vendredi 6 septembre 2013

DÉPISTAGE ORGANISÉ DES CANCERS DU SEIN



Introduction

Le dépistage en cancérologie consiste à détecter une lésion maligne avant qu’elle ne soit connue par des symptômes. Le cancer du sein répond aux critères définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour qu’une maladie puisse être dépistée :
– c’est un cancer fréquent, premier cancer féminin dans les pays industrialisés, avec une incidence de 87/100 000/an et 26 000 nouveaux cas/an en France . Son incidence est faible jusqu’à 40 ans, s’élève brusquement à 40 ans et croît ensuite avec l’âge ;

– c’est un cancer grave, première cause de mortalité féminine par cancer avec 10 000 décès/an en France . Entre 45 et 55 ans, il est la première cause de mortalité féminine, toutes causes confondues ;
– son histoire naturelle est connue et son pronostic dépend du volume tumoral au moment du diagnostic ;
– la prise en charge des lésions détectées a été évaluée et est éprouvée, tant sur le plan du diagnostic que du traitement des cancers dépistés ;
– on dispose d’un test, la mammographie, qui, sous réserve d’une assurance de qualité, est sensible et spécifique, supportable pour la population, et d’un coût acceptable ;
– l’impact du dépistage sur la mortalité par cancer du sein a été étudié par de multiples essais, randomisés ou non, d’envergure et de méthodologie variables, qui permettent d’estimer la part respective des inconvénients et des avantages du dépistage .
La Commission européenne des cancers a donc proposé aux États membres de la Communauté économique européenne (CEE) de mener des études pilotes afin d’évaluer les possibilités de mise en pratique, puis d’étendre le dépistage organisé sous forme de projets nationaux. Des programmes sont en cours dans plusieurs départements français. Le projet d’extension progressive à l’ensemble du pays a été annoncé par le secrétaire d’État à la santé.
Nous définirons dans cet article les différentes modalités de dépistage mais nous ne traiterons que du dépistage organisé (DO), la coexistence d’autres modalités de dépistage des cancers du sein dans les pays membres de la CEE étant révisable à moyen terme.
Nous traiterons des méthodes et des résultats connus du DO, sans aborder le problème de la conduite à tenir devant une image infra clinique révélée par la mammographie, très étroitement lié à celui du DO, mais qui fait l’objet d’un autre article.

Définitions

La prévention primaire, couramment appelée prévention, consiste à réduire le risque de survenue d’une maladie, donc à diminuer son incidence  dans une population donnée par application d’une mesure de santé publique. Il n’y a pas de prévention des cancers du sein dont le dépistage ne réduit pas l’incidence mais est au contraire susceptible de l’augmenter .
Le dépistage, appelé aussi prévention secondaire, est défini comme une mesure qui peut réduire la gravité de la maladie ou en améliorer l’évolution . Le dépistage du cancer du sein consiste à le détecter au stade le plus précoce possible. Les définitions de « cancer de petite taille », « cancer infra clinique » et « cancer au stade précoce » ne sont pas rigoureusement superposables : certains cancers débutants sont palpables, certains cancers infra cliniques ne sont ni débutants ni de très petite taille. En France, deux modèles de dépistage des cancers du sein coexistent actuellement.

DÉPISTAGE SUR PRESCRIPTION INDIVIDUELLE

La mammographie est prescrite par un médecin, après un examen clinique ; la femme n’a pas de symptôme, toutes les possibilités du diagnostic sont mises à sa disposition pour tenter de découvrir un cancer à son stade le plus précoce. Le dépistage sur prescription
individuelle (DPI) permet la détection de cancers de petite taille mais, sur le plan de la collectivité, il est insuffisamment réparti, en particulier auprès des femmes de plus de 55 ans lorsque leur niveau socio économique est moins élevé. Son coût, ses performances et ses risques iatrogènes (découverte et surveillance de mastopathies bénignes, examens complémentaires et biopsies inutiles, surdiagnostic) sont mal évalués.

DÉPISTAGE ORGANISÉ

Il consiste à proposer à une population de femmes, qui n’ont pas toutes été examinées cliniquement, une mammographie destinée à faire le tri entre celles qui n’ont pas de signe de cancer et celles qui ont un « signal d’alarme », auxquelles on propose une procédure de diagnostic. On extrait ainsi de la population cible une population à plus haut risque d’avoir un cancer du sein. Le but de la démarche est de réduire la mortalité par cancer du sein dans cette population cible. Le DO s’adresse à l’ensemble de cette population selon un rythme défini. Le DO représente un surcoût qui ne se conçoit que dans le cadre d’un budget spécifique, le meilleur programme étant celui qui évite le plus de décès par cancer du sein avec le budget disponible. L’examen utilisé est une mammographie standardisée.
L’examen clinique n’est pas systématique. L’échographie est insuffisamment performante dans le diagnostic des petits cancers pour être utilisée comme examen de dépistage.
La définition protocolaire de la mammographie de dépistage est basée sur l’assurance de qualité, la formation des intervenants et l’évaluation des résultats.

Efficacité du dépistage organisé sur la mortalité

Deux essais randomisés historiques, le Health Insurance Plan of Greatest New York (HIP)  et les essais suédois d’Ostergötland et de Kopparberg (SNBH), ont montré une réduction relative de la mortalité par cancer du sein de 23 % et 31 % chez les femmes de 40 à 69 ans à qui le dépistage a été proposé par rapport à la population contrôle. La réduction absolue de mortalité est respectivement de 0,05 et 0,14 %. Cette réduction est statistiquement significative. Elle ne l’est que chez les femmes de 50 ans et plus à l’entrée dans l’essai ; aucun bénéficie significatif n’a pu être mis en évidence chez les femmes de 40 à 49 ans. Ces deux essais sont différents l’un de l’autre : mammographies de mauvaise qualité mais délai annuel, deux incidences et examen clinique associé pour le HIP, dans lequel 80 % des cancers détectés sont palpables  ; protocole allégé (incidence unique, délai bi- ou triennal sans examen clinique) mais introduction de la qualité dans le SNBH.
Les essais randomisés ultérieurs (Malmö, Stockholm, Gottenburg, Edinburgh...) ont montré une réduction de mortalité qui n’atteint pas la signification statistique. Cette difficulté à reproduire les résultats des essais historiques malgré l’amélioration de la qualité des mammographies et la rigueur des protocoles et de la prise en charge des cas détectés, peut s’expliquer par le développement du DPI parallèlement au DO, et par une régression globale de la mortalité par cancer du sein, y compris dans le groupe contrôle , liés à l’amélioration des pratiques médicales. D’autres études non randomisées (Breast Cancer Detection Demonstration Project [BCDDP], Florence, Nimègue, San Francisco [UCSF], Uppsala) ont permis d’importants progrès dans la connaissance radiologique et histologique des petits cancers et dans la stratégie et la qualité du DO. Les études cas-témoins (Nimègue) permettent d’apprécier le risque relatif de décès par cancer du sein chez les femmes dépistées, mais n’ont pas la même signification que les essais randomisés.
Enfin, les essais randomisés Canadian National Breast Screening Studies (CNBSS)  mettent en exergue l’énorme impact que peut avoir une baisse de la qualité ou une dérive méthodologique sur le résultat final. Dans ces essais, les femmes de 40-49 ans ont reçu la proposition d’un dépistage radioclinique annuel dans un bras et d’un examen clinique seul dans l’autre bras, les femmes étant ensuite libres de poursuivre leur prise en charge habituelle. Les femmes de 50-59 ans ont reçu la proposition d’un dépistage radioclinique annuel dans un bras et d’un examen clinique annuel dans l’autre bras. Le résultat à 7 ans montre que la mortalité est similaire dans les deux bras pour les femmes de 50 à 59 ans. Pour les femmes de 40 à 49 ans, une surmortalité par cancer du sein, mais non significative et décroissante, est observée dans le bras dépisté. Ces résultats ont engendré une vive polémique et l’essai a été critiqué sur la qualité des mammographies, la méthodologie (un manque de rigueur protocolaire aurait faussé la randomisation, les patientes porteuses de tumeurs évoluées se retrouvant en plus grand nombre dans le bras dépisté) et les procédures de suivi. Ces essais sont intéressants car ils posent le problème de l’éthique du dépistage et de la responsabilité des intervenants en matière d’assurance qualité. Tous ces essais sont différents les uns des autres dans leur conception et dans les modalités d’application (nombre d’incidences, délai entre deux tests, examen clinique, double lecture), ce qui explique les difficultés à évaluer les résultats . L’étude comparative de ces essais montre que l’allongement du délai entre deux tests (passage de 2 ans à 3 ans) diminue l’efficacité du dépistage et augmente le taux de cancers d’intervalle, surtout chez les femmes les plus jeunes. La réalisation de deux incidences (face et oblique externe) plutôt qu’une seule (oblique externe) améliore la sensibilité (le taux de détection est augmenté de 24 %) et la spécificité (le taux de reconvocation est abaissé de 15 %) du dépistage . La deuxième incidence améliore surtout la détection des cancers infiltrants . Les compilations et méta-analyses  permettent d’augmenter le poids statistique des résultats à partir de l’ensemble de ces essais.
– En 1993, l’European Society of Mastology (EUSOMA) organise à Paris une conférence de consensus sur le DO et publie la compilation de six essais randomisés (HIP, Edinburgh, SNBH, Malmö, Stockholm, Gottenburg). Le CNBSS est exclu parce qu’il ne compare pas un groupe « mammographie » à un groupe « contrôle ». Pour l’ensemble des femmes de 40-74 ans, la réduction relative de mortalité est de 22 %. Le risque relatif (RR) de décès par cancer du sein pour les femmes invitées est de 0,78 (intervalle de confiance [IC] à 95 % = 0,70-0,87), 7 à 10 ans après le début des inclusions ; 75 % de femmes ont participé.
– Chez les femmes de 40-49 ans, la réduction de mortalité est de 15 % (RR = 0,85 ; IC 95 = 0,68-1,08 non significatif [NS]), et chez les femmes de 50-74 ans elle est de 24 % (RR = 0,76 ; IC 95 = 0,69-0,87).
– Une autre méta-analyse  porte sur 13 essais dont neuf randomisés et inclut les CNBSS. Elle montre un RR de 0,74 (0,66-0,83) chez les femmes de 50-74 ans, non influencé par les choix protocolaires (nombre d’incidences, délais) ni par la durée du suivi, mais variable d’un essai à l’autre, probablement en raison de critères de qualité : le RR varie de 0,26 (0,10-0,67) pour Nimègue à 0,97 (0,62-1,52) pour le CNBSS 2.
– Pour les femmes de 40-49 ans les IC de tous les essais passent par un. La compilation de ces essais montre que l’efficacité, plus faible que dans les tranches d’âge supérieures, dépend du protocole appliqué et du délai d’observation : le RR global est de 0,93 (0,76-1,13). En utilisant deux incidences, il est de 0,87 (0,68-1,12) ; avec une incidence par sein, il est de 1,02 (0,73-1,44). À moins de 10 ans de suivi, le RR est de 1,02 (0,82-1,27). À plus de 10 ans de suivi, il est de 0,83 (0,65-1,06).
– L’évaluation à très long terme des essais randomisés  et les dernières compilations et méta-analyses confirment que la réduction relative de la mortalité par cancer du sein est plus faible et d’expression plus tardive chez les femmes de 40 à 49 ans, mais tend vers la signification : le RR est de 0,76 (0,62-0,96) en compilant les essais randomisés et de 0,85 (0,71-1,01) en prenant l’ensemble des essais. La réduction relative de mortalité estimée est de 15 à 25 %.
L’efficacité du DO sur la mortalité par cancer du sein chez les femmes de 50 ans et plus est donc démontrée de façon formelle. Pour les femmes de 40-49 ans il n’y a pas de consensus et ce sujet alimente depuis 10 ans de vives polémiques dans la littérature . L’efficacité du dépistage est probable , mais on ne peut se baser ni sur les essais anciens ni sur les essais utilisant un protocole allégé pour le démontrer, et on ne sait pas si dans cette tranche d’âge les effets délétères du dépistage ne sont pas supérieurs aux bénéfices attendus. Les protocoles utilisés doivent être adaptés (examen clinique, réalisation de deux incidences, délai annuel) pour que les critères de pronostic des cancers détectés (taille, envahissement ganglionnaire, grade...) soient exactement comparables dans les deux tranches d’âge . Il y a proportionnellement un plus grand nombre de formes in situ dans la tranche d’âge la plus jeune (35 à 40 % des formes infracliniques contre 20 % chez les plus âgées). Ces données impliquent un investissement financier plus lourd chez les femmes jeunes, qui doit être rapporté à l’efficacité obtenue et à la valeur et au nombre des années de vie sauvées . Les effets délétères seront plus importants du fait de l’intensification des protocoles et de l’abaissement de la valeur prédictive positive (VPP) du dépistage : la revue des essais suédois  montre que le taux de reconvocations au premier tour est de 6,7 % à 40-49 ans contre 4,2 % après 50 ans, le taux de biopsies bénignes est de 74 % contre 46 %. C’est probablement dans cette tranche d’âge que les prélèvements percutanés, y compris des microcalcifications grâce aux prélèvements 8-11 G assistés par le vide , trouvent leur meilleure indication pour éviter des biopsies chirurgicales inutiles.
En revanche, chez les femmes de plus de 50 ans, le tri plus sélectif sur l’image permet d’obtenir une meilleure VPP de la biopsie chirurgicale, alors que l’utilisation large des biopsies percutanées d’images à très faible probabilité de malignité augmente certes la VPP de la biopsie mais aussi le surdiagnostic et le surtraitement de lésions border-line qui ne seraient jamais devenues des cancers du vivant de la patiente.

Expérience française.
Évaluation en dépistage organisé

En France, dès 1989, dans le cadre du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires (FNPEIS), six programmes expérimentaux de dépistage du cancer du sein ont été mis en place, puis quatre autres en 1991. En 1994, le ministre de la Santé a décidé d’étendre graduellement ce programme aux autres départements.
Un Comité national de pilotage a été créé, dont la mission a été d’homogénéiser l’organisation et les pratiques des divers programmes, de promouvoir l’assurance qualité et l’évaluation. Pour passer de l’étape expérimentale à un programme national, un cahier des charges a été établi et, en 1996, 20 départements participaient puis, en 1999, 30 départements. Dès 1994, des programmes de formation ont été développés pour les radiologues et les manipulateurs de radiologie afin d’améliorer la réalisation des mammographies. Hormis les programmes qui ont été financés par le FNPEIS, des programmes ont été mis en place dans l’Hérault en 1990, et dans l’Orne en 1994, utilisant des mammographes mobiles et s’adressant aux femmes de 40 à 69 ans.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

La particularité des programmes français a été de faire appel aux structures médicales existantes, en particulier de radiologie, sans créer d’unités spécialisées. Ce modèle décentralisé est adapté à notre système de soins, mais il est plus difficile à organiser et à gérer ; la mise en place du contrôle de qualité est plus longue, plus complexe, progressive, de même que la formation des professionnels. Cette organisation devrait supplanter le dépistage opportuniste auquel la population française a eu accès avant le démarrage du programme. La coexistence des deux systèmes de dépistage « spontané » (DPI) et « organisé » (action programmée) n’est pas sans avoir de répercussions sur la participation et rend plus difficile l’évaluation de l’efficacité de ce programme. Le dépistage spontané a atteint auparavant une importance considérable puisque le nombre des sénographes est passé de 900 à 2 300 entre 1989 et 1993. Ce contexte ne permet pas de créer un système de dépistage centralisé comparable en tous points à celui des pays d’Europe du Nord. Le programme de dépistage du cancer du sein a en France une gestion départementale. Chaque programme, coordonné par une équipe locale, possède son centre de gestion, son système d’invitations, ses centres de radiologie. Dans les programmes actuellement en cours, les femmes de 50 à 69 ans sont invitées tous les 3 ans par leur régime d’assurance maladie ou leur mutuelle. En cas de non-réponse, une relance est effectuée entre 3 et 12 mois. Un radiologue du programme, librement choisi par la femme, effectue l’examen de dépistage qui consiste en un cliché oblique externe par sein ; les films sont développés immédiatement. Chaque examen radiologique est interprété par deux radiologues : celui qui réalise l’examen (premier lecteur) et un deuxième lecteur. La deuxième lecture est effectuée en aveugle par un radiologue qui, dans certains départements, est particulièrement spécialisé en mammographie, et dans d’autres est de formation identique à celle du premier lecteur, les modalités retenues pour la deuxième lecture étant variables selon les sites. En cas d’avis discordant, une troisième lecture décide de l’interprétation définitive. Les radiologues des programmes ont ainsi des niveaux de formation et un volume d’activité différents. Si l’examen est dit « positif » (il y a une anomalie sur la mammographie qui mérite des examens complémentaires), la femme s’adresse au médecin de son choix, le plus souvent à son généraliste, qui oriente le bilan diagnostique et le traitement. Le programme n’intervient pas dans le choix de la filière de soins et ne contrôle pas les modalités du diagnostic et du traitement, mais il doit en recueillir les résultats. Le suivi épidémiologique des dépistages est assuré par la structure organisatrice. Les départements disposent pour certains de registres de cancers et, pour d’autres, de recueils anatomopathologiques de biopsies mammaires. Ces sources sont indispensables si on veut évaluer les cancers d’intervalle des programmes. La mise en place de recueils exhaustifs connaît toujours de réelles difficultés dans de nombreux départements.

RÉSULTATS

Les premiers résultats épidémiologiques de la première vague des premiers programmes entre 1989 et 1992 ont été publiés en 1994  et 1996 . En 1996 et 1997, les résultats ont été étudiés lors de deux séminaires organisés à Marseille à l’initiative du Comité national de pilotage et de la Direction générale de la santé, qui ont permis de faire le point sur l’avancement du programme. Les résultats exhaustifs des cinq premiers programmes entre 1989 et 1994 ont été publiés en 1997 . Des indicateurs précoces d’efficacité ont été définis à l’échelon européen, à la suite des actions de dépistage réalisées avec succès en Europe du Nord . Ils permettent de guider et de surveiller l’impact, la qualité et l’efficacité potentielles du dépistage. Ce sont le taux de participation, le taux de tests « positifs », le taux de cancers détectés, le taux de biopsies, la VPP du test et de la biopsie chirurgicale, et le taux de cancers invasifs de moins de 10 mm. Les résultats de 1989 à 1997 ont été hétérogènes, mais les programmes ayant démarré depuis la mise en place du cahier des charges en 1994 ont connu moins de difficultés que les premiers programmes expérimentaux.
– Le taux de participation aux programmes varie largement, de 30 à 58 % en première vague, mais si l’on considère le taux de couverture mammographique obtenu par la juxtaposition du DI et du DO, le chiffre conseillé de 60 % est certainement atteint dans la majorité des départements.
– Le taux de rappel reste encore trop élevé lors de la première vague (première mammographie dans le programme). Seulement six programmes sur 20 en 1996 avaient un taux inférieur ou égal à 7 %. Cependant, ce taux est inférieur à 10 % dans la presque totalité des programmes en 1997.
– La VPP du test est inférieure à 10 % dans 18 programmes sur 20.
– Le taux de cancers détectés varie de 4 à 6 ‰, mais ces résultats doivent être interprétés en tenant compte de l’importance des variations du taux de dépistage individuel dans le département avant le démarrage du programme.
– Le taux de biopsies et la VPP de la biopsie se sont surtout améliorés dans les anciens programmes au cours de la deuxième vague (VPP > 60 % dans six sur sept des programmes).
– Le taux de cancers invasifs de moins de 10 mm reste encore en dessous du taux recommandé (1,5 ‰) dans 20 % des programmes.
– Le taux de cancers d’intervalle représente un indicateur d’efficacité à plus long terme. Il n’a pu être mesuré la première année après le dépistage que dans sept sites en 1996. Il se situe en moyenne à 0,5 ‰.
L’évolution globale des indicateurs au cours du temps apparaît favorable, mais l’amélioration est encore fragile car les pratiques médicales changent lentement avec l’expérience. La mise en place systématique d’un programme d’assurance qualité radiologique et de formation des professionnels au dépistage sont les deux éléments qui peuvent réellement permettre d’atteindre les objectifs fixés dans ce contexte décentralisé.

ÉVOLUTION

Les deux systèmes (DO et dépistage spontané) vont progressivement fusionner dans l’ensemble de la nation afin d’offrir, à l’ensemble des femmes, un DO performant. En modifiant la loi de financement de la Sécurité sociale en 1998, l’État s’est donné les moyens de développer dans les années 1999-2000 cette action de santé publique. Grâce à la gratuité de l’examen, chaque femme aura une égalité de chance, quelles que soient ses ressources, et l’on espère élargir ainsi la participation qui est jusque-là insuffisante dans notre pays.
L’ensemble des femmes de 50 à 69 ans recevra une invitation à bénéficier d’une mammographie face et oblique externe sur chaque sein tous les 2 ans. Les femmes invitées pourront poursuivre leur participation au dépistage jusqu’à leur 75e année. Le dépistage ne ferme pas la porte définitivement aux femmes de 40 à 49 ans, mais, du fait de l’équilibre incertain entre les avantages et les inconvénients du dépistage dans cette tranche d’âge, il faut d’abord déterminer quelles sont les modalités qui leur conviennent le mieux et attendre que la qualité à tous les niveaux soit homogène et maximale, dans la France entière. En attendant elles peuvent, si elles le désirent, en étant informées des avantages et des inconvénients, solliciter des examens systématiques à titre individuel. La mise en place du dépistage va commencer par l’assurance et le contrôle de qualité des mammographies et par la formation spécifique des radiologues et des manipulateurs. Un cahier des charges sera établi. Il repose sur le principe de la double lecture, et de l’évaluation épidémiologique et économique de critères prédéfinis, afin d’améliorer les résultats et de limiter les effets néfastes par un véritable pilotage. Des structures sont mises en place pour contrôler les procédures d’extension France entière, l’assurance qualité et le respect du cahier des charges, et pour recueillir les indicateurs de pilotage.
L’assurance qualité en mammographie est le préalable incontournable à l’extension du DO. Elle est définie par un référentiel national conforme aux référentiels européens . Elle définit l’accréditation des installations. L’appareillage doit être conforme aux normes et maintenu dans les normes (taille du foyer, caractéristiques du faisceau de rayons X et dosimétrie, fonctionnement de l’exposeur automatique, de la grille et du module de compression…) pour obtenir le meilleur compromis résolution/dose. La qualité de l’image est contrôlée par des tests qualitatifs et quantitatifs sur fantômes.
La machine à développer doit également être conforme et la chimie du développement contrôlée par sensitométrie et densitométrie. L’assurance qualité porte aussi sur l’état des écrans, les conditions de stockage des films et l’état des postes d’interprétation : du fait de l’évolution des couples film-écran vers la lecture dans les hautes densités optiques, ils doivent être examinés à fort éclairage dans une ambiance lumineuse faible, les zones lumineuses autour des clichés devant être obscurcies par des caches ou des volets. La qualité initiale doit être contrôlée pour dépister et corriger les dysfonctionnements. Certains tests sont réalisés quotidiennement (sensitométrie, densitométrie, test sur « fantômes »), d’autres sont effectués au cours de visites semestrielles par des professionnels du contrôle de qualité accrédités. La formation des manipulateurs est obligatoire car les conditions de réalisation de l’examen, la valeur de la compression, qui doit être progressive, suffisante mais non douloureuse, influencent fortement la tolérance de l’examen donc la participation. De plus, la qualité du film et les possibilités d’analyse de l’ensemble de la glande mammaire dépendent de la réalisation des incidences, qui dépend elle-même du relâchement de la patiente pendant l’examen , permettant d’étaler au mieux le sein, et de la formation du manipulateur au positionnement . Enfin, le manipulateur doit savoir analyser les critères de qualité d’une bonne incidence (exposition, densité optique, marquage, positionnement) : l’incidence de face doit exposer l’ensemble du cône mammaire jusqu’à la graisse rétromammaire, les quadrant externes doivent être bien étalés et inclus dans le champ, le mamelon doit être bien centré et tangentiel. L’incidence oblique externe expose l’ensemble du cône conjonctif à 45°, les structures denses du quadrant supéroexterne étant étalées et dissociées grâce à la densité plus graisseuse des quadrants inférieurs et internes ; le rebord antérieur du pectoral doit être exposé sur les deux tiers supérieurs du film, la graisse rétromammaire est incluse sur toute la hauteur du sein jusqu’au sillon sous-mammaire qui doit être dégagé et ouvert. Une formation spécifique des radiologues, initiale puis permanente, théorique et pratique, sous forme d’ateliers de lecture, est indispensable, afin de diminuer le taux de cancers manqués et le taux de reconvocations inutiles. Un travail sur des kits d’images difficiles, subtiles (distorsion architecturale, densité focalisée), permet aux radiologues de voir un maximum de ces images sur lesquelles se font la plupart des erreurs par insuffisance de détection ou par insuffisance de cohérence du diagnostic sur une image détectée. Il faut y associer une formation « sur le terrain », avec des séances de deuxième lecture commentée et de réexamen des cas positifs, des cas divergents et des faux négatifs. Enfin, une formation de tous les intervenants en aval du dépistage, pour la meilleure prise en charge diagnostique et thérapeutique des images détectées, doit être envisagée. La double lecture est indispensable, car le second lecteur améliore les résultats du premier lecteur, surtout si la deuxième lecture est faite par des radiologues plus spécialisés en mammographie : ils rattrapent alors 25 % des cancers manqués par le premier lecteur et ce pourcentage augmente avec le temps. En cas de divergence, une troisième lecture est réalisée par un comité d’experts. Un outil d’évaluation statistique, analytique et épidémiologique, indépendant, travaillant en collaboration avec les intervenants médicaux, permet l’évaluation des principaux critères :
– l’impact, ou proportion de sujets touchés par l’action, est étudié en fonction des caractéristiques de la population (âge, habitat, contexte socio économique) et des modalités d’invitation, de relance, de publicité, pour déterminer la couverture mammographique de la population, qui devrait être supérieure à 60 % ;
– l’efficacité par rapport aux objectifs de santé est appréhendée par l’étude de la sensibilité et de la VPP du dépistage : taux de cancers détectés, taux de cancers infiltrants de moins de 1 cm, taux de cancers in situ, caractères histopronostiques des cancers, étude des cancers d’intervalle, taux de reconvocations, taux de biopsies et VPP de la biopsie. Cette évaluation doit être couplée soit aux données d’un registre régional des tumeurs du sein, soit à un recueil en réseau des données anatomopathologiques ;
– le déroulement du programme (taux de films à refaire, taux de films égarés, délai entre la mammographie et la transmission du résultat, délai entre la détection et la prise en charge, taux de suivi des cas positifs…), ainsi que le traitement et le suivi des cas détectés, doivent faire l’objet d’un suivi rigoureux ;
– les coûts doivent aussi également être enregistrés : certains sont inhérents à l’administration du programme (information, invitations, frais de personnel, locaux, informatique, etc), d’autres sont des coûts médicaux (mammographies, examens complémentaires, biopsies). Les coûts directs sont calculés, les coûts indirects (temps passé par les femmes, déplacements, coûts non financiers tels qu’anxiété et répercussion d’éventuels effets délétères) sont évalués.

Inconvénients du dépistage

L’efficacité du DO dans la réduction de la mortalité par cancer du sein n’est plus à démontrer. Cependant, il existe aussi des effets néfastes. L’opinion publique a tendance à surestimer les bénéfices et à sous-estimer les inconvénients du dépistage , parfois aidée par des campagnes de publicité destinées à motiver la participation. Le dépistage a en effet des avantages majeurs, puisqu’il s’agit de sauver la vie, mais qui touchent un petit nombre de femmes : uniquement celles qui ont un cancer trouvé par le dépistage, qui n’aurait pas guéri s’il n’avait pas été dépisté, et qui va guérir grâce au dépistage. On sait que la moitié environ des cancers diagnostiqués de façon classique n’entraînent pas le décès et que certains cancers détectés chez des femmes participant à un programme de DO ne guérissent pas. Cela fait effectivement peu de bénéficiaires par rapport au nombre de femmes qui vont participer . Les inconvénients du dépistage sont pour la plupart mineurs comparés aux bénéfices, mais ils touchent un bien plus grand nombre de femmes, et ce ne sont pas les mêmes qui recueillent les avantages et les inconvénients. Il faut bien connaître ces inconvénients afin de les contrôler au maximum, pour que les avantages de cette démarche de santé publique restent supérieurs, aux inconvénients pour la population concernée.

FAUX NÉGATIFS

Le taux de cancers d’intervalle, représentatif des faux négatifs du dépistage, varie en fonction du protocole et de la qualité du dépistage. La double lecture permet de diminuer les faux négatifs par erreur de lecture ou cancers manqués (ceux dont la relecture en aveugle conduit à une conclusion « positifs »), mais n’influe pas sur les vrais faux négatifs, qui correspondent en majorité à des lésions d’évolution rapide. Le taux de cancers d’intervalle est de l’ordre de 15 % de l’incidence annuelle , mais il est plus élevé dans certains programmes. À Edinburgh, il atteint pour la première vague 31 % la première année, 52 % après 2 ans, et 82 % après 3 ans. La fausse réassurance liée aux faux négatifs est susceptible d’entraîner un délai au diagnostic et au traitement et la frustration liée à l’échec peut entraîner une moindre observance au traitement, et au suivi, ce qui représente un effet délétère important .

FAUX POSITIFS

Le taux de reconvocations inutiles est élevé, surtout avec une incidence unique et surtout au premier tour puisqu’il n’y a pas d’examen de référence. Il est plus élevé aux États-Unis pour des raisons médicolégales. Dans le BCDDP , 5,54 % des femmes ont été reconvoquées, 3,58 % ont eu une biopsie chirurgicale. Seulement 9,8 % des femmes reconvoquées avaient un cancer, dont 22 % de cancers in situ. Près de 5 % des femmes dépistées et 90,2 % des femmes reconvoquées ont donc été victimes d’un faux positif. Les investigateurs du SNBH ont calculé que leur programme a multiplié par deux le taux de chirurgie mammaire. On a pu estimer à 49% le risque cumulé d’avoir une reconvocation inutile et à 19 % celui d’avoir une biopsie après dix mammographies annuelles. Une patiente victime d’un faux positif vit provisoirement l’expérience du cancer. Cela ne crée pas pour toutes les femmes des lésions psychologiques définitives et l’anxiété décroît avec la connaissance du résultat bénin , mais l’expérience est traumatisante pour la plupart d’entre elles.

SURDIAGNOSTIC

Le dépistage détecte des cancers qui ne seraient jamais devenus cliniquement apparents du vivant de la patiente, en particulier des carcinomes in situ qui ne seraient jamais devenus infiltrants. Dix à 20 % des cancers détectés sont in situ, mais il est difficile de savoir lesquels sont surdiagnostiqués ; dans certains cas, le dépistage permet, surtout chez des femmes jeunes, une très longue anticipation au diagnostic, à terme bénéfique en matière de survie . Il est difficile de quantifier avec précision le surdiagnostic. Les lésions détectées sur des séries d’autopsies  ne sont pas les mêmes que celles qui sont détectées sur les mammographies. Les essais de DO montrent que l’incidence cumulée des cancers est supérieure de 10 à 27 % dans la population dépistée par rapport à la population contrôle, une forte augmentation de l’incidence été observée au Royaume-Uni, 3 ans après le début des invitations au DO . Cependant, la différence diminue au bout de 7 à 12 ans , une part de l’excès initial étant liée à l’anticipation au diagnostic (lead time). Des modèles mathématiques  permettent d’estimer que le surdiagnostic lié au dépistage représente un excès de 5 à 10% de cancers. La détection de lésions « à risque » (néoplasie lobulaire, hyperplasie épithéliale atypique) pose des problèmes qui s’apparentent au surdiagnostic : les attitudes des différentes équipes concernant leur prise en charge et le discours tenu aux patientes ne sont pas homogènes, l’opinion des anatomopathologistes sur ces lésions est parfois divergente . Il est regrettable qu’il n’y ait pas d’étude du suivi psychologique de ces patientes, qui vivent sous surveillance intensive et sous la menace du cancer. Le surdiagnostic est donc un inconvénient majeur du dépistage, car les femmes concernées deviennent à tort des cancéreuses, avec d’inévitables conséquences psychologiques, sociales, professionnelles et familiales. Le DO permet de le contrôler peut être mieux que le dépistage spontané, grâce à l’évaluation des résultats et au pilotage, en limitant le pourcentage de cancers in situ détectés, en particulier par un tri plus sélectif des indications opératoires sur les microcalcifications.

RISQUE RADIQUE

Le risque de cancer radio-induit par la mammographie dépend de la dose et de l’âge à l’exposition. La pratique d’une mammographie avec deux films par sein et contrôle de la qualité et de la dose, annuelle à partir de l’âge de 40 ans, ferait passer le risque d’avoir un cancer du sein de 9,3 % à 9,315-9,4 % pendant une durée de vie moyenne . Ce risque potentiel, probablement surestimé, est négligeable pour une femme participante, mais il doit être pris en considération lorsque l’on invite une population cible. Le contrôle de la dose est protocolaire et rigoureux en DO.

AUTRES EFFETS DÉLÉTÈRES PSYCHOLOGIQUES

L’invitation peut entraîner un surcroît d’anxiété, qui décroît après un résultat négatif, mais qui est aggravée par un délai trop long entre l’examen et la connaissance du résultat . La mammographie est considérée comme un examen inconfortable dans 35 % des cas et désagréable dans seulement 6 %. L’avance au diagnostic est un effet recherché du dépistage, mais est un inconvénient chez les femmes dont le pronostic ne sera pas modifié par le dépistage, soit parce qu’elles mourront de l’évolution, soit parce qu’elles auraient guéri de toute façon. Ces femmes vont inutilement passer plus d’années de vie « avec cancer » (1,5 fois plus pour l’essai de Malmö) avec les problèmes sociaux, familiaux et professionnels que cela implique .La frustration des femmes qui se sentent trahies lorsque l’on découvre un cancer d’intervalle, lorsqu’elles récidivent localement et doivent avoir une mastectomie ou lorsqu’elles deviennent métastatiques, peut induire un comportement agressif et une demande de réparation, ou une résistance au traitement et une perte de confiance, si l’information reçue initialement n’est pas suffisante . De même, un sentiment de culpabilité qui peut être exacerbé par le contenu des campagnes de publicité (blâme de la victime) menace les non-participantes qui, pour des raisons diverses, n’ont pas participé lorsqu’elles ont un cancer du sein. Les inconvénients du dépistage posent un réel problème d’éthique, et c’est le mérite des essais contrôlés de DO de les avoir mis en évidence et d’avoir permis de les quantifier, d’en diminuer le nombre par les procédures de qualité et de mettre en place des outils de mesure et de contrôle. Une information de qualité, exacte, claire, suffisamment détaillée, mais non dissuasive, doit être fournie aux femmes invitées à participer . Des études sur la morbidité psychologique, portant sur un nombre suffisant de patientes et avec des échelles d’évaluation reproductibles doivent être conçues.

Conclusion

Les expériences de dépistage organisé aux États-Unis et en Europe ont démontré que, dans des conditions optimales de qualité et sous réserve d’une évaluation permanente, les bénéfices du dépistage sont supérieurs à ses inconvénients pour les femmes de plus de 50 ans auxquelles il est proposé.
L’expérience française a la particularité d’utiliser les structures publiques et privées existantes. Ce modèle est adapté au système de soins français, mais l’assurance qualité, le contrôle et l’évaluation y sont plus difficiles à mettre en place que dans les systèmes centralisés, et doivent y être d’autant plus rigoureux. Les acquis permettent d’envisager la fusion du dépistage spontané et du DO dans une action programmée de santé publique, afin d’offrir à l’ensemble des femmes exposées au risque un outil performant pour le diagnostic précoce des cancers du sein, au prix d’effets délétères contrôlés et limités dont elles doivent être parfaitement informées.

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