expérience des psychanalystes qui se sont consacrés au traitement de ces enfants a fait la preuve de la possibilité de les aider, parfois même de les guérir, par la psychanalyse, à la condition d'avoir une technique rigoureuse et pourvu que le thérapeute soit à même d'être en contact avec des niveaux d'angoisse très archaïques.
Le traitement psychanalytique des enfants psychotiques, plus que tout autre, nécessite une rigueur technique. Aussi allons-nous décrire les différents aspects de la technique psychanalytique adaptée à ce type de cure. Nous passerons en revue successivement les problèmes du cadre, de l'interprétation, du processus, du transfert et du contre-transfert. Enfin, nous évoquerons le nécessaire travail que le psychothérapeute doit faire avec les parents de l'enfant.


Cadre


Le cadre de la psychothérapie doit être rigoureusement établi pour répondre aux besoins fondamentaux de l'enfant qui est habité par une souffrance intense, mais aussi par une grande violence pulsionnelle qui demande à être contenue : « Le premier besoin de l'enfant psychotique, écrit Tustin, et le plus urgent, c'est de sentir que la violence explosive qui est en lui et qui menace de faire tout éclater, peut être contenue et endiguée à l'intérieur d'un cadre assez solide pour la supporter. »  Elle insiste sur plusieurs aspects du cadre concret, qui sont nécessaires pour que celui-ci réponde à cette fonction contenante. Sa régularité : elle conseille de mettre les séances toujours à la même heure. Son étanchéité : elle recommande la technique de Klein , qui consiste à attribuer à chaque enfant un tiroir fermant à clé, dans lequel se trouvent les jouets et le matériel de dessin ou de peinture destiné à l'enfant, tiroir qui est rangé dans un meuble à la fin de chaque séance. Elle déconseille de laisser l'enfant apporter des jouets de chez lui ou en emporter de la salle de traitement. Elle recommande de ne pas laisser l'enfant sortir de la salle de traitement en cours de séance. Les jouets doivent être simples, animaux sauvages et domestiques, figurines, petites autos, pont de bois, peinture, crayons, eau. La pièce doit toujours être disposée de la même façon. À côté de ces qualités concrètes, elle décrit l'attitude du thérapeute comme devant être suffisamment ferme pour donner à l'enfant le sentiment « qu'il est entre des mains solides et compréhensives, suffisamment fortes pour que des structures intérieures puissent commencer à se développer en lui » . Elle condamne les attitudes trop permissives qui sont souvent utilisées avec ces enfants et qui sont fondées sur l'illusion d'une possibilité d'effacer les traumatismes psychiques subis par l'enfant par des expériences dans la réalité, alors qu'il s'agit de réparer sa réalité psychique, c'est-à-dire de l'aider à élaborer ses angoisses à un niveau symbolique. Elle va jusqu'à conseiller d'insister sur les règles élémentaires de politesse, sur la nécessité parfois de le maintenir physiquement, non pour le réprimer, mais pour contenir son excès d'excitation, contention physique qu'elle accompagne d'une interprétation [206].
Une fréquence élevée de séances est très souhaitable. L'habitude, fréquente en France, de ne voir les enfants qu'à une fréquence hebdomadaire est regrettable. Il est rare qu'à cette fréquence un réel travail analytique soit possible et cela explique sans doute une certaine perplexité qui s'est emparée de beaucoup d'analystes au sujet du traitement psychanalytique des psychoses infantiles et de l'autisme. Plusieurs séances par semaine sont en général nécessaires pour permettre un repérage des mouvements transférentiels, pour laisser le temps à une perception et à une élaboration du contre-transfert et pour décoder le matériel si énigmatique et si ténu de l'enfant.
L'attention du psychothérapeute fait partie du cadre, c'en est même un élément essentiel. Il est crucial qu'il puisse soutenir son attention avec la plus grande énergie, malgré la monotonie du déroulement de nombreuses séances et malgré les véritables attaques qu'il subit contre sa capacité à penser.


Interprétation


Si étonnant que cela paraisse, l'enfant autiste est accessible à des interprétations verbales, pourvu qu'elles soient brèves, utilisent des mots que l'enfant est censé connaître et qu'il faut demander aux parents et surtout qu'elle portent sur le niveau adéquat d'angoisse. C'est évidemment cette dernière exigence qui est la plus difficile à satisfaire. Elle exige une grande concentration de l'attention du thérapeute, une absence d'a priori théorique et de placage interprétatif. Tustin insiste sur l'importance de n'interpréter que ce qui paraît clair dans le matériel, sans se livrer à des hypothèses théoriques complexes et hasardeuses, de répéter les interprétations et d'utiliser avant tout son intuition pour les construire. La participation, dans la formulation de l'interprétation, d'intonations émotionnelles, voire de gestes, de mimes, est souvent très utile pour améliorer la qualité de la communication avec l'enfant. Alvarez a récemment insisté sur l'importance de ce contact vivant du thérapeute avec l'enfant [3]. Il ne faut pas, toutefois, que cela aille jusqu'à une excitation ou à une érotisation du contact.
L'interprétation, au sens psychanalytique, est toujours une interprétation dans le transfert. Certes, l'analyste peut faire des commentaires qui ne se réfèrent pas directement au transfert. Il faut, avec les enfants psychotiques, beaucoup verbaliser. Il est rarement utile d'inviter l'enfant à associer car il ne le fait pas et souvent cette demande l'angoisse. En revanche, la verbalisation, quelque intuitive et hypothétique qu'elle soit, sert de contenant aux angoisses de l'enfant. Par ailleurs, elle aide l'analyste à penser le matériel, qui ne peut souvent être compris qu'à mesure qu'on le commente.
Le moment venu, cependant, il faut interpréter dans le transfert. L'interprétation ne doit jamais porter sur les personnages extérieurs à la situation thérapeutique. C'est une erreur qui est fréquemment faite de croire que d'interpréter la vie extérieure, les relations supposées aux parents, permet au processus thérapeutique de prendre place. En fait, la référence aux personnages de la vie extérieure de l'enfant ne doit venir qu'en contrepoint de l'interprétation de transfert. On pourrait dire qu'une telle référence est utile pour éclairer le transfert. Isolée, elle est sans efficacité, elle peut même être dangereuse en créant chez l'enfant une blessure narcissique ou en renforçant ses mécanismes projectifs.
La cure analytique, d'une manière générale, passe par le langage. Les cures d'enfants autistes et psychotiques n'échappent pas à cette règle. Il est utile de le rappeler car ces enfants sont particulièrement habiles à utiliser le corps du thérapeute pour parvenir à leurs fins et sont parfois extrêmement séducteurs. C'est une erreur de les laisser utiliser à leur guise le contact corporel et de se laisser séduire par eux. Le thérapeute doit veiller à garder au maximum sa capacité à penser et toujours s'efforcer de transformer en pensées et en mots les messages que lui adresse l'enfant : « Le thérapeute, écrit Tustin, par son intervention, semble lui dire (à l'enfant) : “Plutôt que de te prêter la main comme s'il s'agissait d'une partie de ton corps, je vais te prêter mes pensées", qui t'aideront à distinguer progressivement ton corps du mien et à développer tes propres “pensées”. » 


Transfert et contre-transfert


Ce sont des phénomènes dynamiques qui se produisent dans la relation thérapeutique entre le patient et le thérapeute. Freud a montré que c'est dans cette dynamique que peut s'inscrire un processus thérapeutique favorisant l'élaboration des conflits psychiques et la résolution des angoisses qui en résultent. Pour lui, le transfert était la répétition dans la cure et sur la personne de l'analyste des relations libidinales et agressives qui s'étaient nouées dans l'enfance du patient avec les personnages clés de son entourage, essentiellement sa mère et son père. Cela reste vrai, mais on ne peut limiter le transfert à ce seul aspect. Le transfert inclut tous les phénomènes dynamiques qui se déroulent dans la relation thérapeutique. Bien souvent, au début d'une cure avec un enfant psychotique, il n'y a pas de transfert au sens de Freud, l'analyste n'est pas perçu par l'enfant comme une personne entière sur laquelle il puisse transférer ses investissements libidinaux et agressifs. Et pourtant, il y a une dynamique psychique qui s'installe séance après séance. On peut y distinguer trois étapes :
  • transfert sur le cadre ;
  • transfert infantile ;
  • névrose de transfert.
Le transfert sur le cadre se manifeste dès le début de la cure par un investissement du cadre même des séances, la pièce de traitement, le matériel de jeu et de dessin mis à sa disposition, le rythme et la durée des séances. Ce qui révèle le mieux ce transfert sur le cadre, ce sont les manifestations de l'enfant dès qu'il y a le moindre changement, la moindre discontinuité. L'espacement entre les séances, l'interruption du week-end, une absence de l'analyste, quel qu'en soit le motif et même si l'absence est annoncée, sont des occasions de vives réactions émotionnelles chez l'enfant. Il faut savoir décoder ces réactions à travers les manifestations autistiques ou psychotiques de l'enfant, bouffées de stéréotypies motrices, recrudescence délirante, etc. Il est essentiel de relier ces manifestations aux affects qu'elles expriment et aux circonstances de la cure qui les ont suscités. Le cadre a une fonction contenante. C'est l'élaboration du transfert sur le cadre qui permet que, peu à peu, l'enfant intériorise un contenant dans lequel sa vie psychique va pouvoir prendre place.
Le transfert infantile correspond à un niveau où les objets investis sont qualifiés d'objets partiels. C'est le niveau de transfert découvert pas Mélanie Klein, dans lequel les objets investis libidinalement ou agressivement sont des objets partiels localisés fantasmatiquement dans le corps de la mère : sein, pénis, bébés, fèces, etc. L'élaboration du transfert infantile repose essentiellement sur l'interprétation des mécanismes de clivage et de projection, d'idéalisation, de déni, qui sont à l'oeuvre à ce niveau de fonctionnement de la psyché, ce que l'on voit remarquablement illustré par le célèbre « cas Richard » publié par Klein [105]. Cette élaboration conduit à travers la position dépressive et la réparation vers la constitution d'objets totaux.
La névrose de transfert est un réseau complexe d'investissements libidinaux et agressifs qui a pour support les objets parentaux, mais qui s'actualise dans la relation au thérapeute. Ce sont les conflits oedipiens qui en forment la trame, articulés autour de l'angoisse de castration.
Ces différents niveaux de transfert se rencontrent plus ou moins dans toute cure. La particularité des cures d'enfants autistes et psychotiques est d'abord que la phase de transfert sur le cadre est très longue ; longtemps, c'est le seul transfert analysable. L'intrication de ces trois types de transfert est importante et colore d'une façon particulière les étapes successives de la cure. Lorsque l'enfant accède enfin à un niveau oedipien de ses fantasmes et de son transfert, il s'y mêle des aspects de transfert infantile qui donnent à ces fantasmes une violence et une crudité inhabituelles. D'une manière générale, ces enfants ont tendance à avoir longtemps une grande instabilité dans leurs niveaux de fonctionnement les plus évolués. Réduire peu à peu cette instabilité exige de la part du thérapeute une grande ténacité.
Le concept de contre-transfert a également connu une évolution importante depuis Freud. Il a tout d'abord été défini comme ce qui, dans le psychisme de l'analyste, pouvait faire obstacle à la réception et à la compréhension des messages inconscients venant du patient, les taches aveugles de l'analyste correspondant à des conflits intrapsychiques non ou insuffisamment élaborés en lui. Cette définition reste toujours valable, mais s'y est ajoutée celle donnée par Heimann en 1950 . Cet auteur a élargi la notion de contre-transfert à la réaction émotionnelle de l'analyste à son patient à l'intérieur de la situation analytique et, surtout, elle en a fait un instrument privilégié de l'exploration de l'inconscient du patient. En se fondant sur le concept d'identification projective défini par Klein, elle montre que le patient projette dans le psychisme de son analyste des parties de sa propre psyché, dont l'analyste ne peut avoir connaissance qu'à travers ce qu'il éprouve dans la relation analytique. Au total, le contre-transfert apparaît comme un mélange des défenses de l'analyste et des projections du patient, mélange que l'analyste doit s'efforcer de démêler pour en extraire les messages inconscients du patient. Dans les cures d'enfants autistes et psychotiques, la part de l'élaboration du contre-transfert est considérable. Le matériel apporté par l'enfant est au début très pauvre, souvent répétitif, mais le thérapeute se sent envahi de sentiments divers, parfois violents. Il est essentiel qu'il puisse prendre conscience de ces sentiments pour faire la part de ce qui lui revient en propre et de ce qui est projeté en lui par l'enfant, afin qu'il puisse les relier au matériel et en éclairer ainsi le sens inconscient. La difficulté de ce travail sur le contre-transfert suppose que le thérapeute puisse être régulièrement aidé, soit par une supervision, soit par un travail avec d'autres collègues psychothérapeutes.


Processus


Le processus thérapeutique est un processus de changement qui permet à l'enfant de prendre peu à peu conscience des fantasmes inconscients qui organisent son psychisme et sa relation au monde. Ce n'est que par une élaboration très progressive des angoisses qui l'habitent que cette prise de conscience est possible. La transformation de parties impensables de la psyché en pensées grâce à la formation du symbole est le mécanisme de base de cette prise de conscience.
Chez les enfants autistes et psychotiques, le processus est imprévisible. Tantôt on a affaire à de longues périodes d'apparente stagnation ; tantôt, au contraire, on voit l'enfant franchir des étapes à vive allure, tout se passant comme si un nouveau palier était devenu soudain accessible. On peut repérer dans ces cures les étapes suivantes du processus analytique :
  • la constitution d'un contenant psychique ;
  • l'élaboration de la dépression psychotique ;
  • l'élaboration du transfert infantile ;
  • l'élaboration de la névrose de transfert ;
  • le processus de fin de cure.
La constitution d'un contenant psychique correspond à la phase que Tustin a appelé « la création de liens » . Elle insiste sur l'importance d'aider les enfants autistes à constituer des liens entre leurs expériences sensorielles opposées qu'ils ont clivées et qui correspondent aux éléments de la bisexualité psychique : le dur et le mou, le sec et le mouillé, le rugueux et le doux, etc. L'intégration des éléments de la bisexualité psychique est en effet essentielle pour donner au contenant psychique les qualités requises, il doit être à la fois réceptif aux parties de la psyché de l'enfant projetées en lui et posséder pour cela une certaine élasticité, mais en même temps résistant, consistant, non effractable, pour ne pas être détruit sous la pression même de ces projections. Le pôle réceptif correspond à des qualités féminines, maternelles du contenant psychique ; le pôle consistant à des qualités masculines, paternelles. La constitution et l'intériorisation d'un contenant psychique permettent à l'enfant d'abandonner sa coquille autistique ou de sortir de l'entremêlement dans lequel il est avec son objet maternel.
L'élaboration de la dépression psychotique devient possible quand l'enfant a commencé à intérioriser un contenant psychique. Il prend alors conscience de la distance physique et psychique qui le sépare de son thérapeute, mais il revit le traumatisme de cette première prise de conscience dénommée, par Winnicott puis par Tustin, « dépression psychotique ». Cette prise de conscience est vécue comme la menace d'une perte de sa propre substance corporelle. Les séparations effectives d'avec le thérapeute ravivent cette souffrance. La tâche de l'analyste est d'élaborer patiemment cette souffrance en aidant l'enfant, parfois avec la fermeté nécessaire, à ne pas retomber dans ses manoeuvres autistiques. À cette phase, on peut voir apparaître des mécanismes hallucinatoires qu'il ne faut pas prendre pour une aggravation de l'état de l'enfant, mais au contraire comme les premières manifestations de sa pensée qu'il ne peut encore localiser clairement dans son monde intrapsychique distingué du monde perceptif extérieur. Houzel a décrit un mode particulier d'expression des états intérieurs de l'enfant, qu'il a appelé « mise en scène », tout se passant comme si l'enfant donnait à voir à l'analyste, par son comportement, les états internes de son psychisme qu'il ne peut encore penser et verbaliser. L'émergence de la dépression psychotique s'accompagne toujours d'une phase maniacodépressive qui a été décrite par Tustin. G Haag  a récemment insisté sur le versant maniaque de cette phase.
L'élaboration du transfert infantile a déjà été évoquée (cf supra). Ce dernier correspond à la découverte et à l'acceptation de la dépendance vis-à-vis du thérapeute, ce qui entraîne des fantasmes d'exclusion et de persécution par des rivaux internes situés dans le corps fantasmatique de la mère. Tustin a décrit un fantasme du « nid aux bébés »  qui correspond à la conviction de l'enfant qu'il y a des bébés spéciaux dans la mère, qui reçoivent une nourriture spéciale ; il s'associe à des sentiments de déception, de colère et de rivalité. Plus récemment , elle a décrit ces rivaux archaïques comme des bouches affamées et menaçantes ou comme un essaim de guêpes qui assaillent l'enfant, d'où sa terreur d'entrer en relation avec autrui sur qui il projette ces fantasmes. À ce stade, le père est ressenti comme le plus gros des rivaux persécuteurs, ce qui crée un solide obstacle à l'émergence de l'oedipe.
L'élaboration de la névrose de transfert correspond justement au conflit oedipien, auquel l'enfant psychotique a tant de mal à accéder. L'oedipe signe la reconnaissance de la différence, y compris la différence des sexes. Il suppose la possibilité de tolérer l'écart, la frustration, l'altérité et le partage, toutes choses que les enfants autistes et psychotiques ne peuvent faire. Ce n'est qu'au terme d'un long processus thérapeutique qu'ils ont des chances d'y accéder, encore que sous une forme un peu particulière, marquée par la violence et la crudité des fantasmes oedipiens et l'intensité de l'angoisse de castration. Cela est à rapprocher de l'extrême sensibilité de ces enfants au processus de la puberté et de l'adolescence, qui peut être une occasion de décompensation, mais qui peut être aussi, pour autant que l'on n'aie pas renoncé à l'action thérapeutique, une occasion de progrès importants.
Le processus de fin de cure est toujours un processus délicat. Il l'est plus encore chez les enfants autistes et psychotiques. En effet, il est chez eux une occasion de réactivation des angoisses du départ et de la dépression psychotique. L'important est que l'enfant ait acquis au cours de sa cure des possibilités d'élaboration suffisantes pour, non pas n'être plus jamais confronté à ses angoisses, mais être capable de les élaborer et de retrouver, par ses propres moyens, un niveau de fonctionnement mental satisfaisant lorsqu'il a été ébranlé par un traumatisme affectif. D'une manière générale, plus une cure analytique aura permis d'aborder ces niveaux d'angoisse, probablement potentiellement présents chez tout être humain, plus les résultats obtenus seront satisfaisants et stables. Tustin affirme que, bien souvent, ce n'est qu'après la fin de la cure que l'élaboration de telles angoisses est possible, lorsque l'analysant doit affronter sa solitude et se reconnaître séparé de son objet transférentiel.


Travail avec les parents


Il est nécessaire d'associer d'une certaine manière les parents au traitement de leur enfant et il est indispensable de les aider à affronter leur propre souffrance psychique sans se laisser emporter par le découragement. Il faut donc que, soit le thérapeute lui-même, soit un psychiatre consultant, rencontre les parents régulièrement. On peut attribuer à ces rencontres les buts suivants :
  • nouer et renforcer avec eux une alliance thérapeutique ;
  • prendre en compte leur souffrance psychique ;
  • évaluer avec eux l'évolution de l'enfant ;
  • les aider à décoder ses expressions émotionnelles ;
  • décider ensemble des orientations thérapeutiques, scolaires ou institutionnelles.
La souffrance psychique des parents est toujours présente, mais parfois elle se manifeste d'une manière paradoxale, avec une particulière intensité, au moment où l'on constate les premiers progrès de l'enfant. Il faut comprendre alors, et le dire aux parents, qu'ils se sentent accablés par le sentiment de la longueur et de la lourdeur de la tâche à accomplir pour accompagner l'enfant tout au long de son développement. C'est une forme de dépression qui les atteint, dépression primaire, peu mentalisée, qui se manifeste plus sous la forme d'un sentiment d'épuisement physique que sous celle d'une plainte dépressive. Il est essentiel que, dans ces moments, les parents sentent la sympathie et la compréhension du thérapeute ou du consultant. Il faut aussi qu'ils se sentent assurés qu'on ne les laissera pas tomber en cours de route, car c'est souvent une de leurs secrètes angoisses.
L'évaluation de l'évolution de l'enfant n'est pas facile, tout au moins en début de cure. On attend, et c'est bien légitime, qu'il fasse des progrès visibles, que ses performances s'améliorent, qu'il acquiert telle ou telle compétence qui lui faisait défaut. Or, au début de la cure, ses progrès sont ailleurs. Ils se manifestent dans la relation, dans la capacité à exprimer ses émotions et à décoder celles d'autrui. Il est très important d'aider les parents à reconnaître ces progrès et à leur donner leur pleine valeur. Il faut aussi les inciter à la patience en ce qui concerne les performances de l'enfant, d'autant plus que l'attente de l'autre est pour un enfant psychotique une source d'angoisse souvent très intense qui freine ses progrès au lieu de les favoriser.
Le décodage des expression émotionnelles de l'enfant est une tâche qu'il faut partager avec les parents. Le thérapeute et les parents ont besoin de s'entraider dans cette tâche particulièrement difficile. Repérer qu'une recrudescence soudaine de symptômes soit liée à telle ou telle circonstance, qui provoque sans doute chez l'enfant une intense réaction émotionnelle, tel est le problème. Ce repérage est important à un double titre : d'une part, il aide les parents à beaucoup mieux supporter les symptômes psychotiques de l'enfant, à se sentir moins persécutés par eux ; d'autre part, il permet à l'enfant de verbaliser l'émotion que lui-même ne peut qu'évacuer à travers ses symptômes tant il se sent submergé par son intensité. Cette verbalisation des émotions est d'une grande aide pour l'enfant, qui se sent moins envahi et désorganisé par ses vécus émotionnels dès lors qu'ils sont nommables.
Traiter des enfants autistes et psychotiques par la psychothérapie est une tâche difficile. Cependant, grâce au travail acharné de quelques pionniers, il est maintenant possible d'affirmer que si la tâche est menée avec rigueur, elle est toujours bénéfique et que souvent elle transforme radicalement le pronostic. Cela est d'autant plus vrai que l'enfant est jeune au début du traitement, ce qui renvoie à la nécessité d'un dépistage précoce de ces syndromes psychopathologiques. Il n'est pas exceptionnel qu'un enfant autiste ou psychotique, dépisté tôt et traité par une psychothérapie intensive et rigoureuse puisse se passer de prise en charge institutionnelle et même de classe spécialisée. Cela suppose la collaboration de tous, parents, enseignant, consultant, thérapeute.
À côté et en complément de la psychothérapie individuelle de l'enfant, certaines techniques thérapeutiques peuvent être d'un grand secours :
  • les interventions à domicile préconisées par certains auteurs (Houzel, Geissmann et al) ;
  • les traitements de groupe tels que les a décrits Haag;
  • les psychothérapies mère / enfant ou parents / enfant ;
  • les psychothérapies familiales ;
  • et bien sûr les traitements institutionnels.
Toutes ces formes de traitement peuvent concourir au même but : sortir l'enfant de ses terreurs paralysantes pour l'aider à entrer dans le monde de la communication humaine. Les actions éducatives, notamment celles des parents, les actions pédagogiques sont également indispensables pour atteindre ce but. L'éventail de toutes ces modalités d'intervention est longuement abordé et discuté dans l'ouvrage de Soulé et Golse . Les meilleures chances de succès sont réunies si chacun agit dans son domaine de compétence en complément des autres et dans le respect des différents rôles et des différentes responsabilités, sans qu'aucun prétende détenir la clé du mystère de l'autisme et de la psychose infantile.


Traitements comportementaux

Des traitements comportementaux visant à réduire les comportements indésirables (stéréotypies, autostimulations ou automutilations) et à obtenir l'apprentissage de certaines compétences élémentaires ou complexes, ont été proposés. Lovaas utilise des techniques s'appuyant sur le conditionnement opérant. Selon cet auteur, l'emploi précoce et intensif de cette méthode permettrait à certains sujets de sortir de l'autisme. De son côté, Mac Eachin rapporte une évolution favorable du point de vue du développement intellectuel et de l'intégration scolaire chez neuf enfants sur 19 ayant reçu un traitement comportemental intensif entre 3 et 4 ans.
En définitive, selon l'ANDEM, il y a peu de travaux évaluant rigoureusement l'efficacité du traitement comportemental dans l'autisme infantile. « Si ce traitement présente un certain intérêt pour la réhabilitation comportementale de certains enfants autistes, il présente également, d'après ces travaux, des limites quant à son efficacité à long terme. » Par ailleurs, on a souligné le risque que ces méthodes induisent chez les parents et les professionnels une vision trop mécaniciste des enfants autistes (ANDEM, 1994).


Prise en charge institutionnelle

La prise en charge des enfants autistiques et psychotiques a été et est encore l'objet de nombreux débats. De nombreux modèles ont été proposés, s'inspirant d'approche psychanalytique ou davantage inspirés par des approches éducatives. Il est très difficile d'en faire la synthèse aujourd'hui. Même parmi les auteurs se réclamant de la psychanalyse, on observe des différences importantes quant à la part et aux modalités du cadre institutionnel lui-même.


Cadre : prise en charge résidentielle ou à temps partiel ?


S'il faut reconnaître à B Bettelheim un rôle historique certain, il n'est guère d'auteur qui se réclame aujourd'hui encore de sa conception. On sait en effet que la séparation d'avec la famille et la prise en charge complète par un milieu dans lequel chaque activité devait pouvoir prendre un sens thérapeutique, étaient pour lui indispensables.
Actuellement, la part de la prise en charge résidentielle apparaît très variable d'un pays à l'autre ; elle est fonction aussi de la demande des familles et aussi de l'âge des enfants.
Pour ce qui concerne les enfants pris en charge dans les services de psychiatrie infantojuvénile - dans notre pays - l'hospitalisation à plein temps ne concernait, en 1988, que 20 % des enfants et adolescents autistes et psychotiques. De plus en plus souvent, la prise en charge se fait sur le mode de l'hospitalisation de jour ou de prise en charge ambulatoire associée à une intégration en milieu scolaire.
Cependant, un nombre probablement équivalent d'enfants autistes et psychotiques est pris en charge par les établissements médico éducatifs, dont un certain nombre en internat, complet ou de semaine. Mais on dispose de peu de précisions à ce sujet (rapport de l'inspection générale des affaires sociales [IGAS] de 1994).


Moyens mis en oeuvre


La plupart des auteurs s'accordent sur la nature pluridimensionnelle de la prise en charge thérapeutique. Elle s'appuie en effet sur des moyens éducatifs et thérapeutiques diversifiés, utilisant, à côté de la psychothérapie individuelle, des activités manuelles, éducatives, ludiques, susceptibles de fournir une médiation, un support au développement de la communication à l'enfant, des étayages face à la fragilité de son organisation psychique et notamment de son système pare-excitation, en même temps qu'elles doivent être le support au développement de processus de symbolisation.
Mises a précisé les conditions de la cure institutionnelle, qui s'appuie à la fois sur des activités éducatives et sur la compréhension et l'élaboration des investissements mutuels entre l'enfant et les intervenants, à l'occasion de ces activités et de la vie quotidienne. Dans cette perspective, chaque membre de l'équipe soignante et éducative participe au processus psychothérapique et les échanges éducatifs et pédagogiques constituent des médiations psychothérapiques, qui font l'objet d'une réflexion institutionnelle. L'accent est mis notamment sur la recherche des significations, la compréhension et la mobilisation des facteurs dynamiques.
Cette approche s'appuie sur le cadre référentiel apporté par la psychanalyse mais elle peut intégrer des concepts issus d'apports systémiques ou des théories de la communication.
Hochmann, s'appuyant notamment sur les travaux de Bion, insiste sur la signification du cadre institutionnel. À travers un maternage symbolique, qui reproduit les activités d'une mère avec son petit enfant, s'appuyant sur une mise en récit (le conte), les soins donnés à l'enfant consistent en une série d'échanges qui visent à l'aider à « réinvestir positivement son activité mentale ». Hochmann  insiste aussi particulièrement sur la nécessité du travail sur les contre-attitudes des soignants soumis aux effets destructeurs des processus autistiques et psychotiques sur la pensée et la vie psychique de l'entourage.
Tous les auteurs insistent aussi sur l'importance du travail avec les parents. Ce travail doit viser avant tout à assurer et à maintenir une alliance thérapeutique qui doit tenir compte du sentiment de culpabilité latent, presque toujours présent ; cette aide offerte ne saurait constituer cependant une obligation pour les parents à s'engager dans l'une ou l'autre forme de psychothérapie pour eux-mêmes.
Au cours de ces dernières années, l'accent a été mis de plus en plus sur l'intérêt d'activités pédagogiques, et dans tous les cas où cela a été possible, d'une intégration en milieu scolaire normal. De nombreux hôpitaux de jour bénéficient de la présence d'instituteurs détachés par l'Éducation nationale, dont les actions sont complétées par l'intervention d'éducateurs spécialisés, soit en relation individuelle avec l'enfant, soit en petits groupes.
L'intégration en milieu scolaire, en parallèle à une prise en charge à temps partiel en hôpital de jour, se fait soit dans les classes spécialisées accueillant d'autres types d'enfants soit, pour certaines expériences, dans des classes adaptées (CLIS) pour lesquelles une convention spécifique est établie entre l'hôpital de jour et l'école.


Approche éducative

Certaines approches privilégient exclusivement la dimension éducative. L'une des plus connues est le programme TEACCH (treatment and education of autistic and related communication handicapped children), développé par Schopler en Caroline du Nord aux États-Unis . Il s'agit d'une approche individualisée mettant l'accent sur le développement de compétences sociales, sur la structuration du temps et de l'environnement de l'enfant. Une grande importance est donnée à la collaboration avec les parents considérés comme des « cothérapeutes ». À partir d'une évaluation détaillée des compétences acquises ou en « émergence » de l'enfant (test de profil psychoéducatif [PEP]), un programme d'activités pédagogiques élémentaires est mis en place.
Dans la « philosophie TEACCH », il convient d'avoir annoncé clairement le diagnostic aux parents et, en même temps, les conséquences handicapantes pour la vie à venir.
Contrairement aux approches purement comportementalistes, il n'est pas fait appel au conditionnement opérant et les « renforçateurs comportementaux » restent du domaine courant (encouragements, voire friandises).
Bien entendu, les modalités d'application du programme TEACCH peuvent être diverses et variables selon le contexte où il est entrepris et la « culture générale » de l'équipe. J Constant a montré récemment, à propos d'une expérience concrète, l'apport de la méthode TEACCH dans un hôpital de jour public dont les références sont par ailleurs psychodynamiques. Ainsi, cette équipe s'est appuyée sur certaines procédures TEACCH : partenariat parents-professionnels, prise en charge généraliste et individualisée reposant sur des évaluations répétées, enseignements structurés et même dirigés, ritualisation de l'emploi du temps, gestion des comportements gênants. Mais en même temps, les ressources plus générales du centre sont utilisées : échanges entre l'unité TEACCH et les autres structures du dispositif de soins, appui sur les activités sociales de la communauté, intégration scolaire, activités sportives extérieures, séjours en lieu de vie. De la même façon, l'équipe s'efforce d'articuler les références psychodynamiques qui forment la culture de base de l'institution avec ces procédures TEACCH, en permettant par exemple à certains enfants d'être suivis en psychothérapie à partir de cette unité, en investissant des réunions qui sont l'occasion d'un travail de liaison et de compréhension portant sur l'enfant, et aussi sur les interactions entre cet enfant et les adultes. Constant illustre remarquablement, par plusieurs exemples cliniques concrets, l'apport de procédures TEACCH dans un tel contexte. Il souligne aussi en même temps les paradoxes de cette technique TEACCH et la nécessité des qualités professionnelles des éducatrices, à la fois sur le plan de la finesse de l'observation de l'enfant, de l'inventivité et de la créativité nécessaires dans les activités quotidiennes avec l'enfant.
Les thérapies d'échange et de développement (Lelord, Barthelemy, Hameury ) développées par l'équipe de Tours se rapprochent du programme TEACCH et du traitement comportemental.


Autres approches thérapeutiques, éducatives et pédagogiques

Parmi les multiples propositions thérapeutiques, éducatives et pédagogiques, il faut signaler l'intérêt de l'approche corporelle (Coq ) et de certaines médiations dans ce registre (holding ou « ferme maintien ») (Soulayrol) ainsi que de la communication facilitée (procédé qui permet à des personnes privées de parole ou parlant mal d'apprendre à s'exprimer en tapant à la machine avec un doigt ; un partenaire appelé facilitateur soutenant la main du patient aussi longtemps qu'il en a besoin ; les enfants autistes apprennent à désigner des images ou des mots écrits pour faire des choix, répondant en désignant « oui » ou « non » sur une case, à pouvoir choisir leurs aliments, leurs activités, les personnes avec qui ils désirent aller (Vexiau ).
Ces différents types d'approches, qui ne sont malheureusement que cités ici, sont abordés et discutés dans un ouvrage récent auquel ont collaboré parents et professionnels (Grand, Mises ).
On voit que les approches proposées sont multiples et apparaissent opposées dans leurs principes et leurs visées ; peut-être d'ailleurs les pratiques sont-elles moins opposées qu'il n'y paraît, à lire les prises de positions et les polémiques. En tout cas, quelles que soient les méthodes proposées, on peut regretter la rareté des documents sur les résultats, notamment en ce qui concerne l'influence de ces différentes approches sur l'évolution à long terme.
Quelle que soit la nature des actions thérapeutiques et / ou éducatives proposées, la prise en charge volontiers multidimensionnelle doit être envisagée dans une perspective à long terme, l'orientation prévalente des approches proposées pouvant d'ailleurs évoluer en fonction de l'âge et de l'évolution.
Ceci se traduit le plus souvent par une trajectoire faisant appel à différents types d'institution. Ceci amène à souligner la nécessité de développer un travail en réseau, permettant d'associer les compétences complémentaires de différentes structures (équipes de psychiatrie infantojuvénile, établissements médicoéducatifs, écoles) et des professionnels pouvant travailler aussi en pratique libérale, tout en assurant la continuité de la prise en charge.

Conclusion

Pour conclure cette revue des connaissances et des points de vue guidant les actions thérapeutiques et/ou éducatives concernant les enfants autistes et psychotiques, ainsi que des données et des orientations actuelles des recherches dans ce domaine, nous voudrions faire trois remarques.
La première concerne la pratique clinique. Il s'agit d'insister à nouveau sur la nécessité pour les professionnels de développer un travail en réseau facilitant d'une part l'évaluation diagnostique et la prise en charge des enfants et l'aide aux parents, d'autre part permettant un travail de réflexion sur sa propre pratique. Nous rejoignons volontiers par ailleurs Lemay lorsqu'il souligne que le fait de pouvoir évaluer et s'occuper d'un nombre important d'enfants autistes conduit à des réflexions profondément différentes de celles que nous avons lorsque nous examinons ou nous occupons seulement d'un tout petit nombre de cas : « Quand on se limite à l'évaluation et au traitement d'un petit nombre de cas, on prend le risque d'aboutir à des généralisations étiopathogéniques, diagnostiques et thérapeutiques qui ne tiennent plus devant l'éventail d'une grande population... »
Le deuxième point concerne la nécessité de développer les recherches à la fois dans le domaine clinique - et pas seulement dans le secteur de l'évaluation de nos actions thérapeutiques, évidemment particulièrement essentielle, mais aussi dans celui de la réflexion psychopathologique et des modalités de la pratique et de la prise en charge des enfants autistes - et dans le domaine des neurosciences et des sciences cognitives ensuite. On ne peut alors que souligner l'intérêt des recherches multidisciplinaires et multicentriques ; la formule des programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) peut y aider.
La troisième remarque concerne la nécessité de maintenir un niveau de réflexion suffisamment critique sur notre pratique comme sur nos recherches pour ne pas retomber dans des positions figées et des débats dépassés liés à des abords simplificateurs et réducteurs des problèmes concernant l'autisme et les psychoses précoces. Il y a lieu, sur un plan général, de ne pas perdre de vue la complexité des phénomènes et des facteurs intervenant dans le développement psychologique, qu'ils soient dans le registre neurobiologique, psychologique et social. Nous ne pouvons qu'aller dans le sens de Franc quand elle écrit que « c'est à cause de la tentation des parents d'aller toujours vers l'irréalisable que chercheurs et soignants se dépasseront... ».

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