samedi 15 juin 2013

ASPECTS PSYCHOSOMATIQUES DE LA MENOPAUSE



Introduction



L'arrêt définitif des menstruations, sceau de la cinquantaine féminine, est connu depuis toujours. Le dictionnaire Robert fait mention du mot ménopause la première fois en 1823. Climatère, âge critique, âge dangereux, retour d'âge, crise du milieu de la vie, autant d'appellations soulignant la dangerosité médicale, sociale et affective de cette période de la vie, essentiellement dans le registre psychosomatique.
Les remaniements de la ménopause étaient acceptés autrefois comme une fatalité. De nos jours les plaintes de nos patientes ont évolué. Elles expriment non seulement leurs symptômes physiques mais aussi leur mal-être psychologique. L'absence des règles les perturbe peut-être moins mais elles jugent intolérable ce que représentent les symptômes classiques qui les trahissent (bouffées de chaleur, sueurs nocturnes, irritabilité, etc.) car ils symbolisent la fin de la fertilité et le début de la vieillesse. Serait-ce la fin de la féminité ? C'est ce que redoutent les femmes et elles imaginent que les hommes le pensent aussi. Elles s'étonnent que 50 ans soit toujours l'âge moyen de la ménopause malgré l'allongement de l'espérance de vie.
Du point de vue médical, les manifestations de la ménopause n'ont pas changé à travers les siècles, pas plus que l'âge auquel elle apparaît. La carence hormonale progressive puis définitive est un événement physiologique dans le programme génétique des femmes. 
Cette période est à la fois une crise, un temps de changement, et un état de fait qui va durer avec les pathologies de l'âge mûr. Cette décennie est l'âge de tous les dangers. Le rôle du médecin est d'aider la femme à s'adapter pour qu'elle trouve son nouveau rythme, donc l'espoir d'un nouveau bien-être, qui n'est autre que la santé selon la définition de Canghilem : « La santé n'est pas seulement l'absence de maladie ou d'infirmité (OMS) c'est la capacité prolongée d'un individu à faire face à son environnement physiquement, émotionnellement, mentalement et psychologiquement. » 
Selon les statistiques, le temps de « l'après-ménopause » serait d'environ 40 ans, temps plus long que celui de la vie reproductive. Bien entendu cette période qui mène au grand âge demande une gestion différente de celle du temps de la crise proprement dite.



Le temps d'avant 

Il nous semble qu'on ne saurait réfléchir sur la ménopause sans étudier ce phénomène assez récent dans notre société consumériste avec son exigence de prévention et de précaution, le « temps de l'avant-ménopause ». On n'est pas encore dans le temps médical de la périménopause. Aujourd'hui, déjà, vers la quarantaine, des patientes inquiètes viennent nous interroger devant d'imperceptibles signes de vieillissement. La peau perd de son élasticité. Premières rides ? Les marchands de jeunesse proposent toutes sortes de crèmes, de sérums, de vitamines promettant une peau de 20 ans. Diminution de la puissance musculaire ? Les danseuses de l'Opéra sont mises à la retraite à 40 ans. Quelques femmes se plaignent d'un début de dépilation du Mont de Vénus, choquant. En effet, dans la décennie qui précède l'arrêt des menstruations, les performances des ovaires s'altèrent à bas bruit. Selon les cas, ce déficit hormonal sera plus ou moins visible, se traduisant également par des troubles du cycle. Raccourcissement ou allongement du cycle, syndrome prémenstruel plus marqué, variations de l'abondance des règles, autant de prodromes qui perturbent les femmes. Espérant « prévenir » la ménopause, littéralement retarder ou même empêcher son apparition, elles viennent alors nous consulter. Ne prenons pas ces demandes à la légère. Reconnaissons la validité de leur plainte et aidons-les à comprendre leur fonctionnement hormonal. La qualité du corps jaune s'altère : la production des stéroïdes sexuels diminue. Les follicules deviennent moins compétents. La fertilité accélère sa courbe descendante. C'est souvent à ce moment que les femmes veulent un enfant, premier ou dernier bébé de la quarantaine. Dans ce domaine, le médecin a un rôle en amont : il ne doit pas se contenter de renouveler une ordonnance de pilule, mais profiter plutôt de cette consultation de routine pour informer sa patiente des impératifs physiologiques. C'est une démarche moins facile qu'il y paraît. Il entend souvent : « Je n'ai pas encore trouvé le bon père pour mon enfant, ou il n'est pas encore décidé ou je passe encore des concours... mais j'ai encore du temps, non ? » Comment va-t-il répondre ? Il lui faut du tact, il a peur d'être intrusif, indiscret, de réveiller de vieilles blessures. 

Commenter les statistiques des taux de grossesses après 40 ans, c'est utile, mais ce n'est ni suffisant ni satisfaisant. De plus en plus de femmes influencées par les histoires «people » des média s'identifient aux célébrités enceintes à des âges tardifs. Même si les progrès de la médecine leur donnent à croire que tout est possible le rôle du médecin est de leur faire accepter l'évidence, les limites. Pour notre société qui nie le vieillissement en érigeant la jeunesse en valeur suprême, cette limite n'est guère tolérable. Un temps de dialogue est donc indispensable pour que la patiente prenne conscience de la réalité de son désir d'enfant et des limites de son temps de fertilité. 

Pourtant, malgré le temps qui passe, certaines femmes pensent encore que tant qu'elles ont leurs règles elles peuvent être enceintes. L'arrêt définitif des menstruations est encore plus difficile à vivre pour celles qui n'ont pas eu d'enfant car elles n'ont pas eu le temps de s'adapter à ce « jamais plus » d'une maternité. 


Fin de la vie reproductive 


Dans l'inconscient collectif le pouvoir de procréer est l'essence même de la féminité. Les femmes étaient faites pour porter les enfants, les élever et transmettre ainsi l'héritage familial de génération en génération. Comment est-il possible qu'au xxie siècle après le droit de vote, le droit à la contraception, à l'IVG, à la stérilisation, à la parité et à l'égalité professionnelle les femmes elles-mêmes ne se sentent pas complètes, pas des « vraies femmes » si elles n'ont pas été « capables » de concevoir ? Nous connaissons tous la douleur des femmes infertiles, celles qui désirent la grossesse et celles qui désirent l'enfant. Pour toutes, c'est un besoin de complétude, de réassurance sur leur féminité, de reconnaissance par les autres de leurs capacités. Ce pouvoir féminin par excellence est envié par les hommes. La perte de ce pouvoir est vécu par beaucoup de femmes comme une blessure narcissique même si elles ont le nombre d'enfants qu'elles ont désiré. « Il manquera toujours un enfant à l'appel » (Bydlowski). Avec la ménopause on retombe dans la fatalité du fait féminin (Sullerot), ventre stérile donc inutile. 

La fin de l'âge fertile, réalité physiologique, s'associe dans l'esprit des femmes, à la fin des plaisirs d'amour, à la fin de la jeunesse. 


La cinquantaine dans la société


À la cinquantaine les femmes ont en général une place bien reconnue dans leur milieu familial, social et pour la plupart dans leur vie professionnelle. Toutefois c'est l'âge où, de nos jours, elles sont souvent confrontées à des risques de licenciement et de préretraite. Certaines sont obligées de s'adapter à de nouvelles conditions et à de nouveaux modes de travail. Elles découvrent douloureusement leurs difficultés et se comparent à des plus jeunes plus performantes. Elles se sentent dévalorisées, ce qu'accentue la glorification actuelle de la beauté et de la minceur, car leur corps lui aussi est en train de se modifier. 

Affectivement, à cette période charnière, les femmes se situent entre deux générations, celle des parents et celle des enfants. Parents et enfants restent ou s'en vont, troublant l'intimité du couple, et lui donnant à voir d'une part les scénarios possibles de fin de vie et d'autre part les triomphes amoureux de la jeunesse. En effet les parents vieillissent, pèsent parfois, on ne peut s'empêcher de s'identifier à cette image d'un futur qui fait peur. Les enfants désertent la maison laissant le nid vide ou au contraire, installent leurs amours sous le toit des parents. Les femmes, et souvent les hommes, sont gênés, se sentant inconsciemment plongés dans un rôle qu'ils n'ont pas choisi : de voyeur, de complice ou de rival.


Ménopause et perte de l'illusion de maîtrise 


La ménopause, comme l'a été la puberté, est une période d'adaptation corporelle, psychologique, sexuelle et sociale. C'est une expérience personnelle toujours accompagnée par le regard des autres. « Une femme est ménopausée quand elle est considérée comme vieille par ses propres amies » (TalmudR.Yehuda). Comme à la puberté, la femme de la cinquantaine a du mal à se reconnaître dans ses changements corporels et dans le miroir du regard des autres. Elle ne choisit ni le moment ni les symptômes. Elle ne maîtrise plus les évènements. Elle est à la recherche d'une nouvelle identité, elle se sent vulnérable, inquiète. S'imposent une prise de conscience de soi et la recherche d'aménagements. Les orages hormonaux, les bouleversements des fonctions, les changements de l'aspect font mesurer la perte de l'illusion de maîtrise. Les rougeurs du visage, les bouffées de chaleur, les crises sudorales désignent la « femme en ménopause ». Elles la trahissent. L'odeur corporelle se modifie, la pilosité pubienne se raréfie parfois, causant un sentiment d'humiliation. Souvent des kilos pris rapidement alourdissent la silhouette. Les femmes ne se reconnaissent plus. Beaucoup changent de style vestimentaire. Elles sont dans une angoisse de perte d'identité. Dans les années qui suivent la ménopause, cette atteinte de leur image dans le regard des autres s'accompagne d'une autre réalité, intime. En l'absence de traitement, beaucoup souffrent dans leur corps : palpitations, malaises, fatigabilité, insomnies, troubles urinaires, mais aussi diminution de la tonicité musculaire, de la souplesse des articulations, douleurs diffuses. Comment ne pas s'inquiéter pour sa santé ? Avec le temps, la fonction sexuelle est également altérée : perte de la sensibilité mamelonnaire, aplatissement des reliefs du vagin, diminution de sa souplesse, de sa vascularisation, de sa trophicité. Comment ne pas se sentir diminuée, comment ne pas s'inquiéter pour sa vie sexuelle ? 

Il faut parfois beaucoup de tact et de douceur pour faire comprendre à une patiente que seule une part de ses troubles est liée à la carence hormonale et que reste la part inéluctable du vieillissement.


Consultation de ménopause 


La consultation peut être une consultation de routine chez les patientes que nous suivons depuis longtemps. Quand on est femme et gynécologue on sent très bien chez certaines un besoin d'identification, une curiosité toujours en alerte à notre égard. Nous y répondons selon notre nature, avec prudence, en évitant de sortir de notre rôle de soignant. Quand on est homme et gynécologue, la patiente guette inconsciemment dans ce regard masculin une reconnaissance de sa féminité. Certaines patientes dépitées quittent l'obstétricien auquel elles se disent attachées parce qu'elles ont l'impression de ne plus l'intéresser quand elles ne sont pas enceintes. De plus, la confrontation avec les ventres ronds de la salle d'attente leur est pénible. 

D'ailleurs lorsqu'une patiente consulte pour un retard de règles et se demande si elle est enceinte, il est important de la laisser exposer ses doutes, de ne pas lui asséner d'emblée un diagnostic qu'elle redoute sans le nommer : « c'est la ménopause ». Le soignant ne doit pas ironiser sur la demande d'un test de grossesse. Même si elle ne veut plus d'enfant elle exprime un désir, un regret. Il faut qu'elle apprivoise et l'idée et le fait. L'annonce brutale de sa ménopause peut, comme dans une maladie grave, provoquer un état de sidération puis de confusion où les vieilles peurs de grossir, d'enlaidir, de ne plus être aimée, de vieillir et de mourir se bousculent et ont du mal à s'exprimer. Avec en plus la honte de se sentir si bouleversée par un phénomène naturel, prévisible et commun à toutes les femmes. 

Ce peut être aussi une première consultation, justement pour la ménopause. La patiente vient pour s'informer, se faire suivre. Elle arrive en général avec des idées préconçues liées aux informations médiatiques distillées depuis 2002. Souvent elle a « peur des hormones » et estime que la ménopause, phénomène naturel, n'a pas besoin de médicaments. Elle vient consulter quand même, parce qu'elle ne se sent pas bien. Que veut-elle alors ? Elle veut d'abord se rassurer, nous entendre dire que ces phénomènes désagréables sont normaux et mieux encore, nous demander un soulagement. Comme dans tout entretien médical classique, nous allons noter la liste des symptômes et le degré d'inconfort qu'ils occasionnent. 

Le quatuor des troubles du climatère est bien connu : troubles vasomoteurs (bouffées de chaleur et crises sudorales), insomnie, troubles de l'humeur, douleurs ostéoarticulaires. Quelles que soient l'intensité et la fréquence de ces troubles, chaque femme ne s'en plaindra pas de la même façon. La tolérance est étonnamment variable d'une patiente à l'autre. D'ailleurs un certain pourcentage de femmes y échappent complètement. 
C'est ici qu'il est intéressant de laisser dire à la femme ce que la ménopause et ses symptômes représentent pour elle, avant de lui proposer une thérapeutique. Même si le rapport au sang des règles a évolué, certaines s'inquiètent encore de son absence. Elles craignent de ne plus éliminer mensuellement un certain nombre de toxines, de poisons pour l'organisme. « C'est d'ailleurs à cause de cela que je grossis ! » et que dire de la peur de « ce sang qui monterait à la tête provoquant une attaque » ? La sensation de malaise qui les réveille avant la crise sudorale nocturne est toujours mal vécue, d'autant que les troubles du sommeil majorent les troubles de l'humeur et l'asthénie, jusqu'à un tableau évoquant une dépression ou plutôt un état dépressif. Elles sont tristes, elles ont peur de vieillir. 


Ménopause et dépression 


Quand la patiente dit « Je suis déprimée » elle exprime sa tristesse, son mal-être mais elle cherche en même temps à en trouver une explication rassurante. Cette tristesse, de degré et de durée variables, s'accompagne le plus souvent d'une disparition du désir. Plus rien n'est investi. Plus rien n'a de valeur, ni d'intérêt. Du moins aux dires de la patiente. En effet, il n'est pas rare que, durant un moment, lors d'une rencontre, d'un moment agréable ou même d'une consultation, rien n'apparaisse ni de la tristesse ni du désintérêt. 

Un renforcement des symptômes, l'apparition d'insomnies, d'angoisses, sont la règle. 

L'habituel désintérêt se retourne parfois en revendication. La plainte n'est plus : « Je ne m'intéresse à rien », mais « rien ne s'intéresse à moi », c'est-à-dire « personne ne m'aime » (La femme, l'hystérique et le médecin L. Israel). 

Le tableau est complété par un sentiment de dévalorisation, de perte de l'estime de soi qui signe pour Freud, la dépression. 
La relation au temps est particulière. Le temps est long surtout lorsqu'on se plonge dans les regrets du passé. Le temps passe et on n'a pas su en profiter, ce qui accentue la tristesse. Ce temps qui passe rapproche inévitablement de la mort, mais ce n'est peut-être pas la mort, que les femmes redoutent mais la perte du contrôle de leur corps qui leur échappe et au bout, sa décrépitude. 
Il n'est pas facile de faire la part des choses quand symptômes ménopausiques et dépressifs sont tellement intriqués. 
La dépression est définie comme une dévalorisation, un sentiment de tristesse, la perte de l'estime de soi. En effet, certaines femmes se sentent dévalorisées par l'image que leur renvoie leur miroir, elles ont pris du poids, leur silhouette a changé, elles ont perdu leur éclat, et surtout elles ne se voient plus femmes dans le regard des hommes, elles se sentent invisibles, en perte d'identité. Cela renvoie d'ailleurs le médecin à sa propre finitude à laquelle il lui a bien fallu penser pour prendre en charge les autres. Comme dans toute démarche médicale on vérifie les antécédents. Cet état est-il réactionnel à la ménopause, ou n'est-il que la réactivation d'états dépressifs antérieurs ? On ne parle plus aujourd'hui de psychose ménopausique, mais d'un état lié à un mal-être physique et souvent psychosocial auquel le médecin se doit d'être attentif. Le traitement hormonal de la ménopause permet souvent d'éviter les traitements antidépresseurs, et même d'en diminuer les doses chez les patientes déjà traitées.


Ménopause et psyché


Que la ménopause soit naturelle, induite ou précoce elle entraîne dans la majorité des cas un état de crise, de remise en question, de recherche d'équilibre entre un avant, la jeunesse enfuie et un après, pas encore la vieillesse mais forcément moins beau. C'est un passage obligé vers l'inconnu. 

C'est Freud qui le premier rapproche puberté et ménopause. « La vie est bouleversée par les perturbations hormonales, processus biologiques, régis par des lois, et en même temps il existe un accroissement du désir sexuel que le monde extérieur n'autorise pas à satisfaire ce qui renverse l'équilibre de la santé et instaure les conditions de la névrose. » Pour Freud la « stase » de la libido, au sens médical du terme (qui est bloquée, qui ne peut pas sortir) est responsable d'une névrose d'angoisse liée à la non-satisfaction sexuelle. Cette poussée libidinale avec ses désirs incestueux replonge la jeune fille ou la femme accomplie dans les affres de la période oedipienne faite de désirs et d'interdits. On sait que la névrose d'angoisse peut être soit remplacée, soit accompagnée par des équivalents somatiques : palpitations, sudation, dyspnée, vertiges, etc. La patiente n'est plus angoissée mais elle plonge dans des maladies somatiques. C'est une tension physique qui n'est pas capable de passer dans le psychique, elle ne peut être élaborée et prend la seule voie somatique. Le temps est occupé par des consultations répétées chez tous les spécialistes.


Un virage à négocier 


Pour Hélène Deutsch, les femmes belles et narcissiques traversent l'épreuve de la ménopause mieux que les autres. Elle cite Freud « l'amour pour sa propre personne est peut-être le secret de la beauté ». Elle dit : « surmonter le désastre de la ménopause consiste à être amoureuse de façon continuelle, active, ardente et heureuse ; cette méthode caractérise les femmes d'une structure nettement narcissique ». Et pour les autres, comment négocier ce virage ? 

Par la régression : le désir sexuel génital disparu, une régression à un stade corporel infantile s'installe comme on peut l'observer chez les grands vieillards. Pour Freud puis pour Deutsch, certaines femmes subissent un vrai changement de personnalité : elles deviennent acariâtres, mécontentes, querelleuses, avec organisation du caractère de type obsessionnel et une régression au stade anal, sadomasochiste. 

Par la sublimation : le désir n'est pas mort mais il est transformé en activités créatrices, en don de soi, en plaisirs intellectuels. Les femmes se permettent de réaliser tout ce que leur vie active, entièrement dévolue aux enfants et à l'équilibre de la famille leur avait interdit. Elles découvrent les joies de la créativité, écrire, peindre, inventer des objets. Elles renouent des amitiés anciennes. Elles donnent de leur temps pour ceux qui en ont besoin. Presque toutes découvrent le bonheur d'être grands-mères. Elles se sentent comblées par un amour nouveau, différent, qui réhabilite leur féminité. 

Par la dépression : jusqu'aux tentatives de suicide. L'angoisse remplace la libido. La libido n'est pas seulement le désir sexuel mais l'appétit de vivre, l'Eros qui s'oppose à Thanatos, le désir de mourir. 
Par la lutte contre la dépression. Une hypomanie peut succéder à la dépression avec hyperactivité dans tous les sens. La dépression peut être niée et remplacée par une fuite en avant à la recherche de son identité, pour combler un vide. On prend des risques avec sa santé ou même sa vie à la ménopause comme à la puberté. 
La boulimie qui fait prendre des kilos, la prise de tranquillisants, la consommation exagérée d'alcool, de tabac calment l'angoisse un moment mais se soldent généralement par le dégoût de soi, la honte, la culpabilité. On peut également se jeter dans des expériences sexuelles, non pas par désir, mais pour se prouver uniquement qu'on est bien une femme, au moins le temps d'une aventure. Les compulsions d'achats fréquentes à cette période ne sont dangereuses que... pour le portefeuille, toujours pour combler une insatisfaction profonde non reconnue. 
Heureusement, après le désarroi plus ou moins long qui suit la ménopause la plupart des femmes se portent bien physiquement et mentalement. Il leur a fallu de grandes qualités d'adaptabilité, de plasticité, pour franchir ces étapes, reprendre un second souffle, réinvestir leur féminité et regarder vers l'avenir.


Ménopause et sexualité


Quant à la sexualité, si elle n'est pas toujours évoquée d'emblée en consultation, elle est en filigrane dans les plaintes de nos patientes. Après quelques années de carence hormonale elles se plaignent de troubles génito-urinaires : sécheresse vaginale entraînant une dyspareunie superficielle, douleurs mictionnelles et fuites urinaires particulièrement humiliantes. 

C'est au thérapeute de poser les bonnes questions, que certaines femmes n'osent pas toujours aborder. Il lui faut rechercher une baisse du désir et de la fréquence des rapports car avec les années les seuils d'excitabilité et d'excitation augmentent inévitablement. 

Les hommes comme les femmes recherchent de plus en plus une vie sexuelle satisfaisante après la cinquantaine comme le montrent des enquêtes récentes, enquêtes dont l'intérêt est de ne pas être exclusivement ciblées sur le coït mais sur la qualité de vie. La qualité sexuelle est un des éléments indissociables de cette qualité de vie sans laquelle cette nouvelle entité n'aurait guère de sens et encore moins d'attrait. Entrent en jeu le corps et ses changements, le partenaire et le couple, l'environnement immédiat et la société, autrement dit tout un climat psychosocial qui va influer parfois lourdement sur l'intimité. 


Que disent les patientes ou les couples ?


Les symptômes physiques : inconfort vulvovaginal, sécheresse, dyspareunie, sont fréquemment décrits, plus simples à évoquer pour la patiente que la baisse ou l'absence de désir, la rareté des orgasmes, ou la presque disparition des fantasmes érotiques. Il est souvent malaisé de faire préciser où se situe le déficit : « envies », libido, excitabilité, qualité du rapport, recherche, qualité et lieux du plaisir, désir pour le compagnon actuel, orgasmes, et plus encore d'apprécier l'importance de la sexualité pour cette patiente. 

Le traitement hormonal estrogénique, notamment local, est efficace sur les troubles vulvovaginaux et urinaires, les androgènes le seraient plus sur libido et plaisir, mais nous n'en disposons pas encore en France sous des formes efficacement utilisables. 

La sexualité est un échange et un langage. Le partenaire en est l'interlocuteur privilégié, celui par qui le scandale arrive, ou au contraire celui qui rend sa confiance en elle à cette femme qui doute, et redoute la perte de son pouvoir de séduction. D'où son rôle capital : s'il ne peut supporter de lire son propre vieillissement sur le visage et le corps de cette compagne, il lui renverra une image destructrice, où elle se sentira niée, parfois ridiculisée face à une rivale plus jeune. Car l'homme lui aussi est en crise, « crise du milieu de la vie ». Lui aussi a besoin de réassurance. Il lui arrive de la trouver entre des bras plus jeunes et parfois une nouvelle paternité. 

Couple ancien dont la pérennité est rassurante si l'homme accepte son propre vieillissement et parfois ses difficultés érectiles sans avoir besoin de se prouver sa virilité avec une autre. Pour certaines personnalités masculines la beauté et la jeunesse de la partenaire sont bien un faire-valoir de leur virilité, de leur puissance sociale, de leur éternité ? Mais aussi, couple ancien où l'homme sait reconnaître et parfois même aimer sur le visage et le corps de sa compagne les cicatrices de leur vie... « La femme que j'ai dans mon lit n'a plus vingt ans depuis longtemps » (Reggiani). Ou nouveau couple dont souvent la différence d'âge surprend. Le partenaire a toujours un rôle capital à jouer. 
On sait d'ailleurs que malgré son âge ou son statut hormonal, une femme désirée restera désirante, grâce à l'ancien ou au nouveau partenaire qui lui rendra ou lui conservera sa valeur de femme, sa dignité sexuelle. À l'inverse une femme encore jeune peut se sentir complètement dévalorisée si l'homme qu'elle aime dénie sa féminité. 
Quand une femme se plaint de difficultés sexuelles il importe de savoir si la sexualité était ou non de bonne qualité avant la ménopause, car pour certaines femmes les difficultés classiques de cette période peuvent servir de prétexte pour mettre fin à un exercice peu apprécié, peu satisfaisant ou même redouté. Enfin, n'oublions pas que la sexualité en s'exposant comme elle le fait de nos jours court le risque d'entrer dans le domaine de la performance, créant des normes plus quantitatives que qualitatives, poussant les uns aux regrets, les autres au dopage ! 
Notre rôle ici est donc triple : à la fois pédagogue, conseiller et prescripteur, chaque domaine ayant la même importance avec des impacts variant selon les individus, leurs problèmes et leurs demandes. Tout d'abord adaptons notre langage : les mots du sexe et du corps concernés ne sont pas les mêmes selon milieux et cultures, trop crus pour les uns, trop techniques pour les autres, ils manquent parfois à certains de nos patients. 
Puis soyons à l'écoute des formulations :n'oublions pas que « Je n'ai plus envie » est parfois plus difficile à dire que « cela me fait mal », surtout si la femme craint que le compagnon ne traduise : « Je n'ai plus envie de toi », ou « Tu me fais mal ». Voilà pourquoi il est capital d'expliquer la physiologie de l'acte sexuel et les modifications, avec l'âge et la carence hormonale, de ses quatre phases. La présence du partenaire permet bien entendu une meilleure prise en compte des conseils qui en découlent, « dédouanant » d'une certaine façon le couple d'un manque affectif ou d'une anomalie physique. 
Points essentiels 
• 1 - Phase d'excitation : le temps de réponse à la stimulation s'allonge, la lubrification vaginale n'est pas immédiate, elle est plus faible, la souplesse vaginale diminue elle aussi.
• 2 - Phase de plateau/tension sexuelle : gêne, parfois douleurs lors des frottements sur une paroi de moins bonne qualité et moins bien lubrifiée.
• 3 - Phase d'orgasme : moins de contractions, intensité moindre de la réponse musculaire
• 4 - Phase de résolution : détumescence nettement plus rapide.
La consultation pour plainte sexuelle requiert une écoute active sans paternalisme ni jugement, sans imposer une échelle de valeurs, sans proposer de normes, une information claire, à la portée de cette patiente, répondant aux questions qu'elle se pose comme à celles que l'entourage ou les médias lui posent. Une prescription adaptée et explicitée, qui dépasse souvent la simple ordonnance. 

Ménopause précoce

C'est l'arrêt définitif des règles provoqué par l'épuisement prématuré de la fonction ovarienne avant 40 ans. Elle touche à peine 1 % des Caucasiennes et 0,1 % des femmes de moins de 30 ans. Le mot précoce signifie « mûri trop tôt ». Alors remplaçons mûri par vieilli et nous voici d'emblée avec la définition des ovaires de nos patientes, ces femmes qui, face à la longévité actuelle, sont plus jeunes que leurs mères au même âge et dont la quarantaine encore glorieuse ne saurait s'accommoder de ces signes intérieurs de vieillissement. 

Il nous faut mesurer nos attitudes, nos mots et même nos expressions face à ces femmes jeunes encore dont l'horloge biologique change d'heure avant l'heure. C'est souvent lors d'un désir de grossesse que tombe le couperet : FSH, LH élevées, estradiol, inhibine B et AM (hormone anti-mullérienne) bas, c'est l'adieu aux maternités mais aussi à la féminité ou du moins c'est vécu comme tel. L'annonce en est difficile, même si des symptômes relativement précis l'évoquent. Comme pour toute mauvaise nouvelle il nous faut refuser de commenter les résultats des dosages par téléphone. Elles espèrent bien que le médecin va balayer leurs craintes. À cet âge pareille anomalie ne peut être qu'une erreur, une faute ou une tare personnelles. Elles voudraient comprendre. « Est-ce parce que j'ai pris la pilule trop longtemps ? » « Mes règles ont commencé trop tôt ou trop tard et ma mère ne s'en est pas occupée ». « Je suis la seule à être comme ça dans ma famille, pourquoi ? » Elles sont frustrées de n'avoir d'autre explication que génétique. Et nous aussi. Qu'allons-nous leur répondre ? 

Surtout pas de mensonges ou de fausses réassurances. Protéger contre la vérité a longtemps été une attitude médicale, qui préserve sans doute plus le médecin que le malade. Mais n'est-ce pas plutôt une défense qu'une protection, une défense contre ces sentiments d'impuissance et même de culpabilité que nous inspire l'échec, ou ce que nous vivons comme un échec ? Or si la ménopause n'est pas une maladie, la ménopause précoce en est une. Pour la femme de 40 ans qui la subit ces 10 ans d'avance sont 10 ans de perdus. C'est pour elle une injustice, une perte de chances, on lui a volé des années. Parfois, c'est la culpabilité qui l'emporte. La faute serait-elle plus supportable que la fatalité ? Les explications qui nous paraissent évidentes ne sont pas toujours crédibles pour une patiente avide de certitudes ancrées dans une logique souvent loin de la nôtre. Rentrer dans son système, trouver une cause serait tentant, mais il vaut mieux avouer que nous ne savons pas pourquoi elle devance l'appel. C'est tout à la fois plus simple et plus difficile. Simple par sa véracité, difficile parce que cet aveu risque de nous rendre impuissant. En effet, pour être efficace, il nous faut une certaine dose de ce pouvoir que confère le savoir. Trop de doutes nous conduit en terrain miné où la femme ne nous suivra pas, alors qu'il nous faudrait la suivre elle, sur son propre terrain ce qui nous permettrait d'entendre les différents niveaux de sa souffrance. 

Souffrance de femme, souffrance de mère : dans notre société si inégale qui revendique une égalité par le nivellement, la ménopause précoce est sans doute encore plus difficile à vivre. Ne fait-elle pas barrage aux deux grandes exigences actuelles, la négation de l'âge et le droit à l'enfant ? Nous allons adoucir sa souffrance, le temps et le traitement feront le reste. Sauf contre-indication absolue le traitement hormonal ne se discute pas. Indispensable pour préserver son état de santé physique, biologique et psychologique, il permet à notre jeune femme de dépasser sinon d'oublier cette désorganisation de sa chronobiologie, cette rupture de son rythme, pour retrouver un âge qui ne doit pas cesser d'être le sien. En connaître et en vivre tous les appétits et toutes les possibilités, c'est lui rendre son image et avec elle, cette place qu'elle craignait de perdre parmi les femmes de sa décennie, c'est aussi lui rendre sa relation au temps, celui des autres et le sien. Soyons donc attentifs à notre ordonnance, évitons qu'elle évoque celle de sa mère ménopausée. La prise en charge est la même en cas de ménopause précoce induite par chirurgie, radio- ou chimiothérapie, en tenant compte bien entendu de l'étiologie et du pronostic vital.


Traitements 


La polémique autour des risques du traitement hormonal de la ménopause (THM) a-t-elle modifié la prise en charge thérapeutique et notre relation avec nos patientes ? Oui et non. Les statistiques anglo-saxonnes (WHI et MWS) ont alarmé médecins et patientes. Les patientes déjà méfiantes à l'égard des hormones le sont devenues à l'égard de ceux qui les leur avaient prescrites. Certains médecins ont refusé de prescrire ou de renouveler le THM plus soucieux de se protéger de poursuites juridiques que du bien-être de leurs patientes. Pour retrouver un climat de confiance chaque consultation a exigé un temps d'éclaircissement, de décodage, d'explication des lois et des recommandations des Agences françaises et européennes, même après les études françaises récentes plus rassurantes quant au rapport bénéfices-risques. Quel que soit le traitement que nous proposons il nous semble important de faciliter son utilisation en tenant compte du mode de vie et des préférences de notre patiente. Pour quelques femmes qui ont toujours utilisé la contraception orale, la prescription d'une pilule avec de l'estradiol-17-bêta, présentée comme sa « pilule » dans une plaquette est mieux acceptée au tout début du THM. Nous leur conseillerons ensuite la voie percutanée. Quant à celles qui tiennent à leurs règles, nous respectons leur désir mais en les aidant à découvrir pourquoi. Nous nous rendons disponibles au téléphone pour rééquilibrer le traitement à la demande devant chaque symptôme gênant. La compliance, la confiance sont à ce prix. Que nous prescrivions ou non le THM, notre rôle est de convaincre nos patientes qu'une grande part de leur santé est entre leurs mains. Ont-elles une activité physique suffisante ? Même si on ne pratique aucun sport, même si on ne fréquente pas les salles de fitness, on peut marcher, monter les escaliers, respirer l'air des parcs publics. Une alimentation saine et équilibrée est bonne pour les vaisseaux, le poids et le teint. Parlons leur tabac et alcool. Certaines oseront avouer un alcoolisme qui perturbe leur vie. Les questions qu'elles nous posent sur leur esthétique ne sont pas futiles. Nous devons les entendre. Les conseiller, les adresser à des spécialistes, leur permet de se plaire davantage, de se revaloriser. Tout cela fait partie de leur qualité de vie. 


Conclusion


La femme en ménopause attend bien entendu le soulagement de ses troubles du climatère. Une approche multidisciplinaire (rhumatologue, kinésithérapeute, dermatologue, phlébologue, etc.) est souvent indispensable. Mais notre patiente vient chercher plus que des ordonnances. Qu'attend-elle d'autre ? Un temps d'écoute pour une réparation narcissique, une revalorisation de sa féminité. Il nous faut tenter de répondre à ses demandes : l'aider à se retrouver ou à se trouver pour s'installer sans trop de regret dans son nouveau temps et, encore mieux, l'apprécier. 

Du temps, des échanges, une forme de pédagogie, beaucoup d'empathie, c'est une définition de l'approche psychosomatique en gynécologie. Même si la consultation de ménopause est longue, le médecin en a les bénéfices. Il n'est plus seulement celui qui sait, qui fait et qui prescrit, il entre dans une relation interpersonnelle avec un autre sujet, différent de lui, qui, en retour, enrichit son imaginaire et ses connaissances sur l'humanité.

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